Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog.
Bonne balade dans le noir !

dimanche 12 février 2017

[Disparition] - Jirô Taniguchi : Trouble is my business, Tokyo Killers, le Sauveteur. Ou quand le Maître broyait du Noir...

 Vous l'aurez remarqué, le manga se fait rare dans les pages de Bédépolar. Mais il n'était pas possible de passer ce dimanche sans vous parler un peu de Jiro Taniguchi, mort hier à l'âge de 69 ans, et qui était certainement, en France, le mangaka le plus connu des amateurs de bandes dessinées "littéraires", à défaut d'être le plus connu, tout court. Angoulême lui avait rendu un hommage appuyé en 2015 en lui consacrant une grande rétrospective. Taniguchi était sans conteste un maître du manga d'introspection, intimiste, psychologique... tout ce qu'on voudra, et assez éloigné des représentations que l'on se fait de la bande dessinée japonaise. Oui, sauf qu'on l'oublie peut-être, mais Taniguchi a débuté par le polar, dans la plus pure tradition "hard-boiled". D'abord, à l'aube des années 80, par une série "Trouble is my business", scénarisée par Natsuo Sekikawa (6 tomes parus chez Kana en 2013-14), mettant en scène un privé, Jôtarô Fukamachi, plongé au coeur d'affaires alambiquées, et dénoués non sans un humour... un peu particulier, et puis, il y eut ces autres récits parus dans le milieu des années 1980, et que Kana, l'an passé, a aussi eu la bonne idée de publier dans le recueil "Tokyo Killers".

Marc Fernandez, dans sa post-face, resitue clairement les choses, et prévient tout de suite : " (...) Quant aux fans de polars et de romans noirs, cette lecture les ravira tant Jirô Taniguchi et son complice scénariste des débuts, Natsuo Sekikawa, ont emprunté aux codes du genre, tout en réussissant le tour de force de le renouveler (...) ". Un recueil étonnant, qui s'ouvre sur "Good luck city", récit inachevé, découpé en scène comme au cinéma, et mis en pages en longues cases verticales, sans texte, si ce n'est celui de la narration, en bas, un peu à la manière de "Chandler, La Marée Rouge" de Jim Steranko. Puis trois autres récits constituent le coeur de "Tokyo Hôtel" où un tueur et une tueuse à gage sont les personnages centraux d'histoires bien noires, dures, violentes, et enfin, "Meurtre tokyoïte" vient conclure le livre. Un autre récit étonnant où un Français, parti travailler au Japon, en découvre les mystères, y compris les plus sombres puisqu'il demande à comprendre le fonctionnement des yakuzas. Cette histoire est l'adaptation d'une nouvelle d'Alain Saumon, et elle avait été publiée en 1985 dans Metal Hurlant...
Good luck city... Vraiment ?


Casterman, qui avait été le premier éditeur à éditer Taniguchi, avait publié un autre polar, en 2007, un récit dense, Le Sauveteur. Un retour aux sources , un peu pour l'auteur, mais pas de yakuza, ni de serial killer à la mode nippone dans cette longue histoire, plutôt une plongée au coeur des sentiments, derrière une enquête solitaire : Shiga, gardien d'un refuge dans les Alpes japonaises, est contacté par Yoriko, une vieille amie, morte d'inquiétude pour sa fille Megumi, 15 ans, qui a passé la nuit hors de chez elle et ne donne plus signe de vie. Tenant sa promesse de veiller sur celle qui est la fille de son meilleur ami mort en montagne, Shinga part à l'assaut de la capitale, et entreprend de mener une enquête en marge de celle de la police. Ses premiers pas le conduisent auprès d'une amie de Megumi qui lui affirme que la jeune disparue n'était pas la fille modèle que sa mère croyait... D'emblée captivante, l'intrigue de Taniguchi réussit à mêler introspection et action, et insiste sur les rapports d'amitié liant les différents personnages. Elle est aussi l'occasion d'une découverte de l'envers du décor d'un Japon méconnu (les « souteneurs » et leur relation avec les jeunes filles). C'est en tous cas une histoire forte qui est contée, et on ne lâche pas l'album avant la toute dernière page.

Voilà. Je ne suis pas assez connaisseur de l'oeuvre immense de Taniguchi pour savoir si elle recèle d'autres pépites noires, mais vous pouvez déjà aller jeter un oeil du côté de ces trois titres, tous excellents.

Le Sauveteur - Casterman2007, collection Sakka - 340 pages
Trouble is my business; Kana 2013-2014 - 6 volumes Entre 215 et 300 pages -
Tokyo Killers - Kana, 2016 - 200 pages en noir et blanc et en couleurs



lundi 6 février 2017

[Art volcanique] - Le Retour, par Bruno Duhamel (Bamboo - Grand Angle)

Cristobal, l'enfant du pays, l'artiste international revenu trente ans auparavant sur son île natale pour en faire un havre de culture préservé de la rapacité des promoteurs et la protéger du tourisme de masse, trouve la mort dans un accident de voiture.
Une mort qui encombre un peu les autorités du continent, car elle survient peu avant des élections... et que l'autre véhicule, celui qui a vraisemblablement percuté la voiture de la gloire locale, a purement et simplement disparu. Pourtant, l'île n'est pas bien grande, et son caractère inhospitalier - elle est constituée sur les deux-tiers de lave solidifiée - ne pourra guère dissimuler longtemps le véhicule fantôme... Mais qui aurait bien pu en vouloir à cet homme, qui, au service de "son" île, a dépensé sa fortune, apporté son talent et a mis sa réputation mondiale en jeu ? Des ennemis écartés un peu trop brutalement par Cristobal dès son retour ? Des amis, jaloux ou aigris, qui trouvent que l'homme qui a façonné l'île à son image leur fait trop d'ombre ? Jusqu'où l'inspecteur Claudio Ramirez, envoyé sur place pour éclaircir le mystère de cette mort peut-être pas si accidentelle, va-t-il devoir creuser ? Il ne le sait pas lui-même lorsqu'il arrive sur les lieux, où le moindre espace est transformé en véritable oeuvre d'art...

"Le Retour" - premier album solo de Bruno Duhamel (dessinateur, côté polar, de la pittoresque série "Harlem" mettant en scène Mose et Lennox, deux bras-cassés un brin losers...) est original à plus d'un titre. D'abord par le choix du sujet, ambitieux : le pouvoir de l'Art face à la marchandisation à outrance, en l'occurrence, face à la prolifération bétonnière des endroits sauvages, à seule fin de gagner du fric. Cette lutte est personnalisée via Cristobal, gloire internationale, colosse irascible, sûr de son Art, qui va tout mettre en oeuvre pour contrecarrer les rêves de tourisme de masse de la municipalité. Dont le maire n'est autre qu'une vieille connaissance de l'artiste : petit, Gaspard jetait à la figure de Cristobal que celui-ci ne savait que peindre des trucs moches... Et le principal "truc moche" en question, et qui fascine le gamin, n'est autre que "Le Dragon", ce volcan en sommeil qui domine toute l'île de son ombre menaçante. Duhamel réussit parfaitement à faire passer cette fascination exercée par la nature, hostile, sur Cristobal, et sa façon d'essayer de la dompter, à travers ses créations. Tout comme il met parfaitement en scène tous les protagonistes de son histoire, qu'on découvre petit à petit, à travers une construction habile, par flashbacks, après avoir démarré sur le point mystérieux de l'album : la mort de Cristobal. 
Le cadeau qui va tout déclencher...
 "Le retour" est de ce fait très bien rythmé, et le choix d'avoir "inversé" les couleurs, en optant pour la quadrichromie pour le passé, et la bichromie (aux tons variables) pour le présent est judicieux. Il donne ainsi à voir les oeuvres monumentales disséminées partout sur l'île de manière plus spectaculaire et de mieux mesurer l'ambition folle de Cristobal, sur cette terre peu accueillante, fut elle natale...
Bruno Duhamel ne cache pas, dans une introduction à l'album, s'être inspiré du parcours de l'artiste Cesare Manrique sur l'île de Lanzarote (aux Canaries) pour imaginer son histoire. Mais, au-delà de ce point de départ - un rêve d'artiste, pas loin d'être utopique - Duhamel aborde bien d'autres choses, dont les rapports humains (père-fils, mari-femme, artiste(s)-artiste(s), artiste-politique...) ne sont pas les moindres. Et comme c'est traité avec finesse, et, qu'en guise de cerise sur le gâteau, le suspense est ménagé jusqu'au bout, il n'est pas besoin de chercher bien loin : voici un des premières grandes réussites de cette année.

Le Retour ****
Texte et dessin Bruno Duhamel
Grand Angle, 2017 - 96 pages couleur et bichromie - 18,90 €


dimanche 5 février 2017

[Chouchous] : La sélection Bédépolar 2016

Bon, j'y ai mis le temps, mais voici mes 10 albums polar de l'année 2016... choix entièrement subjectif, of course ! Et comme je suis aussi un peu fainéant, ce que vous allez lire est exactement ce que j'ai écrit pour le dernier numéro de la revue "813", des Amis des littératures policières. Avec le lien vers mes chroniques intégrales en plus... sauf pour les deux premiers albums de cette liste, pour lesquels je n'avais pas rédigé de billet sur Bédépolar. Ce qui est un tort, car ils sont excellents. Comme tous les autres de cette sélection 2016.

Pour commencer, c'est aux Etats-Unis, fin de 19ème siècle, que nous transporte le dessinateur hollandais Erik Kriek dans son splendide Dans les pins (Actes Sud / L'an 22). Sous-titré 5 ballades meurtrières, il s'agit ni plus ni moins de la mise en image de... murders ballads, des chansons issues de la tradition américaine, mettant en scène de pauvre bougres qui finissent le plus souvent au bout d'une corde, ou avec une balle dans la tête. De ces chansons, Kriek a tiré des histoires sombres, rurales, maritimes... peuplées d'amants, de maris jaloux, d'évadés, d'alcooliques... toute une Amérique sous la coupe de la violence des armes et des sentiments refoulés. Le talent du dessinateur pour dépeindre ces vies sinistrées est grand : ses personnages sont des plus expressifs, quant aux décors dans lesquels ils évoluent, ils sont saisissants. Qu'il s'agisse d'un voilier pris en pleine tempête ("La belle Polly et le charpentier de marine") des instants ultimes d'un condamné ("Le grand voile noir"), de la fuite d'un Noir terrorisé par ses agresseurs ("Taneytown") d'un viol en pleine forêt ("Caleb Meyer") ou de l'exécution sommaire d'un fugitif dans une rivière ("Là où poussent les roses sauvages"), toutes ces scènes sont glaçantes de réalisme. Et la bichromie, différente à chaque histoire, choisie pour ces ballades, vient, par ses jeux d'ombres renforcer le côté noir de "Dans les pins". Une vraie découverte.

De l'autre côté de l'Atlantique, en France, presque à la même période, la vie de l'auteur d'un célèbre agitateur du tout début du 20ème siècle ferait presque figure de divertissement... N'exagérons pas, mais il est vrai que Alexandre Jacob, journal d'un anarchiste cambrioleur, signé Vincent et Gaël Henry (Sarbacane) restitue bien la vie tumultueuse, risquée et provocatrice, avec une bonne dose d'humour, de celui qui fut - et est encore ? - considéré comme le "modèle" d'Arsène Lupin. Une thèse que conteste Jean-Marc Delpech, un des cinq biographes de Jacob, dans la postface de cet album, tout en expliquant que la vie d'Alexandre Marius Jacob demeure pleine d'interrogations. Les auteurs de la bande dessinée, eux, choisissent de débuter son histoire à la veille du procès de l'anarchiste, en mars 1905, au moment où parait en une de "Germinal, journal du peuple", une déclaration de Jacob : "Pourquoi j'ai cambriolé". Et de terminer par la conclusion du procès et la condamnation de Jacob pour le bagne. Entre ces deux chapitres, c'est toute sa jeunesse qui est racontée, de ses jeunes années de mousse sur les paquebots, jusqu'aux cambriolages audacieux signés "Attila", et bien sûr, sa conversion aux idées anarchistes, et la formation de sa bande. Les dialogues de Vincent Henry parviennent parfaitement à rendre vivante la pensée Jacobienne sur la société, et les épisodes-clés de son parcours de cambrioleur sont racontés avec verve. Et Gaël Henry - au style graphique de la famille Blain - Sfar - dessine avec un dynamisme entraînant toutes ces années où Alexandre Jacob dérangeait tout le monde avec son "illégalisme pacifique"...

C'est à travers toute l'Europe que se déroulent les aventures de Silas Corey, de Nury et Alary (Glénat). Le tome deux du Testament Zarkoff clôt un diptyque qui lance le héros sur les traces de l'héritier unique, et fils naturel, de la comtesse Zarkoff, une femme à la tête d'une fortune colossale construites sur les cendres de la première guerre mondiale. Les aventures de Silas Corey, mi-détective, mi-espion, croisent plus d'un genre : après un point de départ de facture policière, (le meurtre d'un détective) l'intrigue tourne vite à une course contre la montre géo-politique, teintée de .... romantisme. En plaçant leurs personnages au coeur de l'Histoire - l'Europe de l'immédiat après-14-18 - Fabien Nury et Pierre Alary, donnent à lire tout à la fois un formidable récit d'aventures, parsemé de scènes spectaculaires assez époustouflantes (duel sur des toits en plein incendie, courses-poursuites dans les rue Munichoises, embuscade en forêt...) et un récit historique, où les peuples sont emportés par le tourbillon des événements, et peuvent s'inquiéter pour leur avenir commun. Et le romantisme dans tout cela ? Il est personnifié par les relations que Silas entretient avec les deux personnages féminins, forts, du diptyque : Nina, la femme de l'héritier, pour lequel il joue le chevalier servant et protecteur, et Marthe, espionne pour le compte du Deuxième Bureau français. Deux femmes qui le font vaciller, mais pour lesquelles il ne renoncera pas à sa vie solitaire... Au final, de cet alchimie des genres est né un personnage les plus attachants du moment, intrépide et flegmatique à la fois, humaniste dans l'âme. Un héros presque "vernien" comme il ne s'en fait plus beaucoup de nos jours...

Il est aussi question d'espions, mais dans l'Europe des années 50, cette fois. Kaplan et Masson forment eux un duo original, dont l'apparition remonte déjà à 2009 (dans "La théorie du chaos") et c'est un vrai plaisir de les retrouver dans cet ahurissant "Il faut sauver Hitler". Jean-Christophe Thibert, y reprend le mythe du Führer ayant échappé à la mort dans son bunker en avril 1945, et dont les adorateurs, eux, dans le secret, préparent le retour. Pas vraiment original, se dit-on, sauf que très vite, on voit l'habileté de l'auteur : il ne s'agit pas du vrai Hitler mais d'un sosie, un Français, Jules Lantier, germanophone distingué et acteur... Une trouvaille des services secrets français, pour enfumer les pays adverses, où Lantier est le personnage-clé de l'opération "Piège à cons". Cela marche si bien que le pauvre Hitler de pacotille (mais au demeurant très crédible) est devenu l'homme à abattre de tout le monde.... Il faut donc le tirer des griffes d'innombrables ennemis. Ce que font Kaplan, Masson et le facétieux japonais Watabe, dans une succession de scènes hyper-spectaculaires où les coups de poing pleuvent, les mitraillettes arrosent à gogo, les murs de chambres d'hôtel sont pulvérisés au bazooka, et des véhicules de toutes sortes finissent en amas de tôles informes. Le tout avec une précision, une élégance et une efficacité dans le trait qui forcent le respect. C'est même carrément du grand art ! Il y a évidemment une dimension parodique à tout cela, et ce second tome franchi un palier dans ce domaine. Et donne fortement envie de retrouver plus vite ces grands malades...

Mais il y a encore plus malade qu'eux, puisque entre en piste l'inénarrable Scott Leblancqui a l'immense honneur de croiser sur sa route Sa Majesté le Roi des Belges. Notre sympathique reporter, qui travaille pour le magazine "Bien en vue", où il tient avec une foi et un enthousiasme chevillés au corps la rubrique "Des animaux et des stars", est tout fier d'avoir obtenu une interview du roi Baudouin, car, comme il le dit : " J'ai le sentiment qu'un homme aussi charismatique doit avoir des choses passionnantes à dire sur le monde animal"... Sauf qu'il ignore qu'il va servir d'appât à une odieuse substitution d'altesse... et qu'il va tout simplement se faire enlever. Et sa brave maman, folle d'inquiétude va supplier le professeur Moleskine, habituel compagnon de route (mais qui se passerait bien de ce fardeau) de Leblanc. Les voici donc tous deux sur les traces du pauvre reporter, aux mains de méchants qui ont pour simple ambition de rayer de la carte URSS, Etats-Unis et Europe et d'installer un ordre nouveau... "Echec au roi des Belges", est déjà la quatrième aventure de Scott Leblanc et il faut dire sans détour : c'est toujours aussi débile... mais qu'est ce que c'est roboratif ! Voilà un pur pastiche de Tintin : c'est évident graphiquement, Devig dessinant dans un style tout hergéen ces aventures débridées, et cela se confirme au niveau des textes, écrits par Geluck. On ne compte plus les "diaboliques machinations", "sinistre forfait" et autre expressions surannées qui parsèment les conversations et récitatifs. La cerise sur le gâteau étant bien entendu la naïveté simplette du héros, toujours là pour poser les questions les plus stupides aux moments les plus délicats. Et en plus, sa mère est cette fois de la partie... Au secours !

Toujours les années 60, mais retour aux Etats-Unis pour le Watertown de Jean-Claude Götting - (Casterman). Philip Whiting travaille pour le cabinet d'assurances Barney & Putnam, dans la petite ville de Watertown. Dans sa vie terne et bien réglée, il y a ce passage quotidien et matinal par la pâtisserie Clarke, où il achète un muffin, servi par Maggie Laegger, l'employée que Whiting a toujours vue ici. Et voici qu'un jour, en réponse à son "à demain" habituel, Maggie répond "Non. Demain je ne serai plus là". Et le lendemain, en effet, la jeune femme n'est plus là. Mais son patron, n'y sera plus non plus, définitivement : il est mort, écrasé par une lourde étagère de sa cuisine... et personne ne revoit plus Maggie à Wattertown. Whiting se met en chasse... mais comment s'y prendre quand on est un simple agent d'assurance ?
Watertown, vaut tout autant par cette obsédante quête de la vérité menée par Whiting, qu'il mène avec difficultés car... détective, ce n'est pas son métier : "J'étais sûr qu'un auteur de roman policiers saurait trouver ici vingt scénarios possibles. Mais pour l'instant, je séchais", que pour les raisons intimes qui le poussent dans cette quête : " De modeste employé subalterne, je m'étais promu détective, tentant de confondre une meurtrière à laquelle personne ne semblait s'intéresser. J'avais peut-être une chance de devenir une personnalité considérée de Watertown Une célébrité locale dont on parlerait dans la gazette, et pourquoi pas jusqu'à Boston..."
Un double intérêt dans la lecture, servi par le style Götting, celui de ses débuts, qui s'accompagne pour la première de la couleur. Résultat : une Amérique des années 60, un brin vintage, et une véritable atmosphère, digne des romans et films noirs de l'époque. Avec une chute qui est loin d'être celle attendue au bout du chemin de Philip Whiting...

L'Eté Diabolik, de Smolderen et Clérisse (Dargaud), est lui encore plus étrange... et difficile à raconter. L'éditeur fait dans la sobriété : "Un agent secret sorti de nulle part, un accident dramatique, une fille troublante et la disparition de son père, le tout en deux jours... Pour Antoine, 15 ans, l'été 1967 sera celui de toutes les découvertes. " Cette tentative de mise en appétit rend difficilement justice à l'extraordinaire jubilation qui s'empare du lecteur de l'Eté Diabolik : voici une bande dessinée d'une immense richesse. Déjà, dans sa construction - les 100 premières pages sont un flash back sur le fameux été - cet album ménage admirablement le suspense sur ce qui s'est réellement déroulé au cours de cet été 67. Tous les éléments sont bien là, mais, à l'instar du narrateur, il nous manque les clés pour saisir quelles forces sont à l'oeuvre sous nos yeux. Clés qui nous sont données dans la seconde partie, plus de vingt ans plus tard, alors qu'Antoine est devenu écrivain, et qu'il a fait de cet épisode fondateur de sa vie un livre libérateur. Autre richesse du scénario de Thierry Smolderen, et non la moindre, cette magnifique idée d'introduire le célèbre personnage de Diabolik en toile de fond, et de réussir le tour de force d'en faire un personnage à part entière de l'histoire... sans être là "en chair et en os". Car c'est bien l'esprit de Diabolik qui plane sur toute ces pages, symbole parfait de la menace qui rôde, de l'homme insaisissable... Et si cet Eté Diabolik transporte autant ses lecteurs, c'est aussi grâce au dessin époustouflant d'Alexandre Clérisse. Ce qui frappe immédiatement, c'est évidemment les couleurs choisies par le dessinateur pour cet album, qui, tout en semblant provenir d'époques aussi variées que celle des Spoutniks, de Warhol ou encore de Pellaert, aboutissent finalement à une impression de lecture éminemment contemporaine.. et audacieuse. Une audace récompensée déjà par quelques prix, dont Le Fauve Polar SNCF 2016. 

C'est dans une Angleterre des années quatre-vingt dix que se déroule L'Exécuteur de Wagner et Ranson (Délirium). Harry Exton, ancien mercenaire rangé des missions, est tiré de sa retraite par un vieil ami, Carl, qui lui parle d'un moyen assez spécial de se faire un maximum de fric. Un jeu, pas vraiment légal, mais vraiment dangereux : les participants doivent éliminer une cible, dont ils ne savent rien, si ce n'est qu'elle leur a été désignée par une mystérieuse "voix". Chaque victoire rapporte un beau pactole à l'exécuteur... tout comme à sa Voix. Harry refuse dans un premier temps, mais quand il est lui même pris pour cible, et qu'il parvient à éliminer son tueur, le voici d'office dans la ronde infernale du jeu. Il devient à son tour un des exécuteurs en compétition, jusqu'à ce qu'il décide de sortir du jeu. Mais on ne quitte pas le jeu de son propre chef. Et si on le quitte, c'est les pieds devant. Harry n'est pas tout à fait d'accord...
Excellente chose que cette nouvelle édition par Delirium du "Button man" (le titre en vo) de John Wagner et Arthur Ranson. Quelle histoire prenante, et quel dessin ! Le scénariste John Wagner plonge son personnage dans une chasse à l'homme froide, où la violence n'a rien de fascinant. Et où, comme il l'écrit dans la préface "... il n'y a pas de gentil. Des tueurs sans pitié, oui, ça plein.... Et Harry lui-même est un être humain glacial et implacable comme on en voit peu". Certes, c'est un peu l'archétype de la figure du tueur à gages, sauf que là, il y a ce jeu, où les puissants de ce monde jouent avec la vie de autres, avec toute l'arrogance qui peut caractériser certains riches. Et, surtout, tout cela est sublimement découpé, et mis en images, par Arthur Ranson, dont le trait ultra-réaliste subjugue dès la première planche. Et ses décors, que ce soit sa campagne, qui suinte littéralement d'angoisse, ou sa ville, nappée d'un brouillard mortel pour qui s'y perd, le tout dans une ambiance nocturne, tout est réuni pour un thriller, un vrai, qui fait flipper.

L'Homme qui ne disait jamais non, par Tronchet et Balez (Futuropolis) ne suscite,lui, guère l'angoisse... bien au contraire ! Voici l'histoire d'Etienne Rambert, amnésique dès sa descente de l'avion à Lyon, après un long voyage en provenance de l'Amérique du Sud. Violette, une hôtesse de l'air qui avait déjà repéré l'énergumène dans l'avion, lui vient en aide, ravie de rencontrer son premier amnésique, un sujet parfait dans le cadre de ses études de psychologie. Sur le chemin qui les mène vers le domicile supposé d'Etienne, elle lui demande même si elle peut prendre des notes pour sa thèse, sur cet état qui la fascine. Le jeune homme, encore déboussolé par son état, accepte et voici l'improbable couple aux portes de la luxueuse maison moderne du dénommé Etienne Rambert. Violette décide d'arrêter là son rôle de chaperonne, persuadée que son passager va retrouver les siens, et forcément, les souvenirs qui vont avec, mais personne ne vient ouvrir au coup de sonnette d'Etienne. Violette décide de rester avec lui et tous deux entrent dans la maison. C'est le début d'une drôle d'aventure pour tous les deux...
Après bien d'autres, Didier Tronchet et Olivier Balez s'emparent du thème de l'amnésie et nous embarquent dans une histoire mouvementée, de Lyon à Quito. L'habileté du scénariste est double : réussir à ne pas lâcher son lecteur avant le dénouement tout en éliminant ce qui a déjà été fait sur le thème de celui-ou-celle-qui-a-perdu-la-mémoire-et-qui-se-demande-quand-tout-cela-va-s'arrêter (non ce n'est pas un titre de Hillerman). Et c'est grâce au formidable personnage de Violette, hôtesse de l'air "mais pas que" que le pari est réussi. Car c'est elle qui, au fil des pages, énumère les cas déjà rencontrés dans les polars, et leur règle leur compte définitivement : "Ne me faites pas le coup du jumeau, qui est l'autre grosse ficelle des intrigues policières". Par exemple. Il est d'ailleurs clair que cet album a comme fil rouge un hommage au récit policier, qu'il soit littéraire, ou cinématographique, et que certaines scènes ont un petit accent hitchcokien très agréable.

Et pour finir, Mort aux vaches, de Ducoudray et Ravard (Futuropolis). Un quatuor de braqueurs vient de réussir son coup : un beau magot prélevé sans heurts à l'agence BK, de Clermont l'Abbaye. Mais pas question de claquer tout le fric sans précaution. Non : rien ne vaut une bonne mise au vert, à la campagne, donc, histoire de se faire oublier un peu de la flicaille et d'attendre tranquillement que les choses se tassent. C'est en tous cas l'avis - et les ordres - du chef de la bande, Ferrand. C'est le cerveau du casse, et il est de tendance un peu anar. Ses trois acolytes sont eux aussi un peu typés : José, est le compagnon de route, et de plumard, du chef. Un Espagnol aux allures de vieux beau. Romuald, alias Romu, est le préposé aux biceps. C'est l'armoire à glace du groupe, mais sans la glace, car le garçon a tendance à oublier de réfléchir. Quant à l'élément féminin du gang, c'est Cassidy, grande gueule et délurée, qui n'hésite pas à jouer de la langue, ou autres attributs qui font tourner certaines têtes, quand les situations deviennent délicates...
Tout ce petit monde se replie donc dans la ferme d'un oncle de Ferrand, et de son fils, le cousin Jacky, et espère qu'un mois suffira à faire tomber le braquage dans l'oubli. Mais nous sommes en 1996, et se planquer dans une ferme en plein crise de la vache folle, c'était peut-être pas la meilleure des idées...
Déjà associés sur l'excellent "La Faute aux Chinois", où ils donnaient leur vision, teintée d'humour noir, du capitalisme mondialisé, François Ravard et Aurélien Ducoudray nous amènent cette fois sur un terrain plus rural, mais non moins drôle, avec cet album digne des meilleurs polars français des seventies... Ce qui frappe très vite, ce sont ces dialogues gouailleurs et percutants, réussis de bout en bout, et qui constituent un véritable hommage à Audiard. On croise une foule de personnages, légèrement abrutis, tout au long des pages, de l'oncle taiseux et du cousin sanguin, à une filière de Roumaines à marier, en passant - évidemment - par des gendarmes gentils mais un peu concons... Tout ce monde tourne autour du quatuor, qui lui non plus ne brille pas toujours par sa sagacité, et on tourne les pages en se demandant avec délectation comment tout cela va finir. Côté dessin, c'est également un plaisir de retrouver le trait de François Ravard, qui est tout aussi à l'aise dans ce registre, plutôt léger, que dans son travail, plus sombre, sur "Les mystères de la Cinquième République". Il y a parfois des airs de faux-frères entre Ferrand, et Paul Verne, le commissaire de sa série chez Glénat. Bon, Ferrand est tout de même plus un cousin de Lino Ventura... y compris dans le caractère. Vous l'aurez compris : voici un polar qui sort des sentiers battus, intelligent, bien construit, où l'humour règne avec une légèreté inversement proportionnelle au poids d'Attila, le taureau de compétition omniprésent dans " Mort aux vaches ". Donc pas d'hésitation : foncez à la campagne !