Observez
bien cette couverture. Sur le vitrail, Jesus est là, (lui ou un de
ses apôtres), calme et serein. En bon berger il veille sur ses
agneaux : il en porte un, tandis que l'autre tend la tête vers lui,
dans une posture d'adoration. La quiétude règne. Mais Jesus n'a pas
l'air tout à fait dans son assiette. C'est qu'à ses pieds, sous ses
yeux, une autre scène se déroule : deux autres créatures,
nettement moins calmes et sereines s'affrontent. Deux hommes, dont
l'un ambitionne clairement de faire bouffer à l'autre le canon du
revolver qu'il tient virilement. Voire de lui exploser la tête en
appuyant sur la détente.
Tout
laisse à penser que cette scène se déroule dans une église. Et
que l'homme au flingue se fout complètement du poids du regard de
Dieu sur ce qu'il s'apprête à commettre. Et encore, Dieu ne sait
pas tout : l'homme au flingue s'appelle Ira Rath. Et celui qu'il
s'apprête à éliminer, c'est Ruben Rath. Son fils. Les histoires de
famille sont lourdes et compliquées chez les Rath. Depuis longtemps.
Mais avec Ira Rath, on atteint des sommets dans la noirceur.
Voici un
homme dont la colère ne semble pas vouloir s'éteindre, et, qui, il
faut dire, porte un nom prédestiné, non ? Ira, c'est presque le
Irae du Dies irae, et Rath, c'est encore plus net : voici le
Wrath du titre. Ces Men of Wrath, le scénariste Jason
Aaron les a imaginés à partir de lointains, authentiques et
tragiques épisodes familiaux personnels, et ils ont mené son
imagination vers un récit d'une fureur inouïe, comme rarement il
est donné d'en lire.
Mais si le contrat du père sur son fils est le
pivot de l'histoire, ce n'est presque "rien" à côté de
tous les épisodes qui jalonnent la vie d'Ira Rath : voici un homme
dont la vie entière a été marquée par la violence, une violence
quasi-génétique, à laquelle Ruben tente d'échapper. En vain
? C'est l'un des autres aspects intéressants de ce comics, qui pose
la question de l'héritage familial : peut-on vraiment s'en
affranchir ? Couper définitivement le cordon paternel ? Recommencer
une vie à zéro ?
Il
y a dans ce "Men of wrath" un peu du film de James Foley
"Comme un chien enragé" (en vo pas st
: "At close range", 1986) où le fils (Sean Penn) découvre
petit à petit la pourriture qu'est son père (Christopher Walken).
Sauf que là, Ruben Wrath sait déjà quel genre de salaud est son
père. Et que le film de Foley, était tout de violence contenue,
sous tension, là où "Men of wrath" ne nous épargne
visuellement rien. Ou presque...
Avec
"Southern bastards" (dont je vous parlais ici il y a peu)
Jason Aaron explorait déjà le Sud profond des Etats-Unis, mais,
comme il l'écrit dans la préface "Ira et Ruben Rath sont
l'aboutissement d'un long cycle sanglant de violence dans le Sud
[...]. Et ce qui a commencé par un mouton se terminera avec la mort
de tous". Aaron s'est associé pour cette entreprise à Ron Garney : "Ce n'est pas la première fois que Ron Garney et
moi nous tuons des gens ensemble". Non. Mais une hécatombe
à ce point, ça doit être leur première. C'est tout simplement
ahurissant. Et loin d'être simplement gratuit et spectaculaire.
Voilà.
Regardez à nouveau cette couverture. Respirez un bon coup. Prêt ?
Tournez
la page.
Amen.
Men
of wrath *****
Scénario
Jason Aaron et dessin Ron Garney
Urban
comics, 2015 - 160 pages couleurs - (Urban indies) - 15 €