« Hollywood a tenté d’être à la hauteur du sang versé dans tous ses films. Aucune ville n’a jamais autant abrité d’espoirs déçus, de déceptions forcées, de réussites sublimes pour plus encore de déchéances inavouables. Comment croire cela ait pu s’effacer avec le temps. Comment imaginer que personne ne puisse entendre la voix de tous ces movie ghosts ? »
Tels sont les derniers mots de Stephen Desberg dans la post-face à cet album. Et il répond à sa propre question finale par la création du personnage central de ce diptyque, Jerry Fifth, un détective de Los Angeles au talent bien spécial : il peut parler avec les morts. Et tous ces fantômes de l’âge d’or du 7ème art, semblent très décidés à vouloir lui confier une mission. D’abord, il doit retrouver Louise Sandler, une actrice de la MGM, assassinée et disparue il y a des années, en pleine ascension. Retrouver une morte, pour qu’elle puisse regagner le monde des morts en paix. Et à peine a-t-il réussi à mener à bien cette première affaire, qu’une autre starlette se présente à lui : Odette Armstrong, suicidée il y a une soixante d’année. Qui lui pose une question simple dès leur première rencontre : « Pourriez-vous tomber amoureux de moi ? ». La jeune morte est jolie, mais comment étreint-on un fantôme, si tant est qu’on tombe effectivement amoureux ? Et pourquoi cette question ? Et surtout : pourquoi lui, Jerry Fifth, est-il le destinataire de cette mémoire hollywoodienne que certains voudraient voir préservée dans l’ombre, d’autres révélée ? C’est un des autres mystères de cette histoire assez envoûtante…
Ce scénario imaginé par Desberg est à mon goût l’un de ses plus originaux, et on suit les pas de son enquêteur de l’au-delà avec une certaine fascination, et une vraie curiosité : mais comment cet homme va-t-il se sortir de toutes ces fréquentations fantomatiques ? Assez bien à l’issue de ce premier volume, même s’il ne semble pas toujours comprendre ce qui lui arrive. Il faut dire qu’il évolue dans une ambiance crépusculaire du début à la fin, et que tout l’album est éclairé par des enseignes de commerces aux néons blafards, des ampoules faiblardes de sous-sols d’archives de journaux, des lampadaires fatigués de rues pas très sûres… Tout cela est l’oeuvre du dessinateur hongrois Attila Futaki, qui réussit un Los Angeles parfait pour y faire évoluer des personnages disparus… mais bien présents. Il se dégage une atmosphère toute à la fois puissante et feutrée de ses planches, sa manière à lui de s’emparer de cette histoire de fantômes hollywoodiens. Tout en glissant des hommages à d’autres légendes de notre époque, puisqu’on remarque au détour de cases le Motorhead de feu Lemmy à l’affiche du Rainbow ou plus loin une affiche des Sopranos et de son inoubliable patriarche Tony. Ce premier volume peut se lire seul, mais on attend tout de même avec une grande curiosité le second, pour découvrir comment Jerry va réussir à continuer à vivre au milieu de tout ce monde d’un autre temps… et ce qu’il s’obstine à cacher.
Et si vous voulez en savoir un peu plus sur Attila Futaki, une petite vidéo sympa
Movie ghosts 1 – Sunset, et au-delà ***
Scénario Stephen Desberg et dessin Attila Futaki
Bamboo (Grand Angle) - 72 pages couleurs – 16,90 € - Sortie le 27 avril 2022