Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog.
Bonne balade dans le noir !

samedi 13 décembre 2014

Angoulême 2015 : La Sélection du FAUVE POLAR SNCF


Dans une petite cinquantaine de jours, le successeur de "Ma révérence", lauréat de l'édition 2014, et signé Lupano et Rodguen sera connu. La tâche du jury de ce Fauve Polar, parrainé par SNCF depuis sa création en 2012 s'annonce particulièrement ardue, tant les cinq albums retenus sont de qualité.
Il s'agit de :

- Fatale, de Cabanes et Headline, d'après Manchette (Dupuis)
- Gotham Central , de Lark, Brubaker et Rucka (Urban Comics)
- Moi, assassin, de Keko et Altarriba (Denoël graphics)
- Petites coupures à Shioguni, de Chavouet (Picquier)
- Wet moon , de Kaneko (Delcourt)


Et en regardant tout ça de près : une des meilleures adaptations de l'année (Fatale), une des meilleures visions de Batman, par la crème des auteurs de crime comics (Gotham Central), un des meilleurs albums de l'année tout court, qui vient juste de remporter le Grand Prix de la critique ACBD 2015 (Moi, assassin), un album à la construction et au style qui me semblent remarquables (je dis me semblent parce que je ne l'ai pas encore lu et que ce que j'en ai vu incite à s'y plonger) (donc : Petites coupures à Shioguni) et un manga bien bizarre, par l'auteur du non moins étrange "Soil" (Wet moon).

Alors, rendez-vous fin janvier, je serai en direct d'Angoulême pour vous tout vous raconter, ou presque, sur ce futur Fauve Polar SNCF 2015.

samedi 29 novembre 2014

[Apparition des Surhommes] - Wonderball 1 - Le Chasseur (Pécau, Duval et Wilson)

San Francisco, août 1983. L'inspecteur Spadaccini a du pain sur la planche : 9 personnes exécutées en pleine rue, en moins de 10 secondes, par un tireur isolé... et pour le moins habile et rapide. L'endroit où était placé le tueur, un toit en terrasse offrant une vue imprenable et un angle de tir parfait, est vite identifié par l'inspecteur, qui découvre aussi sur place, la signature du sniper : 9 douilles disposées pour former un signe qu'il ne déchiffre pas tout de suite. Mais les douilles elles, parlent immédiatement à Spadacinni : le fusil qui a servi au massacre est un Carcano, le même que celui utilisé par Lee Harvey Oswald. S'il en est sûr, c'est parce qu'il était là, 20 ans plus tôt, en novembre 1963, à Dallas, et qu'il faisait partie du service de sécurité qui n'a pu empêcher l'assassinat de Kennedy. Commence alors pour "le flic le plus désaxé de la ville" - dixit le San Francisco Tribune - une enquête qui va le ramener vers un passé fait de projets scientifiques top secrets, dont les ratés éclatent au grand jour et risquent bien d'éclabousser beaucoup de monde s'ils sont dévoilés...
Pécau et Duval ont placé cette nouvelle série policière sous l'égide d'Antonio Gramsci, dont la citation "Un monde se meurt, un nouveau monde tarde à apparaître... Dans ce clair-obscur apparaissent les monstres". Une citation que Colin Wilson illustre dès la première planche, où est également donnée la clé du surnom de Spadacinni : Wonderball (en fait, l'équivalent américain des Kinder Surprise, avec leur jouet à l'intérieur). Bon, ce démarrage n'annonce, bien sûr, par un roman graphique sur la vie du fondateur du Parti Communiste italien que fut Gramsci, mais bien un polar qui joue intelligemment avec un épisode de l'Histoire universelle, l'assassinat de Kennedy, bien présent dans la mémoire collective. Pécau et Duval, en fans du Dirty Harry d'Eastwood, ou du Bullit campé par McQueen, ont choisi d'envoyer au feu un inspecteur du même acabit, un peu tête brûlée, toujours à la marge de la légalité, et ont introduit un élément cher aux adeptes de la théorie du complot : un secret pour lequel les grands moyens sont mis en oeuvre pour qu'il le demeure. Le tout est donc dessiné par Colin Wilson, parfait pour ce genre d'histoire, en tous cas l'homme de la situation pour restituer les ambiances d'époque. Cela donne un premier tome réussi, avec un final en cliffhanger, of course...

Wonderball - 1 : Le Chasseur ***
Scénario Fred Duval et Jean-Pierre Pécau - Dessin Colin Wlison
Delcourt, 2014 – 56 pages couleur – (Série B)
14,50 €

dimanche 23 novembre 2014

[Steve is back. En bleu] - McQueen : Trois petits singes (Van der Zuiden)

Détective privé, cela n'use pas que la carcasse et les muscles de ceux qui exercent cette profession de dur à cuire : ils doivent également prendre garde à ne pas y laisser leur santé mentale, si l'affaire sur laquelle ils sont leur torture trop l'esprit.
Et c'est bien ce qui arrive à Mc Queen, privé à New York, pris dans le double feu d'une enquête qui vient de laisser sur le carreau son meilleur ami et associé, et dans les souvenirs douloureux d'un passé qui lui a coûté sa place dans la police... Et voici le privé obligé de suivre une analyse, menée par une accorte et pulpeuse psychanalyste, à qui il raconte par le menu les multiples rebondissements de cette affaire qui le tourmente. Tout tourne autour de la disparition d'une jeune fille, nièce d'un antiquaire, "enlevée" - en même temps qu'une statuette à 25 000 dollars - par le secrétaire du marchand d'art...

EmilioVan der Zuiden, a imaginé, sur cette base, une très réjouissante histoire estampillée dès la couverture "A new hard boiled mystery". Si tous les ingrédients de l'hommage aux récits de privé à la Dashiell Hammett sont bien là, et mixés avec bonheur, c'est surtout par son traitement graphique que ce premier tome de "Mc Queen" fait mouche : le héros à la face simiesque et... bleue, dénote dans la galerie de personnages. Est-ce un homme ? Un animal ? Il se pose lui-même la question... Il se dégage en tous cas de ce privé-là, une énergie, une vitalité, à la base même du dynamisme du récit. Vitalité accentuée par une mise en page inventive, parfois audacieuse, qui fait passer cet album dans la catégorie des découvertes intéressantes, alors qu'il aurait pu tomber dans la pile "un polar-de-plus-accumulant-les-clichés". Bon, d'accord, on n'échappe pas à une galerie de pin-ups impressionnante (même la psychanalyste a oublié d'être moche... mais qui a dit que les psychanalystes devaient être moches ? Bon, bref, vous voyez l'idée), et à des méchants tout ce qu'il y a de plus classiques, mais tout ce petit monde se croise avec un naturel très convaincant. Et est dessiné avec une certaine élégance par Van der Zuiden. Une belle surprise de cette fin d'année, donc.

Mc Queen, 1/2 - Trois petits singes ***
Texte et dessins Emilio Van der Zuiden
Paquet, 2014 - 48 pages couleurs - 13,50 €

mardi 11 novembre 2014

[Art et Cruauté] - Moi, assassin, par Altarriba et Keko (Denoël graphics)

"Tuer n'est pas un crime. Tuer est un art"
Tels sont les premiers mots d'Enrique Rodriguez Ramirez, professeur d'Histoire de l'Art à l'université du Pays Basque, et personnage principal d'une histoire glaçante, signée Antonio Altarriba et dessinée par Keko . Et quel personnage ! L'homme a érigé l'assassinat au rang d'oeuvre d'art et exécute, sans mobile aucun, des victimes choisies au hasard de son quotidien.
 "Tueur en série ? Non... je refuse que mon travail soit rangé dans cette catégorie. Fusillades, pendaisons, électrocutions, exécutions en tous genres : voilà bel et bien des meurtres en série" : Et voilà une des innombrables réflexions qui habitent le très cérébral Enrique, persuadé du reste ne jamais être pris tant il prend de précautions dans l'exercice de son art...

Album époustouflant, tant narrativement que graphiquement, "Moi assassin" réussit l'exploit d'entremêler considérations sur la peinture, la psychologie, les relations de l'Espagne avec "son" Pays Basque, les rapports amoureux, luttes pour le pouvoir universitaire... tout en maintenant un suspense implacable sur le destin final du professeur Rodriguez Ramirez.
Antonio Altarriba, déjà auteur d'un "Art de voler" en passe de devenir un classique de la bande dessinée (dessiné par Kim) est associé à Keko, dont le noir et blanc, ici accompagné de la seule couleur rouge, par tâches éminemment distillées, le range auprès des plus grands maîtres du genre. "Moi, assassin" est une bande dessinée âpre, riche, intelligente, subtile, érudite, déroutante, captivante... et noire, très noire !
Moi, assassin ****
Texte Antonio Altarriba et dessin Keko
Traduction d'Alexandra Carrasco
Denoël Graphics, 2014 - 136 pages noir, blanc et rouge. - 19,90 €


dimanche 2 novembre 2014

[See you soon !] - Ann Bonny : une femme de goût quitte Ankama

 Ann Bonny, alias Audrey Bonnemaison, et réciproquement, vient juste de quitter Ankama. Je l'avais rencontrée à Angoulême, pour un petit échange sur la collection "Hostile Holster", où elle a fait feu de tous bois et publié des albums vraiment marquants. Et permis la réunion d'un duo de choc El Diablo / Cha, qui fait des merveilles.

 
 Bédépolar - Peux tu, pour commencer, nous rappeler comment et quand a été créé le label Hostile Holster, avec quel esprit ?
Ann Bonny - C'est un label que je n'ai pas créé, mais récupéré en 2011. A cette époque avait déjà été publié par exemple"We are the night", d'Ozanan. Je suis arrivée avec une casquette "BD et polar", suite à mes expériences précédentes dans l'édition (j'ai par exemple publié un petit ouvrage sur le polar, au Cavalier Bleu, signé avec mon prof de fac, Daniel Fondanèche, et ensuite j'ai monté une petite agence d'illustrateurs), et j'ai eu l'envie de faire venir des romanciers chez Ankama. L'idée étant de trouver des bonnes histoires. En attendant que les projets se concrétisent, notamment le Maori de Caryl Férey et Giuseppe Camuncoli, j'ai procédé à des achats de droits

Un peu tous azimuts, car la collection donne une impression d'éclectisme
C'est vrai que graphiquement, c'est très éclaté, un peu à l'inverse d'un de nos autres labels, "619", où là pour le coup, on a une vraie cohérence graphique, plus dans je genre SF-polar d'ailleurs. Pour Hostile Holster, j'avais envie de faire un peu le contraire, avoir plutôt une ligne sur le crime, au niveau scénario, mais où graphiquement je ne serai pas limitée dans mes choix. J'aime des choses très différentes, dans ce cadre "crime". Ce qui a donné des choses très différentes comme "Gyakushu", qui collait à mon avis très bien à ce que fait Ankama, mais aussi, un comics comme "Le tueur de la green River", en achats de droits, puis ont suivies des productions qu'on a lancées comme "Pizza Road Trip" , "Maori". "Sin Titulo" de Cameron Stewart, est aussi un titre que j'ai acheté, mais là, je connaissais l'auteur depuis très très longtemps, on discutait pas mal pendant le travail sur Sin Titulo, il était assez logique que je devienne son éditrice française.

En 2014, la nouveauté phare est ce titre signé Caryl Férey, Maori, qui reprend les personnages de Zulu et Utu , avec Giuseppe Camuncoli. Comment a été accueilli cet album ?

Bien, car les fans de Caryl ont bien reconnu sa patte, et avec Camuncolli, cela a bien fonctionné. Nous avons été obligé de faire cet album dans un délai très très court du fait de l'emploi du temps du dessinateur, mais cela ne les empêche pas d'avoir un autre projet, peut-être plus noir, moins policier. Sinon, en matière de projet, nous avons l'adaptation de Puzzle, le roman de Franck Thilliez, avec un auteur "maison" qui travaille notamment sur Dofus, Mig, et qui fait par ailleurs du polar chez un autres éditeur. Et sur ce projet, on est en train de vraiment s'amuser, tant la trame de "Puzzle" est, graphiquement, une matière incroyable. C'est un vrai thriller, où on ne sait ^plus vraiment, un peu comme dans Sin Titulo, où est la réalité... Nous avons prévu de sortir l'histoire en 2 tomes, un cette année, en octobre et l'autre au premier trimestre 2015. Nous souhaitons une parution rapprochée des deux tomes, comme nous le faisons pour Maori.

Pour 2014, as-tu d'autres projets ?
Oui. A mon arrivée, j'ai publié "Mafia tabloids", avec Lelio Bonnacorso, au dessin, et là, je l'ai présenté à un romancier qui s'appelle Loulou Dedola, qui a écrit un récit très autobiographique, qui raconte l'histoire d'un gars qui tombe amoureux d'une magnifique africaine, et qui, par amour, va progressivement tomber dans les réseaux de la mafia nigérienne...Une BD cette fois toute en couleurs, contrairement à "Mafia Tabloids", qui était elle tout en marron [Note : cet album est sorti en mai dernier sous le titre "419, African mafia"]

Quels ont été à ce jour, les succès d'Hostile Holster ?

"Le tueur de la Green River" a bien marché. "Pizza Road Trip" également, peut-être aussi porté par sa présence dans différentes sélections. Mais il y a eu également beaucoup de bouche à oreille, et pour El Diablo, créateur des Lascars, cela a été, je pense, le moyen de se rapprocher d'un autre univers, qui est celui aussi des "Monkey business", qu'il a fait pour le label "619" d'Ankama, un univers de bande de copains, de losers... Donc Pizza a bien fonctionné aussi pour cela, parce qu'El Diablo s'est senti à l'aise avec ces univers. Et on porte aussi beaucoup le Caryl Férey. 

Hostile Holster, c'est combien de titres par an : 4 à 6 ?
Oui , c'est cela, cela dépend aussi des achats de droits, car certaines fois cela peut se faire très vite. Mais cette année, ce sûrement un petit peu moins de titres, car c'est une volonté d'Ankama de réduite un peu la voilure.

La collection n'est tout de même pas menacée ?
Non, je ne pense pas ! D'autant que la collection commence à être repérée, sa cohérence aussi, et la maquette plait pas mal...

Merci Audrey !

 
Oui, vraiment : merci beaucoup Audrey pour cette belle collection, et pour la dernière balle du chargeur : le tome 1 de Un homme de goût de Cha et El Diablo. J'en profite ici pour reproduire l'avis de l'éditrice sur son dernier plat, plus que goûtu...

Un homme de gôut 1 : Mise en bouche****
Texte El Diablo et dessin Cha
Ankama, 2014 - 64 pages couleurs
Collection Hostile Holster - 13,90 € 




dimanche 19 octobre 2014

[Chronique] - JKJ Bloche 24 – L'Ermite, par Dodier (Dupuis)

Jérôme K. Jérôme Bloche est convoqué chez un notaire, pour une affaire testamentaire. Oh, ce n'est pas lui qui est concerné directement, mais un homme qu'il ne connaît pas, un certain Antoine Oliveira, habitant de Villard le Vieux, dans les Alpes de Haute Provence. Le notaire confie à Jérôme une lettre destinée à cet homme, une lettre dont il ignore tout du contenu. L'homme de loi précise juste au détective que ce courrier lui a été remis par un client, décédé la veille, et qu'elle ne peut être envoyée par la Poste, le village d'Oliveira ayant été rayé de la carte suite à son engloutissement sous les eaux lors de la construction du barrage de la région. Voilà donc Jérôme en avion pour le sud, avec Babette, son éternelle fiancée...et pour l'occasion coach personnel pour passager handicapé des airs. Une fois sur place, le duo prend aussitôt les petites routes de montagne pour atteindre Villard le Vieux, ou ce qu'il en reste. Un orage de grêle et un accident plus tard, et les voilà en présence du destinataire de la lettre. Le vieil homme va avoir une étrange réaction à la lecture de ce pli apporté par Jérôme et Babette...

Le désormais plus célèbre détective parisien - après Nestor Burma, d'accord - quitte cette fois son univers urbain pour une escapade montagnarde, et une aventure qui tient plus de la mission administrative que de l'enquête. Dodier met en place pour ce vingt-quatrième tome un récit à double niveau : le périple du duo de messagers Jérôme-Babette d'un côté, et le passé de l'homme qu'ils doivent retrouver, de l'autre. Comme toujours, les scènes où le couple est en action sont éminement vivantes, avec cette tension née de leurs caractères bien trempés, et de leurs façons respectives de réagir face à l'imprévu, bien souvent divergentes. Cette petite atmosphère électrique, légère, vient atténuer l'histoire beaucoup plus sombre, elle, de l'ermite - l'homme destinataire de la lettre - et de son fils, narrateur d'un passé tragique et pesant. Dodier réussit une fois de plus à faire passer des émotions , des sentiments, en un mot de l'humanité, à partir d'une trame narrative simple. En cela JKJ Bloche reste une série vraiment à part, et elle traverse les années sans jamais succomber aux modes, graphiques notamment, du moment. Un manque d'évolution de la part de Dodier ? Pas vraiment : son trait s'est affiné au fil du temps, son jeu sur les ombres perfectionné, et son talent pour créer des situations angoissantes en quelques cases demeure intact. Pour résumer, voilà une série qui continue de conserver une fraîcheur d'esprit, et une intelligence qui font plaisir : passer un moment avec ce brave Jérôme, c'est presque se réconcilier avec notre société malade. Un remède indispensable, non ? 

Et si vous avez raté quelques autres tranches de la vie trépidante de JKJ Bloche : le lien vers le site de toutes ses aventures.  

Jérôme K Jérôme Bloche 24 – L'Ermite ***
Scénario et dessin : Alain Dodier
Dupuis, 2014  - 56 pages couleur - 12 €

dimanche 12 octobre 2014

[Prix SNCF polar BD 2015] - Docteur Radar, de Simsolo et Bézian (Glénat)

Aristide Vernon est retrouvé pendu dans sa cave. Bruno Vaillant est repêché dans l'Elbe, le visage écrabouillé. Gontran Saint-Clair est découvert dans le Paris-Berlin, empoisonné au curare. Trois victimes, et un point commun :  trois hommes de science travaillant sur la conquête de l'espace. Ferdinand Straub "gentleman-détective" s'intéresse à l'affaire. Il se rend chez la veuve de Saint-Clair, qui lui remet une liste de savants en contact avec feu son mari. Sur cette liste figure justement la prochaine victime, le docteur Lenoir, qui s'écroule, dans le hall de chez Maxim's, piqué par un scorpion ! Straub arrive à l'instant même où le drame vient de se jouer, et il découvre que Lenoir avait rendez-vous avec un mystérieux docteur Radar. Serait-ce l'esprit maléfique à l'oeuvre dans cette gigantesque opération d'éliminations de scientifiques ? Straub se lance à la poursuite de Radar...

Déguisements, course-poursuites, passage dans les égouts et déambulations dans des ruelles inquiétantes, commissaire de police ridicule, héros intrépide, assistant débrouillard, jeune femme en détresse... tous les ingrédients du roman feuilleton sont là. C'est bel et bien un hommage aux héros des années 50 qu'a souhaité rendre Simsolo, et c'est magnifiquement réussi. La très bonne idée est d'avoir introduit dans la galerie de personnages la figure de Pascin, le peintre "dépravé", ici en acolyte du détective, et d'en avoir fait la partie un peu canaille de Straub. Frédéric Bézian a suivi les pistes de son scénariste, et Pascin est ainsi une "sorte d'Amalric mâtiné de Gainsbourg". Et son Straub est "une espèce de Philippe Clay". Voilà pour les portraits. Et pour ce qui est d'animer tout ce petit monde de la nuit, Bézian l'avoue : "J'ai dû trouver ma propre façon de faire. Outre la gestuelle des personnages, qui vient plus du théâtre et du cinéma expressionniste que de la bande dessinée, il y a le trait, le geste que j'ai fini par acquérir. Parfois, j'impose à mes personnages des postures extrémistes, difficilement compréhensible. Je veux dire que moi-même j'ai du mal a dessiner ce que j'imagine". Que Bézian soit rassuré ! Non seulement le lecteur comprend bien ses intentions, mais de plus, ce Docteur Radar se dévore, tant on est vraiment dans une ambiance Rocambole - ou Rouletabille - immédiatement accrocheuse. Frédéric Bézian, dont le style est parfois qualifié de "difficile", signe ici un album plus accessible pour le "grand public" que son précédent  - et excellent - titre ("Aller retour"). C'est donc aussi le moment de (re)découvrir un très grand dessinateur...
A noter que "Docteur Radar" fait partie de la sélection pour le Prix SNCF du polar BD 2015.

 
Docteur Radar, tueur de savants
Texte Noël Simsolo et dessin  Frédéric Bézian
Glénat, 2014 – 64 pages couleur  - 19,50 €

vendredi 10 octobre 2014

[Prix] – Le Dahlia noir, adapté par Miles Hyman, Trophée 813 de la Bande Dessinée 2014

C'est la saison des prix, et en attendant le Goncourt des lycéens, ou celui que vous préférez, l'association « 813 » des Amis des littératures policières a décerné ses Trophées, et celui qui récompense la meilleure bande dessinée de l'année, est allé, après le vote des adhérent-e-s, à Miles Hyman et Matz, pour leur adaptation du célébrissime "Dahlia Noir" de James Ellroy
Il s'agit du reste plus d'une adaptation du scénario écrit par David Fincher, que lui même a écrit pour le cinéma, que d'une adaptation du roman d'Ellroy. D'où les quatre noms au générique de ce volume dense, (170 pages, il fallait bien ça) paru comme il se doit dans la collection Rivages/Casterman/Noir.
Un succès attendu, à vrai dire, car même si la concurrence était relevée (Mon ami Dahmer, Blacksad 5, J'aurais ta peau Dominique A, Tyler Cross et Crève Saucisse), il lui a été difficile de lutter contre un album en pleine phase de succès. Et il fallait voir la file d'attente à Villeneuve lez Avignon, le jour même où les Trophées étaient proclamés au festival de Pau : les piles d'albums ont fondu à vitesse grand V... tout comme celle de Max Cabanes, d'ailleurs (son "Fatale" est superbe, mais je me répète).

Les autres lauréats de ces Trophées sont Sandrine Colette, pour "Les Noeuds d'acier" (Denoël), dans la catégorie roman francophone, Sam Millar pour "On the brinks" (Seuil) dans la catégorie roman étranger et Philippe Blanchet pour son livre d'entretien avec François Guérif "Du polar" (Rivages), dans la catégorie Prix Maurice Renault. Tout ça vous parait obscur ? Normal c'est du Noir. Mais, un petit tout sur le blog de 813, et vous serez éclairé(e).

vendredi 3 octobre 2014

[Festival sudiste] – Villeneuve lez Avignon : 10 ans de polar !

C'est parti pour la dixième festival du polar de Villeneuve-lez-Avignon, placé cette année sous la bannière "Arts et Polar". Une édition qui s'annonce somptueuse, avec un programme riche, et rappelons pour les béotiens - comme moi - qui n'y sont jamais allé, dans un cadre splendide !

Déjà, la ville est chouette, mais les organisateurs ont la bonne habitude d'investir l'historique Chartreuse pour y accueillir projections, tables rondes et dédicaces des auteurs.
Et ça commence dès ce vendredi à 18h30 avec la projection de la sélection des courts-métrage du prix SNCF du polar 2015, suivie de celle de "The Lodger", film muet d'Hitchcok, accompagné par l'Orchestre Régional Avignon Provence. Rien que ça...

 
Coté auteurs invités, y'en a des tas, (un petit clic ici pour avoir la liste) dont Marc Villard, "auteur associé" à cette édition. 

J'aurais la joie de le retrouver autour d'une table ronde avec Miles Hyman (auteur de l'affiche de cette année) Max Cabanes et Jean-Christophe Chauzy, autour du thème "quand les écrivains du polar se mettent en cases". Ce sera dimanche à 14h.

La veille, samedi, à 14 heures, j'aurai passé au grill Anthony Pastor.
 
Et pour la BD, outre ces quatre dessinateurs, comptez sur la présence de Chetville, Sébastien Goethals, Dominique Rousseau et Titwane. 

 Voilà. Ce week-end, une seule chose à faire : foncer plein sud, et commencer à ralentir quand la Cité des Papes est en vue. Et après, comme disait Georges : il suffit de passer le pont.
Et de pousser la grille...

samedi 27 septembre 2014

[Hot Rails to Hell] - Le Prix SNCF du Polar BD 2015 est lancé

Et c'est parti pour la quatrième édition du Prix SNCF du Polar BD, lancé en même temps que son illustre aîné - la catégorie Romans - et son frère jumeau - la catégorie court-métrages.
Bon, cette sélection 2015, je ne vous cacherai pas que je la trouve de très bonne tenue, puisque j'y ai participé avec mes cinq acolytes du "comité d'experts BD", comme on nous appelle affectueusement dans les milieux autorisés. Je salue donc ici comme il se doit Laurence Le Saux, Eric Libiot, Christian Marmonnier, Dominique Poncet et Clémentine Thiébault pour leurs lectures avisées qui ont abouti à cette liste de cinq titres qui ont tous de quoi séduire l'amateur du genre. Et même le surprendre, car cette année encore, il y a une vraie diversité, dans les choix graphiques comme dans les histoires racontées. Par ordre d'entrée - alphabétique - en scène, place donc à :

  Une affaire de caractères, de François Ayrolles (Delcourt) : Quand Queneau rencontre Simenon ! Un exercice de style que n'aurait pas renié l'Oulipo, drôle, inventif et jubilatoire. Une enquête loufoque et ludique, entre pastiche de polar traditionnel et hommage à la langue et la littérature française.

L'Astragale d'Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, d'après Albertine Sarrazin (Sarbacane) : Une très belle adaptation du célèbre roman d'Albertine Sarrazin. Un récit au souffle intense, sous un trait noir et blanc renversant. Un album au long cours, dense, sensible et sensuel, pour une histoire tragique et touchante.

Docteur Radar, de Noël Simsolo et Frédéric Bézian (Glénat) : Dans un style proche de l'expressionnisme, inquiétant et dynamique à la fois, une plongée au coeur du mal. Un véritable hommage au roman feuilleton des années 20, avec un "méchant" insaisissable et impitoyable : l'angoisse et le frisson planent sur cet album !

Quatre couleurs, de Blaise Guinin (Vraoum) : Quatre jeunes femmes, quatre couleurs et un crayon bille pour raconter leur histoire : une approche graphique vraiment originale. Et un jeune homme cynique et odieux dans le rôle du narrateur, qui finit par faire froid dans le dos.

et Rouge Karma de Eddy Simon et Pierre-Henry Gomont : Une quête haletante et dépaysante, dans des décors nimbés d'une brume mystérieuse et chaleureuse à la fois. Une invitation à un voyage plein de péripéties, en compagnie d'un duo de personnages à l'humanité à fleur de peau.

Si vous voulez en savoir plus sur chacun de ces albums, un petit clic sur les titres et hop ! vous tombez sur ma chronique (ou très bientôt pour Docteur Radar et l'Astragale)
Et pour tout savoir sur le prix SNCF du polar, les événements qui y sont liés, les modalités de vote, etc... un seul endroit à visiter : le site consacré au prix.
Et en prime je ne résiste pas à vous mettre ici le lien vers la bande annonce pour la catégorie BD.

Rendez-vous en mai 2015 pour le verdict !


dimanche 21 septembre 2014

[Planque à Luna-Park] - Fun island (Parker 4) par Cooke d'après Stark (Dargaud)

Parker et ses deux complices, Grofield et Laufman, braquent un fourgon, dans le quartier enneigé de Buffalo, à New York. Le coup est parfait mais ils sont repérés dans leur fuite et Laufman, au volant, perd le contrôle de la voiture, qui finit sur le toit, juste en face d'un immense parc d'attraction, Fun Island. Fermé. Parker s'extirpe de l'épave, avec un sac plein de fric, et laisse ses deux acolytes inconscients. Il n'a d'autre solution que de passer par dessus la grille du parc et de courir se planquer à l'intérieur. Il sait qu'il a été repéré et qu'il va devoir faire face à ses poursuivants, tôt ou tard. Mais s'il reste bien une patrouille de deux flics sur les lieux, celle-ci est du genre pourrie, et plutôt de mèche avec Benito Lozini, mafieux local, qui connaît le parc comme sa poche et a commencé à rameuter une dizaine d'hommes pour traquer Parker. Celui-ci a tout juste le temps d'explorer les lieux pour tenter de piéger ses chasseurs...



C'est un formidable huis-clos sous tension que Darwin Cooke a choisi de mettre en scène pour sa quatrième adaptation des romans du dur-à-cuire de Richard Stark. C'est du reste la quatorzième dans la chronologie des aventures du cambrioleur ("Slayground", parue en 1971), mais ce bond dans le temps n'empêche pas du tout de savourer la virtuosité du dessinateur, qui illustre les scènes-clés du roman avec le talent déjà à l'oeuvre dans les trois précédentes histoires. Cette fois, le décor, un parc d'attraction, est un terrain de jeux idéal pour Cooke, qui découpe son récit en quatre partie : le braquage, la prise en main du parc par Parker, l'assaut par ses ennemis, et la fuite. Pour chacune de celles-ci, Fun island, est un personnage à part entière, et dès le début, la virtuosité du dessinateur est en marche : la première partie se conclue avec un Parker disparaissant au loin... derrière les barreaux qui pourraient bien être les siens s'il est rattrapé. Voyez plutôt :


La suite va crescendo et c'est sur un rythme soutenu que l'affaire va se régler. Cet album est plus court que les trois précédents, et l'action est circoncise au parc avec un seul problème à résoudre pour Parker, vital : se tirer de ce guêpier. Je vous laisse découvrir comment...
 

"Fun island" est complété d'un récit court (11 pages), intitulé "le 7ème", en bichromie orange, et qui figurait dans l'édition regroupée américaine des tomes 1 et 2. Bonne idée de la part de Dargaud de nous le proposer ici, même si on l'aurait préféré un peu plus long... Mais "Parker reviendra prochainement" est-il promis à la dernière page. Tant mieux !


Parker 4 - Fun island ****

Scénario et dessin : Darwin Cooke d'après Donald Westlake

Traduction Nicolas Richard

Dargaud, 2014 - 96 pages en bichromie – 16,45 €

mercredi 17 septembre 2014

[Splatch !] - Oceania boulevard, par Marco Galli (Ici Même)

Cela commence très fort : dans une métropole pas très riante, Pol Riviera, présentateur vedette de la télé, se jette du haut d'un immeuble, appartenant à la Zuppa SA, et s'écrase, 35 étages plus bas, sur le béton, certes, mais aussi sur Tong-Tong, musicien de rue en train de jouer de la guitare devant les badauds. Eclaboussures écarlates pour tout le monde... et entrée en scène de l'inspecteur Mortenson, un flic dépressif et taciturne. Et ce qui commence comme un polar des plus traditionnels, va petit à petit se transformer en un voyage bizarroïde, dans une ville d'un glauque achevé, et friser avec un fantastique à la David Lynch, période Twin Peaks. Pas moins !
 
Ce scénario, déjà prenant, l'est encore plus grâce à la technique employé par Marco Galli, un dessinateur italien dont c'est ici la première traduction en France. Pour raconter son histoire il a pris le parti de planches toutes construites sur le même modèle : deux grandes cases par page (l'album est au format roman), avec le texte au dessus, ou en dessous, mais quasiment jamais dans les traditionnelles bulles (ou phylactères pour les puristes), y compris pour les dialogues. Et tout cela sur fond noir, ce qui donne aussi une impression de récit filmé. "Oceania boulevard" fourmille de trouvailles graphiques et narratives de ce genre, et c'est une vraie découverte, chez un éditeur qui ne manque pas d'audace. Je vais vous faire une confidence : c'est une des rares fois où l'expression "roman graphique" ne me semble pas de l'usurpation. En tous cas, si vous êtes revenu de tout, et que plus rien ne vous surprend, arpentez-donc cet Oceania Boulevard, vous n'allez pas être déçu du voyage... et gare au freak au coin de la rue !
 
Oceania Boulevard
Texte et dessin de Marco Galli
Ici Même, 2014 - 52 pages couleurs - 24 €

lundi 15 septembre 2014

[Série Noire...] - Parabellum perd Schultz

Quand on aime la bande dessinée noire, comme moi, et vous (ah non ?), on aime Mezzo et Pirus. 

Quand on aime Mezzo et Pirus, on aime Pirus.

 Quand on aime Pirus, on se rappelle qu'il a dessiné la superbe pochette du premier album de Parabellum, fièrement estampillé d'une balle frappée d'un "100 % nul".

 

 On se rappelle qu'on a détaillé plus d'une fois cette pochette, avec sa scène d'évasion, son évadé central à la gueule de Rapetou méchant, ses matons aux allures de kapos... 


On se souvient aussi qu'on faisait tout ça en écoutant huit putain de morceaux bien énervés, bien électriques, aux textes bien sombres.

 

 On se souvient qu'elles étaient signées Géant Vert, ces paroles, et que c'est un certain Schultz qui les crachait, de sa voix gouailleuse et révoltée.

 

 Et quand on apprend que Schultz est parti voir ce qu'il y là-haut (rien, on le sait) , on espère qu'il nous enverra une carte postale, parce que là, il nous laisse tous un peu pâles.

mercredi 10 septembre 2014

[Bis repetita !] - Fatale, ou Manchette par Cabanes et Headline (Dupuis)

Scène d'ouverture à la campagne. Des chasseurs sont en quête d'une proie, mais ils ne trouvent rien. Ou plutôt si. Une femme. Une belle brune à cheveux long. Mélanie Horst. Ou plutôt : c'est elle qui les trouve. Et les liquide, à coups de fusil. Quelques jours plus tard, elle débarque sur les quais de la gare de Bléville. Elle est blonde à cheveux bouclés et s'installe sous le nom d'Aimée Joubert, à la résidence des Goélands, un hôtel sans charme où il est conseillé à la clientèle de ne pas faire de bruit après 22 heures. Cela tombe bien, Aimée est là pour s'imprégner de la petite cité, et dès ces premiers instants, elle lit "Bléville et sa région". Puis dès le lendemain, elle parcourt les artères de la vieille ville, mémorise la topographie des lieux. Elle achète les journaux locaux, fait l'acquisition d'un vélo, et se rend chez le notaire, à qui elle confie ses projets d'achat de maison. Veuve, elle veut en finir avec sa période de deuil, et aspire à renouer avec ses semblables. Le notaire comprend tout à fait, d'autant qu'il semble persuadé qu'une femme aussi charmante ne tardera pas à se faire des amis. Et, très vite, grâce à lui, à l'inauguration de la nouvelle halle aux poissons, elle fait connaissance avec tous les notables de Bléville. Des hommes bien sous tous rapports. Et leurs femmes, charmantes, sont ravies de trouver une nouvelle partenaire pour leur bridge. Aimée Joubert est vite adoptée par le petit groupe. Mais Aimée Joubert n'a pas vraiment envie de refaire sa vie dans ce trou. Elle a d'autres projets pour Bléville et son élite. Des desseins plus meurtriers...

Après avoir adapté "La Princesse du sang", toujours d'après Manchette, et toujours avec Doug Headline au scénario, Max Cabanes s'est cette fois attaqué à Fatale, ce roman mettant en scène une tueuse autant implacable que mystérieuse... Cette femme fatale, personne ne sait, ni d'où elle vient, ni où elle va, mais tout le monde comprend qu'elle en veut à la société toute entière, tout du moins à la micro-société bourgeoise et possédante de Bléville. Qu'elle va faire payer, au sens propre comme au figuré, mais qui va finalement aussi beaucoup lui coûter. Je n'ai pas lu (hé non) le roman de Manchette dont est tiré cette adaptation, mais j'en ai lu d'autres (hé oui), et ce qui frappe immédiatement, c'est que le ton, le style du romancier, en un mot, sa voix est constamment présente tout au long des cent-trente-deux pages de cet album. Par exemple, cette manière quasi clinique de décrire les objets en citant la moindre marque de cigarette, de téléviseur, d'arme, on la retrouve telle quelle, et elle est accentuée par ce choix d'une typographie style "machine à écrire" pour toute les parties narratives du texte. A la manière d'un reportage, froid et distancié, on suit la machination, car c'en est une, d'Aimée Joubert, en se demandant jusqu'à quel point elle va fonctionner. L'époque - les années 70 - est celle du roman initial (bien sûr ! et il faut ici saluer le choix de la grande fidélité à Manchette) et magnifiquement rendue par Cabanes, tout comme il réussit à merveille à mettre en images certaines phrases du romancier. Ainsi, celle-ci, proche de l'oxymore, page 57. Pour illustrer : "Elle n'était pas certaine que la partie aurait lieu, étant donné la mort du bébé et les autres drames. Elle aimait les crises", Cabanes prend le parti de dessiner une femme radieuse qui passe en vélo devant une brasserie nommée "Le Tout va bien"...
Mais un bon dessin valant mieux qu'une explication embrouillée, voici : 
Des instants de ce genre, il y en a d'autres dans ce "Fatale". Tout comme un nombre de scènes fortes, fascinantes, en particulier le final nocturne sur le port, qui est d'une beauté à couper le souffle. Tout comme la couverture, véritable défi au futur lecteur, invitation inquiétante à entrer dans un album, rouge à plus d'un titre...  Une très très grande réussite !

Fatale****
D'après le roman de Jean-Patrick Manchette
Adaptation de Max Cabanes et Doug Headline
Dupuis, 2014 - 132 pages couleur - Collection Aire Libre - 22 €


dimanche 31 août 2014

[Coup double d'Ozanam] - Succombe qui doit / Burn out (KSTR - Casterman)

Une bande de 4 braqueurs qui débarquent une nuit dans une casse auto tenue par un black solitaire, un dénommé José Machado. Les casseurs sont aux abois - visiblement quelque chose a foiré - et l'un d'eux est blessé. Ils doivent absolument trouver le moyen de filer le fric du braquage à leur patron, un dénommé "La Vilette". Mais dans leur énervement et leur panique, le ton monte dans le groupe et les embrouilles ne tardent pas entre les petites frappes. Cela ne va pas vraiment s'arranger quand ils décident de prendre en otage José - le patron de la casse auto, vous suivez ? - sans savoir que par le passé il fut un boxeur de renom, et qu'il ne faut pas trop le chatouiller... ni remuer trop le passé. Bref, tout va dégénérer et partir en cacahuète.

Voici un album très spectaculaire, avec un dessin vraiment original de Rica, qui excelle à faire des trognes expressives à ses personnages. Tout le début est particulièrement réussi, lorsque les braqueurs arrivent avec des masques d'animaux grimaçant, on ne sait plus trop si on n'est pas en train de lire une sorte de "Planète des singes" gore. Mais non c'est bien du polar, écrit par Antoine Ozanam (auteur de l'excellent "We are the night"), un huis-clos dans des décors apocalyptiques, avec des personnages presque tous aussi pourris les uns que les autres. Dans le dessin comme dans l'ambiance, pesante, cette BD est à rapprocher des  albums de Mezzo et Pirus (le trait de Rica y fait immédiatement penser), en particulier de "Deux tueurs". Une BD choc, et à la fin cruelle, pour ne rien gâcher.

Le même Ozanam a également fait paraître un autre polar,  nettement plus poisseux,   "Burn out", dessiné cette fois par Mikkel Sommer, toujours au sein du label KSTR (ou pas... car ce n'est nulle part sur l'album, mais uniquement sur le site de Casterman..)  Une histoire qui se déroule cette fois aux Etats-Unis. La trame, la voici, telle que décrite par l'éditeur hinself  :

" Reno, Nevada. Il fait une chaleur infernale, mais Ethan Karoshi n’y prend pas trop garde, puisque tout ou presque va pour le mieux dans son existence de quarantenaire épanoui : son boulot de flic reconnu par sa hiérarchie, ses parties de pêche assidues pratiquées avec passion, son foyer heureux avec sa femme Julie, ses amours clandestines bien réglées avec la rousse et volcanique Debra… Cette belle mécanique, pourtant, va brusquement se dérégler. On découvre sa maitresse étranglée avec du fil de pêche. Puis le cadavre d’un autre amant régulier de la jeune femme, assassiné lui aussi. Un mauvais pressentiment taraude Ethan. Tout se passe comme si un piège se mettait lentement en place, dont il était la proie désignée...."

Voilà le topo. Et c'est une lente descente aux enfers pour le flic... et un autre très bon album, par un scénariste qui commence vraiment à laisser son empreinte dans le genre. En tous cas, deux albums que vous apprécierez si vous êtes amateurs d'intrigues utilisant parfaitement dans les codes du polar.

Succombe qui doit ****
Scénario de Ozanam et dessin de Rica
KSTR, 2014 - 158 pages couleurs - 16 €

Burn out ***
Scénario de Ozanam et dessin de Sommer
Casterman, 2014 - 94  pages couleurs - 18 €

dimanche 24 août 2014

[Prix SNCF du Polar BD 2015] - Rouge karma, de Simon et Gomont (Sarbacane)

Adélaïde Tiersen débarque, de Paris, à Calcutta avec une seule idée en tête, une obsession, même : retrouver son compagnon, Matthieu, en mission en Inde depuis cinq mois pour la société Tosh Computers, et qui n'a pas donné signe de vie depuis trente jours. Enceinte jusqu'aux yeux, Adélaïde va mettre toute l'énergie possible dans cette quête éperdue du futur père de son bébé, et commence par s'adresser à la police sitôt le pied sur le sol indien. Mais l'ombrageux inspecteur Dut ne semble guère disposé à remuer ciel et terre pour une disparition qui n'en est pas vraiment une... d'après lui. Pire, il lui apprend que la société pour laquelle travaille son compagnon n'existe pas... Adélaïde décide alors de faire appel à une Imran Suresh, ce sympathique chauffeur de taxi débrouillard qui l'avait accueillie à son arrivée. Les ressources d'Imran, inépuisables, et son ingéniosité, vont permettre à la jeune femme de retrouver la trace de Matthieu. Mais le chemin pour arriver jusqu'à lui va être parsemé d'embûches...

Un album étonnant : une jeune femme sur le point d'accoucher à chaque page, s'agite en tous sens et finit par découvrir une affaire d'état, au bout de péripéties dignes d'un roman d'espionnage, période Ian Flemming... et le mieux, c'est que ça fonctionne et qu'on y croit ! En fait, le duo Adélaïde / Imran, choc de deux cultures, est tellement attachant, que le lecteur a envie de les voir aller au bout de leur quête, au début désespérée. Et si le scénario tient le choc, c'est aussi parce qu'il se déroule dans des décors respirant l'authenticité, des hôtels des quartiers populaires aux rassemblements sur le Gange, en passant par le quartier des prostituées. Pierre-Henry Gomont a nimbé toutes ses planches d'une lumière tamisée, et donne l'impression qu'une brume permanente règne, presque étouffante, tout au long de l'histoire.

En embrassant plus d'une thématique (l'amour, l'amitié, la politique, l'enquête policière, la religion...) les auteurs prenaient le risque de perdre leur lecteur en route. En fait, Eddy Simon et Pierre-Henry Gomont ont réussi un album à la hauteur de la complexité du pays, et si Rouge Karma donne de temps en temps dans la démesure, c'est en fait en écho parfait à cette Inde encore mystérieuse pour beaucoup d'occidentaux. Au final, une bande dessinée au parfum entêtant...


Rouge Karma ***
Scénario Eddy Simon et dessin Pierre-Henry Gomont
Sarbacane, 2014 - 128 pages couleurs - 22 €

vendredi 15 août 2014

[Prix SNCF du Polar BD 2015] - Quatre couleurs, de Blaise Guinin

Grégoire Legrand est étudiant, section glandouille, et entame sa troisième première année, tranquille. Sauf que la menace paternelle de se faire couper les vivres est cette fois bien réelle, si la réussite n'est pas au bout. Le jeune homme, jamais à court quand il s'agit de tirer au flanc, a une idée qui pourrait lui permettre - peut-être - de réussir cette mission impossible fixée par le père : échanger avec un copain, juste sur une matière, tous les cours de l'année, et prendre la place de l'autre, là où chacun est balèze. Grégoire ira donc en histoire de l'art à la place de son pote Pierre, tandis que celui-ci le remplacera sur les bancs des cours de géo, là où Grégoire est une bille. "Même pas de la triche. Un échange de bons procédés" plaide le fraudeur à son ami, dubitatif, qui pressent un peu les risques de l'entreprise. Mais le marché est tout de même conclu et le pacte entre les deux étudiants ne va pas tarder à se fissurer au gré d'événements inattendus... Parmi ceux-ci,  l'arrivée de Chloé, une ex de Grégoire, dans le cours d'histoire, risque de compromettre la supercherie... Comment va réagir le petit malin ?

"Un roman graphique noir, rouge, vert et bleu, réalisé au crayon quatre couleurs".
Voilà la promesse de la quatrième de couverture de cet album, original, donc, par son traitement graphique particulier. Visuellement, cela fonctionne bien, et Blaise Guinin tire un assez bon parti de son outil de travail, où les quatre couleurs servent essentiellement à tramer les décors, accentuer des détails vestimentaires, ou attirer l'oeil sur des objets du quotidien. Couleurs et objets qui servent également à introduire chacun des courts chapitres de l'album, et qui viennent rythmer le récit, de façon un peu lancinante. L'histoire, quant à elle, s'attache à décrire les relations entre les deux amis, et celles entretenues avec quatre jeunes femmes, toutes reliées, elles aussi, à une couleur, comme le suggère, du reste, la couverture. Mais ce sont surtout les pensées et actes de Grégoire qui servent de fil narratif à "Quatre couleurs" et dévoilent un être particulièrement déplaisant, puisque le charmant personnage est manipulateur, menteur, égoïste, obsédé sexuel, voyeur... en un seul mot : odieux. Avec tout le monde. Ce qui lui vaudra d'être repoussé, plus ou moins définitivement, par toutes celles qui gravite autour de lui - ou qu'il voudrait bien attirer à lui.
Il y a également une trame policière, légère, dans cet album, puisque la police enquête au même moment sur le suicide d'une jeune étudiante. Mais au final, il s'agit bien d'un portrait de salaud, qui ne recule devant aucune ignominie, dans une bande dessinée où le noir reste tout de même la couleur dominante. Une vraie découverte et une belle surprise de 2014.

Pour découvrir le travail de Blaise Guinin : appuyez là.
Et pour les éditions Vraoum : appuyez ici

Quatre couleurs ***
Texte et dessins Blaise Guinin
Vraoum, 2014 - 142 pages couleurs - 16 €