Dès qu’il s’agit d’aborder la
littérature en bande dessinée on peut compter sur Futuropolis. Mais
je ne vais pas ici vous chroniquer une des nombreuses adaptations du
mois (il y en a pas mal et des pas trop mal), et encore moins vous
exposer mon avis tranché sur le roman graphique (c’est de la BD,
question suivante) mais bien vous vanter les qualités de ce Truman
Capote de Xavier Bétaucourt et Nadar, paru il y a
quelques mois.
Sous-titré
« Retour à Garden City », cet album dense mais à la
lecture hyper fluide narre le retour de Truman à Holcomb, en mars
1967, sur le tournage du film « De sang froid »,
adaptation par Richard Brooks du roman majeur de Capote, paru un an
plus tôt. Roman ou plutôt récit majeur et précurseur d’un
genre appelé à rencontrer un succès durable : le true
crime. Le titre complet du livre est en effet : « De
sang froid : récit véridique d’un meurtre multiple et de ses
conséquences ».
Et
ce qui est donné à lire dans cet album de Bétaucourt et Nadar, ce
sont d’autres conséquences : celles de l’écriture de
cette œuvre sur son auteur. Car ce retour sur les lieux du crime –
le massacre d’une famille de fermiers par deux hommes, Perry Smith
et Richard Hickock - se passe en 1967, huit ans après les faits,
presqu’autant d’années qu’a mis Capote a aller au bout d’un
projet qui l’a littéralement consumé. Et c’est toute cette
longue gestation qui est mise en images, par aller-retours entre
trois périodes / moments-clés : un, le meurtre des Clutter,
l’arrestation, l’interrogatoire et l’execution de Smith et
Hickock, deux le travail sur le terrain auprès de la population par
Capote et son amie Harper Lee pour le New Yorker – et le début de
la relation particulière du romancier avec Perry Smith – et enfin,
trois, ce retour à Holcomb sur le tournage du film. Trois périodes
habilement distillées et imbriquées les unes dans les autres par
les auteurs, et qui permettent peu à peu de cerner la personnalité
de Truman Capote et de définir les contours de cette attraction /
répulsion qu’il a eu pour ce faits divers et cette Amérique
profonde. Un Kansas aux mœurs qui devaient lui paraître bien
lointains, à lui le dandy New-Yorkais habitué de la jet-set
littéraire et des feux de la notoriété. Si loin, mais peut-être
si proche également, au regard de la proximité de plus en plus
grande que Capote semble éprouver envers Smith, son presque double
maléfique… Qu’est-ce qui fait qu’on bascule du mauvais côté ?
Un passage clé de l’album aborde la question. Alors que Capote
vient rendre visite au meurtrier – alors que c’est interdit, mais
le journaliste-romancier avait quelques arrangements avec le chef de
la police locale – et que Smith est en train de – bien –
dessiner le dialogue s’installe :
-
C’est beau
-
Je te l’ai déjà dit, j’aurais été artiste si la société ne
m’avait pas amené ici
-
Comment ça ?
-
Tout ça c’est la faute à ce que j’ai vécu dans mon enfance…
Une
conversation qui ramène instantanément Capote à son enfance à
lui, « une des pires enfances au monde », ce qui ne l’a
pas empêché de rester « à peu près correct et respectueux
des lois ».
Se
dresse ainsi au fil des pages une description psychologique d’un
auteur certain d’écrire un ouvrage majeur mais de ne pas toujours
être sûr de comment finir… tant que les meurtriers sont encore de
ce monde. A noter que le côté imbu de lui-même et méprisant de
Capote est bien présent et que graphiquement il est très réussi
comme tous les autres personnages d’ailleurs. Nadar fait passer
aussi pas mal d’émotions par son trait, et c’est une autre des
forces de cette BD.
Une
autre et non des moindres est de donner l’envie de se replonger
dans les autres romans et nouvelles de Capote, qui n’écrira plus
rien de marquant après De sang froid.
Et
l’envie aussi d’aller voir du côté du plus célèbre roman de
son amie Harper Lee, « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur »
(To kill a Mocking bird), paru lui en 1960, et figurant dans
les 100 meilleurs livres policiers de tous les temps, liste établie
par les Mysterious Writers of America en 1995.
Enfin,
à noter qu’une autre BD
avait pour cadre Capote in Kansas, comics de Ande Parks
et Chris Samnee (édition française chez Akileos en 2006), qui
suivait les pas de l’auteur au même endroit mais plus longuement
au moment de l’écriture de son livre, peu de temps après le
massacre de Holcomb. A lire également . Avec In cold
blood, of course…
Truman Capote : retour à
Garden City ****
Récit
Xavier Betaucourt et dessins Nadar - Futuropolis, 2024 – 112 pages
couleurs – 21 €
Parution
1er mai 2024