« Vous
connaissez-vous depuis longtemps, messieurs Niven et Ustinov ?
-
Depuis l’âge de pierre, darling… Depuis la guerre. Depuis …
« Copperhead ».
-
« Copperhead » ? Qu’est-ce que c’est ?
En
ce mois d’octobre 1977, sur le tournage de « Mort sur le
Nil », la jeune femme qui interroge les deux stars de cette
adaptation de Mort sur le Nil ravive de vieux souvenirs :
«
Copperhead, mon chou, c’est le secret, c’est le théâtre, c’est
l’aventure… Il y a même une pincée d’amour... »
Et
le lecteur de quitter le soleil de plomb de l’Egypte pour se
retrouver quelques pages plus loin en 1943, à Londres, sous les
bombes de la Luftwaffe et sur les pas du Lieutenant-Colonel David
Niven et du soldat 2ème classe Peter Ustinov… et de la
rocambolesque opération imaginée par l’Intelligence Service pour
détourner l’attention d’Hitler du futur débarquement en
Normandie. Rocambolesque, et cinématographique, car cette opération
de désinformation consistait à tourner des images d’un parfait
sosie du général Montgomery, à Gibraltar, et ailleurs sur le
continent africain, pour faire croire à un débarquement imminent
depuis l’Afrique vers le Sud de la France.
Jean
Harambat raconte toute la préparation de cette opération,
depuis la rencontre entre Niven et Ustinov, jusqu’au départ pour
Gibraltar du faux Montgomery, en passant par le recrutement de
Clifton James, l’acteur sosie. Sans oublier les (més)aventures
amoureuses de David Niven avec, Véra, une brune envoûtante et
véritable femme fatale de cinéma…
Dès
le début, Harambat nous embarque dans son histoire, en nous rendant
éminemment sympathique le duo Niven / Ustinov, improbable décalque
de Blake et Mortimer, en autrement plus drôle. Les bons mots fusent
et les répliques assassines pleuvent… Une de mes préférées :
« Une
aussi belle femme qui fait d’aussi vilains jeux de mots ne peut pas
être une mauvaise personne …
-
Tomber amoureux d’une femme pareille, autant mettre son pénis sur
une enclume, Niven ! »
Ou
cette manie – authentique – de Churchill de parler du « caporal
Hitler »…
Et
puis, c’est un vrai bonheur de lire des extraits des deux autobios
de Niven (Décrocher la lune) et Ustinov (Cher
moi), distillés judicieusement tout au long de l’album par
l’auteur. Sans oublier celle du sosie lui-même, le méconnu
Clifton James, qui eut son heure de gloire… bien après cette
opération, restée longtemps secrète. Il joua même son propre rôle
dans « I was Monty double », comme le rappelle Ustinov
dans ses mémoires, ce qu’Harambat ne manque lui-même pas de
rappeler dans son épilogue, en reproduisant l’affiche originale du
film. Epilogue qui boucle le récit, puisqu’il se déroule sur le
tournage de Mort sur le Nil. Entre temps, le dessinateur nous
aura entraîné, sur plus de 150 pages d’un trait élégant,
extrêmement lisible, dans une aventure toute à la fois échevelée
et … distinguée. Riche en rebondissements, elle est convaincante
aussi bien pour son suspense – car il y en a vraiment – que par
l’extraordinaire trio Niven – Ustinov – James. Et que dire de
la sublime Véra ? « Opération Copperhead », tout
à la fois récit d’espionnage, romance impossible, comédie
militaire, est aussi la preuve qu’il est vraiment possible de faire
de la bande dessinée historique en sortant réellement des sentiers
battus.
Opération
Copperhead ****
Scénario
et dessin Jean Harambat
Dargaud,
2017 - 164 pages couleur – 19,99 €