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Bonne balade dans le noir !

jeudi 13 avril 2023

[Joyeuses Pâques] – Reckless, La femme à l’étoile et Il était une fois en Jamaïque

Les mois d’avril sont meurtriers ! Pluie de nouveautés polar en ce début de mois, enfin, polar, plus ou moins…  En tous cas, voici déjà une première salve en attendant les prochaines. 

Et pour commencer, le retour d’Ethan Reckless, pour le quatrième volume de la série : Ce fantôme en toi. En fait, il faudra patienter dans le prochain tome pour retrouver ce bon vieil Ethan car c’est Anna la protagoniste principale de cette histoire : une vieille gloire du cinéma d’horreur l’embauche pour s’occuper des fantômes qui hantent sa vaste et luxueuse demeure. Ethan occupé sur une autre affaire à San Francisco, Anna hésite un quart de seconde : ce n’est pas tous les jours qu’une cliente est aussi une idole de jeunesse… Et la voici a explorer un manoir hanté, ce qui va réveiller plus d’un fantôme. Comme d’habitude avec la « dream team » Brubaker et Philipps, l’intrigue est prenante dès le départ, avec toujours cette scène d’ouverture où le héros – ici l’héroïne - est en fâcheuse posture, prétexte à un flash back où l’histoire se construit patiemment. Et comme toujours, il est autant question de résoudre une affaire tordue que d’observer les rapports humains, ici ceux d’Anna et de sa mère, qui débarque dans la vie de sa fille un peu sans prévenir. Et c’est aussi un nouvel hommage au cinéma que les auteurs rendent, presque troisième « personnage » principal de la série. Vivement le prochain épisode de cette série incontournable pour tous les amateurs de Noir ! 

C’est au western qu’Anthony Pastor rend lui hommage dans La femme à l’étoile. Les premières pages nous invitent à suivre un cowboy solitaire et son cheval au coeur de l’hiver , frigorifiés par la neige qui a envahi toute la contrée. Zachary Desmoines, c’est son nom, se dépêche d’arriver au village de Promesa avant la nuit, et lorsqu’il y parvient enfin c’est pour trouver un hameau désert et délabré où seuls tiennent debout l’église et le magasin local. Mais alors qu’il explore celui-ci, une femme farouche surgie du néant (en l’occurence un placard) et armée d’un revolver, lui ordonne de faire demi-tour… Ce qu’il ne fera pas, préférant retaper une des maisons en bois encore à peu près potable pour y passer la nuit. Il reviendra le lendemain avec un poisson pêché non loin et qu’il partagera avec Perla, c’est son nom à elle, et petit à petit les deux seuls humains de ce coin perdu vont se rapprocher, s’apprivoiser. Et bientôt s’épauler : un marshall arrive à son tour, pour arrêter Perla, recherchée pour meurtre… Il est mis en déroute mais il va revenir avec du renfort…
C’est un peu la Mère Nature qu’a voulu dessiner Anthony Pastor dans ce western qui sort des sentiers battus : les décors y ont une place prépondérante, ils sont imposants et parfois piégeux, peuvent être des alliés comme des ennemis. Les personnages qui y évoluent semblent être à la merci de cette nature sauvage, et leurs querelles humaines vaines. Pourtant, l’amour naissant petit à petit au coeur de Promessa n’est lui par contre pas vain, il est même tout ce que les deux fugitifs semblent attendre depuis longtemps. Comme le promet l’exergue de cet album. Tout en couleur directe, La femme est à l’étoile marque une étape importante dans l’oeuvre d’Anthony Pastor.

Autres lieux, autre genre, autre époque : Il était une fois en Jamaïque revient sur le retour d’exil de Bob Marley, et sur le One Peace Love concert donné au stade de Kingston le 22 avril 1978, marqué par la poignée de main entre les deux leaders et opposants politiques de l’époque. Mais avant ce moment historique, c’est tout le contexte de l’époque, et le quotidien d’un pays violent que va décrire Loulou Dédola dans un récit précis et documenté. C’est la manière de faire de l’auteur : aller à la rencontre de ceux qui étaient au centre de l’Histoire avec un grand H, et les mettre en scène le plus justement possible. Et là, l’Histoire de ces seventies jamaïcaines était faite de guerres de gangs, de conditions de vie économiques difficiles, et de violences au quotidien. La musique est alors un moyen d’essayer un peu de fraternité et de paix dans ce pays sous tension, et quel autre meilleur apôtre du pacifisme que Bob Marley et ses Wailers ? Le retour du roi du Reggae sur ses terres natales après deux ans d’exil fut un grand moment, et le récit de Dédoda est parfaitement mis en image par Luca Ferrara, qui donne corps et âmes à tous ceux qui vécurent cet épisode certainement exaltant de leur histoire. Près de 50 ans après, la Jamaïque demeure un pays où la violence continue hélas de régner, mais ça c’est une autre histoire…


Reckless 4 – Ce fantôme en toi ****
Textes Ed Brubaker et dessins Sean Phillips – Trad. Alex Racunica
Delcourt, 2023 – 144 pages couleurs – 16,50 € - Sortie le 5 avril 2023

La femme à l’étoile ****

Texte et dessin Anthony Pastor
Casterman, 2023 – 264 pages couleur – 27 € - Sortie le 5 avril 2023
 
Il était une fois en Jamaïque ***
Récit de Loulou Dedola et dessin de Luca Ferrara
Futuropolis, 2023 – 112 pages couleurs – 20 €  - Sortie le 5 avril 2023

mardi 4 avril 2023

[Ululons !] - Tueurs d'étoiles par Daenicnkx et Mako à paraître chez Félès : quelques jours pour souscrire !


 Le duo Mako - Daeninckx, à l'oeuvre au Noir depuis pas mal de temps (Le train des oubliés, Bravado,  Air conditionné, Octobre Noir, la Main Rouge...) récidive avec un nouvel album à paraître en avril aux éditions Félès.

La souscription Ulule a été prolongée de quelques jours, il vous reste encore un peu de temps pour participer à la publication de ce Tueurs d'étoiles 

C'est par ici : https://fr.ulule.com/tueur-d-etoiles/

 N'hésitez pas !

 


 

samedi 1 avril 2023

[Un sacré Blaireau] - Delirium réédite Grandville de Bryan Talbot !

Raymond Leigh-Otter est retrouvé chez lui, baignant dans son sang, la tête explosée, et l'arme encore à la main. L'inspecteur LeBrock a vite fait de prouver que ce suicide n'en est pas un, mais qu'il s'agit d'une mise en scène. En fin limier, LeBrock est même capable d'affirmer que les tueurs ont fait le coup vers minuit, qu'ils sont français et qu'il s'agit d'un sanglier, d'un renard et d'un lézard. A son adjoint, Ratzi, qui s'étonne de la certitude de l'inspecteur sur l'origine française des meurtriers, le détective déclare que seuls des assassins d'élite des services secrets de l'Empire de France ont pu faire le coup. Car la victime – un homme aux fonctions diplomatiques - s'apprêtait à rencontrer en urgence le Premier Ministre et le Ministre de la Défense à Downing Street Lebrock y voit là le motif tout trouvé de ce meurtre pas tout à fait anodin.
Restent à connaître les raisons réelles de l' élimination de ce citoyen de la République Socialiste de Grande-Bretagne... LeBrock compte bien les découvrir à Paris, devenue Grandville...

Formidable ! Toujours à la pointe des futurs - ou déjà - grands classiques du genre, Laurent Lerner, avisé boss des éditions Delirium, réédite le chef d'oeuvre de Bryan Talbot : Grandville, dont les éditions Milady avaient publié seulement les deux premiers des cinq tomes de la série, il y a plus de 10 ans... C'est donc reparti pour un tour, avec cette fois l'intégralité de cette série hors-norme.
 
Et dès cette première enquête, on se dit qu'on a affaire à un album stimulant et intelligent, un vrai régal pour l'oeil et l'esprit ! Vous l'aurez compris à la lecture du petit pitch introductif destiné à vous mettre l'eau à la bouche, cette aventure de « l'Inspecteur LeBrock, de Scotland Yard », est à la croisée de plusieurs genres. Pour tenter une définition, je la qualifierai d'enquête policière uchronique anthropomorphique steampunk. Ne fuyez pas tout de suite ! Je m'explique.
 
Enquête policière : Bryan Talbot nous invite à suivre son détective – et son assistant - dans sa recherche de la vérité, et il le fait en respectant les codes du genre, en commençant par les plus classiques, tels que l'observation de la scène du crime permettant d'étonnantes déductions. Il poursuit par l'interrogation de témoins, suspects et autres victimes de l'affaire. Du solide pour la progression de la narration.
 
Uchronique : c'est là que les affaires prennent une autre ampleur... Le cadre de « Grandville » est celui d'une Europe où Napoléon a vaincu les anglais et où la famille royale a été guillotinée. Et où l'Angleterre est devenu un pays insignifiant relié à l'Empire de France par un pont. Ce postulat ouvre sur des portes imaginaires jubilatoires, où ce que nous savons de l'Angleterre et la France de maintenant est secoué dans un mixer historico-politique réjouissant.

Anthropomorphique : pour pimenter le tout, Talbot opte pour une représentation animale de tous les protagonistes de son histoire, avec, à l'instar du Blacksad de Guarnido et Canales, ou du Canardo de Sokal, une réelle adéquation entre les animaux choisis et leurs personnalités. Mais alors que Blacksad est fascinant essentiellement par son aspect graphique, « Grandville » l'est lui par l'univers qu'il donne à explorer, un univers que Talbot lui-même avoue avoir pris un grand plaisir à créer. Il l'explique dans une longue postface, réalisée pour cette version française, où il dévoile aussi les clins d'oeil et références qu'il a distillés tout au long de cet album. Le lecteur de BD averti en aura lui-même déniché quelques-uns, mais impossible de tout repérer, en particulier tout ce qui est issu de la culture populaire britannique. Hommage direct au caricaturiste français JJ Grandville, et à Albert Robida, illustrateur français de science-fiction, cette aventure de LeBrock appartient aussi sans conteste à la famille steampunk, branche de la SF née dans les années 80. Bryan Talbot a du reste inventé des motifs « steampunk-art nouveau » pour ce comics... Talbot est un créateur absolument unique, à l'aise dans tous les genres, et une visite sur son site s'impose à vous si vous ne connaissez pas cet artiste.

 

Pour cette réédition la traduction de Philippe Touboul a  été revue et corrigée, et la postface pré-citée conservée, avec une mise en page légèrement différente pour l'iconographie. Enfin, cette version Delirium est complétée par 5 pages de commentaires par Talbot lui-même, planche après planche, sur son travail sur cet album. Un vrai trésor !

Ah et pour finir, Grandville est sous-titré "une romance scientifique de l'inspecteur LeBrock de Scotland Yard". Si avec ça vous n'avez toujours pas envie de foncer à Grandville...
 

Grandville ****
Texte et dessins Bryan Talbot
Delirium, 2023. - 136 pages couleur - 22 € 
Sortie le 5 février 2023