Regardez-le bien. Il tient négligemment sa cigarette entre le majeur et l’index, sa cravate est loin d’avoir une tenue impeccable et le coup de peigne a façonné une brosse approximative dans la tignasse grisonnante. Mais la bouche au sourire à peine moqueur et le sourcil relevé accompagnent un regard perçant : tel est le Choucas, ce «détective malhabile malgré des efforts quoiqu’intermittents», dont Dupuis sort une somptueuse intégrale aussi inattendue qu’indispensable. Inattendue car jusqu’alors, les six épisodes parus entre 2001 et 2004 semblaient avoir vécu leur vie ordinaire d’albums, sans faire de vague, et sans engouement excessif particulier de la part du public, ce qui était tout de même fort dommage. Et indispensable, car ces 300 pages sont l’imparable preuve que Lax avait raison d’avoir pensé à l’origine les aventures de son Choucas en noir et blanc : la «puissance expressive» de son dessin, évoquée par Claude Gendrot dans sa préface, y éclate et toute la force des histoires s’en trouve décuplée. Et puis, franchement, quel personnage étonnant que ce Choucas ! Ex-ouvrier responsable du règlage des horloges dans son usine, il entre par hasard dans la carrière suite à son licenciement (on l’a remplacé par du matériel électronique) et va remettre les pendules à l’heure à sa façon, au fil d’enquêtes toutes aussi tordues les unes que les autres. Il déjoue ainsi un complot au Master international des vétérans du scrabble (Le choucas rapplique), règle une sombre affaire de collier (Le choucas s’inscruste), se retrouve au cœur d’un cas de dopage au championnat du monde de paso doble (Le Choucas enfonce le clou), crapahute en Amazonie pour retrouver le frère d’un client (Le Choucas n’en mène pas large), démasque l’auteur d’un « Guide du Taulard » qui embarrasse les autorités (Le Choucas met le feu aux poudres) et doit vérifier la bonne moralité d’un greffé du rein chez nos cousins québecquois (Le Choucas gagne à être connu). Original, non ? Et encore, ces quelques lignes ne sont-elles là que pour situer le cadre général de bourbiers d’où s’extirpe tant bien que mal ce détective toujours plus prompt à dégainer une citation – de préférence d’un roman de la Série Noire – que le six-coups, dont il aurait d’ailleurs le plus grand mal à faire usage. L’humour, constamment présent dans les aventures du Choucas, est entre les mains de Lax une arme à double tranchant : quand ce ne sont pas les mots – sentences définitives du héros, qui manie la langue française avec une aisance admirable, répliques bien senties des personnages dits secondaires – c’est avec le dessin que l’auteur frappe, en parsemant ses planches de détails tout droits sortis d’imageries variées, faisant, par exemple, surgir le plan d’un moteur en coupe au début d’une scène de poursuite ou reproduisant le peu glorieux bulletin scolaire du Choucas le jour où celui-ci s’assied dans une salle de classe au cours d’une enquête. Et comme ce même dessin est aussi, dans les scènes de foules, dans les décors, d’une précision absolue, est-il besoin, en plus, d’insister sur celui des personnages, maîtrisé en toutes circonstances ?
Vous l’aurez compris à la longueur inhabituelle de cette chronique, cette intégrale du Choucas est un antidote à la morosité, une redécouverte jubilatoire, une évidence dans les piles d’intégrales de cette fin d’année, bref tout ce qui peut se résumer en cinq mots : un bonheur de lecture total.
Le Choucas – L’intégrale
Scénario et dessin Lax - Dupuis, 2006
Collection Repérages - 304 p. n & b. – 30 €
[Chronique parue dans l'Ours Polar n°40 - Décembre 2006]