Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog.
Bonne balade dans le noir !

dimanche 22 novembre 2015

[A table !] Un homme de goût : deuxième service, par Cha et El Diablo (Ankama)

  La première rencontre de l'agent Jamie Colgate avec celui qui allait devenir son obsession, son ennemi public n°1 perso, son cauchemar, bref, sa raison de vivre, cela s'est passé comme ça :


Et à l'issue du premier tome ("Mise en bouche"), cette chère Jamie n'était guère en meilleure posture :


Entre temps, le duo d'enfer El Diablo / Cha nous avait narré l'extraodinaire destin de Cesar Nekros, alias Rasczak, alias Ortiz, alias Achdijian... un prédateur redoutable, un criminel qui tue depuis si longtemps qu'il est aisé de supposer qu'il s'agit d'un être hors du commun... Et pour cause : El Diablo a ni plus ni moins choisi de revisiter la figure, non pas du cannibale, comme les deux couvertures le laissent penser, mais de l'ogre des contes de nos enfances... Et dans une très habile construction narrative, il nous est donné de suivre la carrière du monstre à travers les âges, dans différents styles narratifs et graphiques. 
 
Et dans le second tome de ce diptyque, "Deuxième service", rebelote : l'ogre raconte lui-même toute sa vie par le menu, et c'est une fois de plus... savoureux. Aussi original et inventif que le premier tome, ce second tome en reprend les mêmes recettes, avec ces bonds dans le temps que Cha illustre brillamment pour chacune des époques. Comme elle le disait dans le "bonus" du premier tome : "L'avantage d'un projet comme Un homme de goût, c'est que sa composition de plusieurs histoires dans l'histoire, passant d'un univers, d'une époque et d'un narrateur à l'autre, permet d'échapper à toute forme de monotonie dans sa réalisation". 
 
Et j'ajouterai, moi : et dans sa lecture ! Car si l'idée était séduisante, elle était aussi assez piégeuse, dans sa réalisation graphique : il fallait pour Cha réussir à garder une fluidité à l'ensemble, en dépit des changements de style liés aux épisodes de la vie tumultueuse et sanguinolente de Nekros. C'est complètement réussi et c'est l'occasion de découvrir l'immense talent de cette illustratrice, à la palette extraordinaire (j'ai un faible pour le passage à Terra Australis). 


 
Et comme le scénario d'El Diablo ménage du suspense jusqu'au bout, il n'est pas difficile de comprendre qu'"Un homme de goût" est définitivement une des meilleures bandes dessinées de cette année. Il ne reste maintenant au duo qu'à se remettre aux fourneaux pour d'autres plats.

- Un homme de goût / El Diablo et Cha
1 - Mise en bouche - Ankama, 2014 - 72 pages couleurs - 13,90 €
2 - Deuxième service - Ankama, 2015 - 64 pages couleurs - 13,90 €


mercredi 11 novembre 2015

[Polar sous médocs] - Le Teckel 2 - Les Affaires reprennent, d'Hervé Bourhis (Casterman / Professeur Cyclope)

Guy Farkas, alias Le Teckel, l'ex visiteur médical old school des laboratoires Duprat, est en exil avec Mérédith, sa maîtresse, au Brésil. Il espère se faire oublier à la fois, de son ancien employeur, qui a tout de même quelques comptes à régler avec lui, et de la police, qui finira bien par découvrir que le Teckel a éliminé le mari de sa maîtresse. Mais à Sao Paulo, il est vite repéré par les services secrets, qui le chargent de retrouver le numéro 2 du groupe pharmaceutique... une mission, qui lui permettra d'éviter les ennuis à son retour au pays. Le fier Farkas accepte - il faut dire que Mérédith préfère finalement la compagnie des femmes à la sienne - et le voici en France, bien décidé à en terminer avec toute cette histoire. Mais l'irruption, puis l'enlèvement, de sa fille Victoire, une ado véganiste, va venir lui compliquer un peu plus la tâche...

Ah, Guy Farkas ! Le plus inattendu des personnages polar apparus ces dernières années : un visiteur médical aux allures de Jean-Pierre Marielle, conducteur de CX break, bon vivant spécialiste du petit salé aux lentilles et fan d'Arthur Rimbaud, qu'il cite volontiers. Dans sa première aventure, sobrement intitulé "Le Teckel" (et parue initialement sur le site Professeur Cyclope) , Hervé Bourhis l'avait plongé en plein road trip au coeur de la France profonde, en compagnie d'un jeune collègue chargé de surveiller en douce les méthodes du vieux, pas loin de la voie de garage selon la direction du labo. Mais tout allait partir en vrille dans ce qui demeure un des albums les plus originaux et drôles de l'année 2014 (et qui figure dans la sélection actuelle du Prix SNCF du Polar BD).
Et pour ce retour, c'est le même plaisir absolu que de retrouver la silhouette désormais familière de Farkas, ses répliques, celle des autres personnages (ma préférée : "Non, parce que les ados, ça en excite certains. Vous savez, les pédagogues...") et bien sûr, les situations rocambolesques dans lesquelles notre homme se fourre. Hervé Bourhis continue sur le même rythme, trépidant et hilarant, et intègre même cette fois Michael Lonsdale à sa galerie d'individus louches. Voici donc une "suite" parfaitement à la hauteur du premier tome, et qui fait même naître une envie irrépressible : celle de voir pour de bon Guy Farkas à l'écran. Et tout simplement, celle de le retrouver embringué dans une troisième histoire.

Le Teckel 2 - Les affaires reprennent ****
Scénario et dessin Hervé Bourhis
Casterman (Professeur Cyclope) 2015 - 80 pages couleur - 16 €

dimanche 8 novembre 2015

[Festival] - Vincent Gravé, Jérémy Le Corvaisier et Olivier Thomas à Noir sur la Ville les 14 et 15 novembre

C'est Vincent Gravé qui a illustré la carte postale de la 19ème édition du salon "Noir sur la Ville" de Lamballe (Côtes d'Armor). Ce dessinateur au trait réaliste saisissant a une prédilection pour le Noir puisqu'il a travaillé avec Joseph Incardona ("Fausse route", "Petites coupures") et Marcus Malte ("Il est mort le poète"), et a illustré le Petit polar Le Monde/ SNCF "Bloody Paris" de Tito Topin, paru cet été.
 Principalement publié aux Enfants Rouges, il sera en compagnie à Lamballe d'un autre auteur de cette maison audacieuse, Jérémy Le Corvaisier. Ce dernier a fait paraître l'an passé un "Gros-bois" lynchien en diable, étrange en tous points, et fascinant en définitive. Il faut découvrir ce jeune auteur, qui vient pour la première fois au festival. Olivier Thomas, lui, est de retour, et nous l'avions vu en Côtes d'Armor au moment de la sortie de "Dos à la mer", diptyque qui démarrait dans l'ambiance portuaire de St Nazaire. C'est cette fois dans un Danemark en proie aux agissements de l'extrême droite qu'il nous entraine : "Infiltrés" est une plongée dans le groupuscule "Renouveau Danois", qui s'apprête à frapper un grand coup dans le pays. Un scénario signé Sylvain Runberg, et Olivier Truc, qui sera lui aussi présent à "Noir sur la Ville".
Le festival débute dès le vendredi, avec une rencontre avec John Harvey à la bibliothèque de Lamballe et se poursuit en soirée avec la projection de "A most violent year" de JC Chandor.
Pour tout le reste... une seule adresse : Noir sur la Ville !

dimanche 25 octobre 2015

[Illustration] - Deux maîtres du Noir en couleur : Robert E. McGinnis et Miles Hyman (chez Urban Comics et Glénat)

 


Deux magnifiques livres sur l'oeuvre de deux maîtres de l'illustration viennent de paraître. 
 
Le premier - honneur aux anciens - revient sur la longue carrière de Robert E. McGinnis, et est sorti chez Urban Comics. Il est sous-titré "Crime et séduction", et on ne pouvait guère faire mieux comme accroche : voici un artiste qui a passé plus d'un demi-siècle à mettre en scène des femmes sublimes, d'abord sur les couvertures des romans policiers dont certains sont devenus des classiques (Pop. 1280 de Jim Thompson, par exemple), puis sur des affiches de cinéma (James Bond première époque, entre autres, mais aussi Il était une fois la révolution, Barbarella...), des publicités.... 
L'auteur, Art Scott, a également recueilli la parole de McGinnis, un artiste qui se confie rarement, et dont les images sont beaucoup plus célèbres que lui. A bientôt 90 ans, l'homme peint toujours, et ne semble pas prêt de vouloir s'arrêter : "Mon envie de peindre est plus forte de jour en jour. J'ai tant à faire, et j'ai parfois du mal à me décider. Par quoi commencer ? Tout m'inspire. Je vois tant de beauté autour de moi... Je me mets dans l'embarras en voulant tout peindre". Belle confession, et en attendant de voir les futures nouvelles toiles de Mc Ginnis, il faut se plonger dans ce livre, pour découvrir d'autres facettes de son immense talent, qui fait de lui un de ces grands peintres des Etats-Unis, capables non seulement de revisiter le mythe américain, mais également d'y contribuer avec son propre univers.


L'autre Américain qui a l'honneur de voir une partie de son oeuvre rassemblée, chez Glénat, pour le plaisir de nos yeux et de nos sens n'est autre que Miles Hyman, plus connu en France, notamment par les amateurs de polar, puisqu'il est l'auteur de toutes les couvertures de la série "Le Poulpe", dont on retrouve une sélection de 22 sur les plus de deux-cents parus. Jean-Bernard Pouy, dans les pages consacrées au Poulpe de ce livre, revient sur la genèse des célèbres visuels de la collection. Il s'agissait alors de "[...] proposer de belles couvertures, des illustrations qui ne soient pas des gourdonnades ou des aslaneries, ces femmes à poil sur des frigos qui avaient les beaux jours de cette littérature "populaire" que nous envisagions de rénover radicalement. [...] Nous avons osé demander à Miles Hyman, un artiste amateur de polars, qui, à l'époque, était un Napoléon qui perçait sous Bonaparte. A nos immenses surprise et satisfaction, il a tout de suite accepté. Good grief ! Hallelujah. Avec le recul, je pense qu'il n'est pas étranger au succès immédiat de la collection". 
 
C'est même une évidence, si je puis me permettre : ses images pour "Le Poulpe" donnent immédiatement envie de voir ce qui se cache derrière les ambiances mystérieuses, parfois oniriques, qu'elles suscitent.
Mais Miles Hyman n'est évidemment pas l'auteur de cet unique travail, c'en est même une toute petite partie, il suffit de tourner les deux-cents pages de ce livre pour s'en rendre compte. Il a lui aussi oeuvré pour la presse, mais également pour l'édition jeunesse, des festivals de polar. Et depuis peu, revient à la BD. De celle-ci il dit : "La bande dessinée occupe une place de plus en plus importante dans mon travail depuis quelques années. J'y découvre un terrain d'expression riche et nuancé... c'est un carrefour entre mes passions graphiques et littéraires". Michel Rime, l'auteur des textes, rappelle à point nommé qu'en matière de neuvième art, c'est sous le pseudo de Milo Daax que Miles Hyman a publié en 1987 "L'homme à deux têtes", chez Futuropolis.
Le chemin parcouru depuis est immense, et comme pour McGinnis, c'est un bonheur de contempler ses oeuvres, avec qui il partage aussi cet art de dessiner des femmes fortes et décidées. D'ailleurs, Glénat ne s'y est pas trompé : au dos de la jaquette de se "Miles Hyman, drawings", une femme au bord d'une piscine est prête à jouer les pin-up dans votre bureau.Ou votre cuisine. Ou votre chambre. S'exposer, quoi.
Et justement : jusqu'au 14 novembre, ne manquez pas l'exposition Miles Hyman à la galerie Champaka - Paris , au 67 rue Quincampoix - Paris (3ème)


Robert Mc Ginnis, crime & séduction ****
Texte d'Art Scott - Urban comics, 2015 - 176 pages couleurs - 29 €

Miles Hyman, drawings ****
Textes de Michel Rime (avec participation de Fromental, Robial, Matz, Charyn, Guérif, Pouy, Villard et Muri) - Glénat, 2015 - 200 pages couleurs - 39 €

jeudi 22 octobre 2015

Trophées 813 : Le Trophée BD 2015 remis au Mans à Stéphane Oiry pour Maggy Garrisson

C'est chez Bulle, LA librairie BD du Mans, que j'ai eu l'honneur, la joie, l'avantage, et toutes ces sortes de choses, de remettre à Stéphane Oiry son Trophée 813 de la meilleure bande dessinée 2015, obtenu pour "Fais un sourire, Maggy", premier tome de la série MaggyGarrisson, scénarisée par Lewis Trondheim et publiée chez Dupuis.

Samuel Chauveau, maître des lieux, en partance pour Quai des Bulles, a pris le temps de nous recevoir, et même, de faire fabriquer, en deux coups de cuillère à tea-pot, un décor à la mesure de la série : merci Sam, c'est trop ! Si avec ça, Maggy ne dépasse pas le livreur de menhir et son pote dans les best-sellers de l'année c'est à n'y rien comprendre.
En tous cas, bravo encore au duo Trondheim-Oiry, pour cette excellente série, justement récompensée par les adhérents de l'association813. Le troisième tome est sur les rails : qu'ils portent Maggy Garrisson le plus loin possible !

Et merci à Acclo, photographe de choc !

dimanche 11 octobre 2015

[Editions du Long Bec] - Trou de mémoire : Gila monster, par Seiter et Regnauld

Un quai de bois sous la pluie battante. Un homme sort de sa torpeur avec un violent mal de crâne, et le front ensanglanté. Mais que fait-il là ? Cette première question va vite être chassée par d'autres : qui est cette femme, baignant dans son sang, morte, non loin de lui ? Ce revolver qui traine à deux pas, s'en est-il servi ? A-t-il raison de le balancer à la flotte, dans un mouvement de panique ? Et surtout, bon sang, mais qui est-il ? Il ne parvient même pas à se souvenir de son identité... Une chose est sûre : il est à San Francisco, sur le Fisherman's Wharf, face à Alcatraz. Encore sonné et désorienté, l'homme écoute tout de même son instinct qui lui souffle de se tirer au plus vite d'ici. Mais pour aller où ? Dans les poches de son manteau, la carte du Queen Anne Hotel. Autant commencer par se rendre vite là-bas, où il pourra peut-être recoller des morceaux de sa mémoire envolée. Et vite avant que la police ne remonte sa trace : deux inspecteurs, Carnovsky et Mc Gowan sont déjà sur place, près du cadavre de la jeune femme...



Des amnésiques, le polar en a déjà croisé un certain nombre, et ses deux plus célèbres représentants sont certainement le Jason Bourne de Ludlum, et son double, XIII. Roger Seiter n'en a pas moins hésité à en lancer un nouveau dans la famille, et il a parfaitement réussi : son personnage va explorer la moindre piste, pour petit à petit redécouvrir qui il est. Et dans le même temps, l'enquête va progresser, se ramifier, et faire entrer dans la danse le FBI, offrant ainsi l'occasion de lire une nouvelle tranche de la guerre des polices made in USA. Le scénario de Seiter - dont le savoir-faire en la matière nous a déjà donné de belles réussites (comme Fog, avec Bonin) - est parfaitement réglé, et il n'y a plus qu'à se laisser emporter par les superbes planches de Pascal Regnauld. La scène d'ouverture, aux cadrages impeccables, installe immédiatement l'atmosphère et plonge le lecteur au coeur de l'action : ce wharf sous les trombes d'eau, on y est vraiment ! Quant au trait de Regnauld il est ici de la famille d'un Darwyn Cooke ou d'un Antonio Lapone, dont il partage l'élégance et la précision. Pour cette histoire située dans les années 60, le dessinateur a pris le parti de la bichromie, en alternant un bleu-gris pour les scènes nocturnes et un ocre-sépia pour les autres moments de la journée. Avec des tâches rouge là où il faut, bien sûr. C'est un réel plaisir pour les yeux, et c'est aussi l'occasion de découvrir un dessinateur jusqu'à présent surtout connu pour son travail sur Canardo : tout cela achève de faire de cet album une très belle surprise Les éditions du Long Bec ont du reste d'autres histoires noires à leur catalogue, sur lesquels je reviendrai. En attendant, il ne faut pas hésiter à se plonger dans le premier tome de ce diptyque, un vrai et très bon polar. 


 

 


A noter : Trou de mémoire fait partie des 7 albums en course pour le Prix "Polar" 2015 du meilleur "one-shot" ou "diptyque" du 20ème festival du polar de Cognac








Trou de Mémoire : 1 - Gila Monster ****

Scénario Roger Seiter ; dessin et couleur  Pascal Regnauld

Editions du Long Bec, 2015 - 56 pages couleur - 15,50€



jeudi 8 octobre 2015

[Cheers ! ] – Maggy Garrisson (Dupuis), Trophée 813 de la Bande Dessinée 2015


C'était dimanche dernier, à Villeneuve-lez-Avignon, sur le coup de midi trente, sous le soleil, sur la place de la mairie, sous les applaudissements, en plein dans la 11ème édition du Festival de Polar : l'association « 813 » des Amis des littératures policières a décerné ses Trophées. Et pour la meilleure bande dessinée de l'année, les adhérent-e-s ont choisi Stéphane Oiry et Lewis Trondheim pour "Fais un sourire Maggy" , premier tome des aventures d'une nouvelle détective, Maggy Garrisson. 

Le deuxième tome est déjà sorti et je vous avais déjà dit tout le bien que je pensais de cette femme de choc (tenez : c'est par ici). Une récompense méritée qui me réjouit fort, tout comme elle les créateurs de Maggy, qui ont envoyé un petit mot à l'occasion :

Stéphane Oiry : "Je suis très heureux que vous ayez été sensibles aux charmes discrets de Maggy. C'est la première fois qu'un de mes livres est ainsi distingué. C'est  d'autant plus agréable que ce compliment est décerné par des amateurs de polar - le polar ayant toujours été mon genre de prédilection. Je le reçois donc comme un encouragement et une confirmation à persévérer dans cette veine. Merci ! "

Lewis Trondheim : "Ça me fait très plaisir de recevoir ce prix, surtout venant d’un festival de polar, et donc attribué par des spécialistes du genre. En créant ce personnage, je me disais qu’il devait y avoir encore une place pour une enquêtrice anglaise au milieu de toutes celles déjà existantes. Heureusement qu’Agatha Christie n’utilisait pas de gros mots pour ses personnages sinon, on aurait dû faire un western ou un péplum… Un grand merci à vous. "

Messieurs, je n'ai que trois mots à ajouter : "A la vôtre !"



Et si vous aimez le polar, un petit tour sur le blog de 813, et vous découvrirez les lauréats des trois autres catégories : Roman francophone, roman étranger et Prix Maurice Renault.

samedi 26 septembre 2015

[Compet' 2016] : Le Prix SNCF du Polar / BD passe la cinquième !

  C'est parti pour la cinquième édition du prix SNCF du polar / BD qui a été lancée officiellement ce jeudi 24 septembre, avec les sélections Romans et Court-métrages, of course.

Pour les bédéphiles, il s'agira de voter parmi les titres :

* Le Teckel, d'Hervé Bourhis (Casterman / Le Cyclope)
* Adam Clarks, d'Antonio Lapone (Glénat / Treiz Etrange)
* La République du catch, de Nicolas de Crécy (Casterman)
* Castagne, d'Isao Moutte (Hoochie Coochie)
* Zaï Zaï Zaï, de Fabcaro (Six Pieds sous Terre).

Et vous savez quoi ? Et bien cela va être trèèèès difficile car, franchement, chacun de ces albums a un petit goût de reviens-y, et on croise dans cette sélection une belle brochette de "héros déroutants" : un chroniqueur mondain qui joue double jeu, un braqueur rural et maladroit, un visiteur médical aux allures de Marielle, un marchand de piano chétif et myope flanqué de son ami pingouin mélomane, et un dessinateur de BD devenu ennemi public n°1... 

La sélection du prix polar SNCF BD 2016 ? Elle sent bon le cuir des sièges de R16 ...

J'ai déjà parlé dans ces pages de deux des cinq titres (cherchez lesquels...), je parlerai des trois autres d'ici peu, mais en attendant, allez-donc faire un tour ici, sur le site du prix polar SNCF, vous saurez tout, y compris comment voter.

Et si vous êtes dans la région d'Avignon le week-end prochain, filez donc à Villeneuve, de l'autre côté du pont : non seulement il s'y déroule un très beau festival de polar, mais vous pourrez en prime y assister à la projection de la sélection 2016 du Prix SNCF du polar, version courts-métrages. Elle décoiffe méchamment !
En attendant, voici la bande annonce des 5 BD en compétition :


A bientôt !

mercredi 2 septembre 2015

[ Pas dans les manuels... ] - Julio Popper, le dernier roi de Terre de Feu , par Matz et Chemineau (Rue de Sèvres)

De la Patagonie, l'amateur de bande dessinée connait surtout les carottes chère à Lapinot, tandis que le téléphage se souvient lui d'une émission écolo qui sentait le gel douche ; quant au Thatcherophile il a un poster "Falklands forever" dans sa cuisine. Mais qui connaît Julio Popper, le polyglotte-voyageur, l'ingénieur- explorateur de l'extrême ? Voici un homme au destin extraordinaire, un personnage controversé, un aventurier avant toute chose. Matz et Léonard Chemineau le font ressurgir d'un lointain passé - Popper est né en Roumanie en 1857 - et nous racontent son passage météorique en Terre de Feu, à la recherche d'or pour le compte du gouvernement argentin, mais aussi à la tête de son propre état, faisant fi des populations locales, à la manière des grands conquistadors. A-t-il vraiment été ce génocidaire des tribus amérindiennes Selknams souvent décrit ou plutôt un utopiste toujours en quête de mondes à découvrir ? Les auteurs font clairement le choix d'une certaine réhabilitation de cet homme qu'ils dépeignent plus en défricheur un peu kamikaze qu'en dictateur local. Dans sa postface, Matz le décrit ainsi : "A moitié conquistador, à moitié cow-boy, à moitié Don Quichotte, à moitié homme du monde, à moitié scientifique, à moitié explorateur, à moitié poète, à moitié inventeur...". Cela fait beaucoup de moitiés, mais l'homme était de tout évidence complexe... et entier ! Toujours est-il que les auteurs nous embarquent pour cent pages d'aventures épiques, dans des décors souvent arides, des conditions climatiques rudes, que Chemineau restitue avec talent. Et au coeur de ces paysages grandioses, Julio Poper : un personnage tellement romanesque qu'il semble tout droit sorti de la plume de Jules Verne, comme le suggère Matz. On peut aussi voir en lui quelque chose de Daniel Dravot, cet autre "Homme qui voulut être roi", imaginé par Kipling. On referme en tous cas cet album avec à l'esprit la sensation d'avoir voyagé aux côtés d'un bien étrange individu, dont on ne sait s'il est fascinant ou répugnant. A vous de voir... mais tentez l'expédition : elle ne vous laissera pas indifférent. 


Julio Popper, le dernier roi de Terre de Feu ***
Texte Matz et dessin Léonard Chemineau
Rue de Sèvres, 2015 - 104 pages couleurs – 18 €

lundi 20 juillet 2015

[Jours de colère] - Men of wrath, de Aaron et Garney (Urban comics)

Observez bien cette couverture. Sur le vitrail, Jesus est là, (lui ou un de ses apôtres), calme et serein. En bon berger il veille sur ses agneaux : il en porte un, tandis que l'autre tend la tête vers lui, dans une posture d'adoration. La quiétude règne. Mais Jesus n'a pas l'air tout à fait dans son assiette. C'est qu'à ses pieds, sous ses yeux, une autre scène se déroule : deux autres créatures, nettement moins calmes et sereines s'affrontent. Deux hommes, dont l'un ambitionne clairement de faire bouffer à l'autre le canon du revolver qu'il tient virilement. Voire de lui exploser la tête en appuyant sur la détente.
Tout laisse à penser que cette scène se déroule dans une église. Et que l'homme au flingue se fout complètement du poids du regard de Dieu sur ce qu'il s'apprête à commettre. Et encore, Dieu ne sait pas tout : l'homme au flingue s'appelle Ira Rath. Et celui qu'il s'apprête à éliminer, c'est Ruben Rath. Son fils. Les histoires de famille sont lourdes et compliquées chez les Rath. Depuis longtemps. Mais avec Ira Rath, on atteint des sommets dans la noirceur. 
Voici un homme dont la colère ne semble pas vouloir s'éteindre, et, qui, il faut dire, porte un nom prédestiné, non ? Ira, c'est presque le Irae du Dies irae, et Rath, c'est encore plus net : voici le Wrath du titre. Ces Men of Wrath, le scénariste Jason Aaron les a imaginés à partir de lointains, authentiques et tragiques épisodes familiaux personnels, et ils ont mené son imagination vers un récit d'une fureur inouïe, comme rarement il est donné d'en lire. 
Mais si le contrat du père sur son fils est le pivot de l'histoire, ce n'est presque "rien" à côté de tous les épisodes qui jalonnent la vie d'Ira Rath : voici un homme dont la vie entière a été marquée par la violence, une violence quasi-génétique, à laquelle Ruben tente d'échapper. En vain ? C'est l'un des autres aspects intéressants de ce comics, qui pose la question de l'héritage familial : peut-on vraiment s'en affranchir ? Couper définitivement le cordon paternel ? Recommencer une vie à zéro ?
Il y a dans ce "Men of wrath" un peu du film de James Foley "Comme un chien enragé" (en vo pas st : "At close range", 1986) où le fils (Sean Penn) découvre petit à petit la pourriture qu'est son père (Christopher Walken). Sauf que là, Ruben Wrath sait déjà quel genre de salaud est son père. Et que le film de Foley, était tout de violence contenue, sous tension, là où "Men of wrath" ne nous épargne visuellement rien. Ou presque...
Avec "Southern bastards" (dont je vous parlais ici il y a peu) Jason Aaron explorait déjà le Sud profond des Etats-Unis, mais, comme il l'écrit dans la préface "Ira et Ruben Rath sont l'aboutissement d'un long cycle sanglant de violence dans le Sud [...]. Et ce qui a commencé par un mouton se terminera avec la mort de tous". Aaron s'est associé pour cette entreprise à Ron Garney : "Ce n'est pas la première fois que Ron Garney et moi nous tuons des gens ensemble". Non. Mais une hécatombe à ce point, ça doit être leur première. C'est tout simplement ahurissant. Et loin d'être simplement gratuit et spectaculaire.
Voilà. Regardez à nouveau cette couverture. Respirez un bon coup. Prêt ?
Tournez la page. 
Amen.

Men of wrath *****
Scénario Jason Aaron et dessin Ron Garney
Urban comics, 2015 - 160 pages couleurs - (Urban indies) - 15 €

dimanche 5 juillet 2015

[Insécurité et karaoké] - Zaï Zaï Zaï Zaï, de Fabcaro (6 pieds sous terre)

Bon. C'est le jour des courses, vous avez rempli votre caddie de choses les moins pourries possibles au supermarché du coin, et ça y est, c'est à votre tour de passer à la caisse. "37 € 50" dit la dame. Et aussi : "Vous avez la carte du magasin ?". Pas de quoi s'affoler, même si on n'a pas ladite carte.
Sauf que cette scène, c'est exactement celle que vit le héros de "Zaï zaï zaï zaï", et qu'à partir du moment où il annonce qu'il n'a pas sa carte... tout part en cacahuète : le voici obligé de fuir à toute jambe, poireau à la main, cet endroit maudit, où le directeur du magasin, appelé par sa caissière, l'a carrément menacé d'une roulade arrière... Dès lors, un engrenage infernal s'enclenche pour le client oublieux, qui devient du jour au lendemain, l'ennemi public numéro 1... La police commence son enquête, la caissière sous le choc tente de se remettre de l'aventure, le poireau, lâché par le fuyard, a été envoyé aux experts scientifiques, la presse débarque pour interroger le voisinage sur le climat d'insécurité qui vient de s'installer... Pendant ce temps, le criminel, dont on apprend assez vite qu'il est auteur de BD - circonstance aggravante - a gagné la Lozère, où on ne capte ni la télé, ni la radio... Va-t-il sortir vivant de cette gigantesque chasse à l'homme ?

Alors là, attention : voici LA bande dessinée de l'année ! Toutes catégories confondues. Fabcaro, auteur d'une pléthore d'albums, le plus souvent publiés par les princes de l'underground (6 pieds sous terre, La Cafetière, Même pas mal, Vide Cocagne...), mais aussi repreneur d'Achille Talon avec Serge Carrère, signe ici une histoire qui tient tout autant de la critique sociologique que du polar (après tout, il y a une traque d'un délinquant dans la nature), et qui fait mouche à chaque page : le système productiviste, la connerie humaine, l'industrie automobile française, la théorie du complot, la menace pédophile, le statut de l'artiste, le racisme ordinaire... tout y passe ! Planche par planche, Fabcaro démonte les mécanismes à l'oeuvre dans les têtes des autochtones de notre bonne vieille France, et à chaque fois, on se dit, hilare, "Ah ouais, la vache, bien vu !". Ou quelque chose du genre. Si l'hilarité nous guette à chaque case, ou presque, c'est parce que tout cela est traité avec un  humour absurde et kafkaïen. Si, ça existe.  Et en fil rouge, on suit la fuite de son alter ego, le dessinateur de BD fugitif, en se demandant où tout cela va nous mener. Ben, au coeur de la chanson française. Entre autres. Graphiquement, c'est en noir et vert douteux, et ça donne ça : 
 Foncez sur cet album, avant qu'il soit épuisé, d'ailleurs, ça se trouve, c'est déjà le cas : ce qui ne serait pas étonnant, car je vous l'ai dit, c'est la bande dessinée de l'année. VRAIMENT !


Zaï Zaï Zaï Zaï *****
Scénario et dessin Fabcaro
6 Pieds sous terre, 2015 – 72 pages bichromie - Collection Monotrème (mini) - 13 €


lundi 29 juin 2015

[Sweet home Alabama] – Southern bastards, par Aaron et Latour (Urban comics)

Earl Tubb est de retour à Craw County, une ville qu'il a fuie il y a plus de 40 ans. Pas pour longtemps se dit-il : s'il revient dans ce coin de l'Alabama, c'est uniquement pour vider la maison de son oncle Buhl. Et pas pour autre chose  : pas question pour Earl d'arpenter les rues, en souvenir du bon vieux temps, celui où son père était shérif de Craw County. Non. Car il tomberait forcément sur Euless Boss, entraîneur de l'équipe de foot du cru, et forcément, cela laisserait quelques traces, car entre ces deux hommes, cela n'a jamais été le grand amour. Même si à l'époque, Boss n'était pas encore le coach à poigne de fer qu'il est devenu, craint par toute la communauté et régnant en maître absolu de la cité... Mais il ne suffit pas à Earl Tubb de vouloir juste détourner son regard de choses qui heurtent ses convictions et son sens de la justice : témoin d'une scène insupportable à ses yeux dans le snack de la ville , il laisse parler son cœur, et ses poings. Et c'est bien entendu le début de très gros ennuis pour lui...

Les deux Jason, Aaron (scénariste, celui aussi de « Scalped ») et Latour (dessinateur) l'expliquent dans leur préface : ils ont voulu rendre hommage à leur manière à ce Sud des Etats-Unis qui les a vu naître, cet « endroit que tu peux à la fois aimer et haïr, qui te manque mais que tu crains » (Aaron) et où on peut croiser ces « connards dont on a fait une généralité de tous les gens du Sud. Ceux qu'on a peut-être peur d'être au fond » (Latour). Alors, ils y vont franco : bienvenue dans une ville sous l'emprise d'un fou furieux, psychopathe cynique que personne n'ose contredire. Sauf une personne, bien sûr, mais on n'est pas là pour rigoler, et les redresseurs de torts, dans la région, ils ne font pas longtemps de la résistance. Après un premier volume qui plante parfaitement le décor, et installe une atmosphère irrespirable jusqu'au bout, le second tome s'attarde sur la jeunesse du coach Euless Boss, passée à cracher sang et tripes sur le terrain de football, sans autre résultat que des coups de batte, de poings, de pieds... ou de revolver. Une jeunesse atroce, qui façonnera le monstre qui s'emparera du pouvoir à Craw County. 
On prend « Southern Bastards » comme un plaquage en pleine poitrine : cela coupe le souffle net, et quand on se relève, le deuxième service n'est pas très loin. Et on se demande bien qui osera s'élever contre ces salauds à l'état brut. La couleur rouge domine dans les pages de ces deux premiers volumes, y compris pour les nombreux flashbacks, qui sont le plus souvent des souvenirs au goût de sang... Bref, vous l'aurez compris : voici un des comics les plus âpres, les plus rugueux, les plus poisseux, les plus cruels, du moment.  Il manque juste un peu de femmes, dans l'affaire. Mais patience : la fille d'Earl Tubb est sur la route... 


Southern bastards ****
Scénario Jason Aaron et dessins Jason Latour – Urban Comics, 2015 – Collection Indies – 14 €
1 – Ici repose un homme – 112 pages couleur
2 – Sang et sueur – 112 pages couleur

mercredi 27 mai 2015

[ça fait plaisir] - Le Prix SNCF du Polar / BD 2015 à "Rouge Karma" (Sarbacane)



Soir de récompense ce mardi 26 mai à la Maison des Métallos (Paris 11) : l'heure de connaître les choix des lecteurs-voyageurs avait sonné. La lutte a semble-t-il été au couteau jusqu'au bout, et c'est finalement "Rouge Karma" d'Eddy Simon (scénario) et Pierre-Henry Gomont (dessin) qui décroche la timbale du très convoité Prix SNCF du Polar / BD. Un prix qui couronne une BD originale et entêtante (mais ça je vous l'avais déjà dit: tenez, ici) mais aussi le travail intelligent mené par les éditions Sarbacane, d'abord en littérature jeunesse, et depuis 2007dans le domaine de la bande dessinée. Bravo donc à Frédéric Lavabre (c'est lui qui cause, là, en dessous) et son équipe pour ce prix, le quatrième du genre dans sa catégorie. 
 

Pour les autres catégories, les 30 000 votants ont élus, le roman "Enfants de poussière" de Craig Johnson (chez Gallmeister) et le court-métrage "Carjack" de l'américain Jérémiah Jones.
Anaïs Malherbe et mister Gomont. Bien contents
Voilà vous savez tout. Rendez-vous à la rentrée pour le lancement du prix 2016 : la sélection sera sur Bédépolar, comme d'hab. Avant tout le monde ? Avant tout le monde. Ou presque.

dimanche 26 avril 2015

Delcourt garde son sang-froid et réédite "Le Monde si tranquille" de Davodeau

Apparue au début des années quatre-vingt-dix, la collection "Sang froid" des éditions Delcourt. fut certainement, au plus fort de sa production (1995-2005) une des plus intéressantes collections de  récits noirs et policiers du paysage éditorial. Etienne Davodeau y fit son entrée en 1998, avec "Le Réflexe de survie", une histoire déjà caractéristique de sa manière de raconter le quotidien ordinaire de gens ordinaires, dont la destinée peut vite basculer vers le drame dès qu'un événement inattendu survient. Les trois albums suivants "La Gloire d'Albert" (1999), "Anticyclone" (2000) et "Ceux qui t'aiment" (2002) allaient encore plus loin dans cette volonté de Davodeau d'ancrer ses intrigues au coeur d'une monde bien réel, et bien entendu, pas si aussi tranquille que l'annonce le titre de la série.


Qu'il s'agisse du portrait d'un fervent partisan de l'autodéfense sensible aux sirènes d'un parti extrémiste, (La Gloire d'Albert) d'une jeune femme de ménage sur le point de perdre son boulot si elle ne rentre pas dans le moule (Anticyclone) ou d'un footballeur victime de la médiatisation à outrance de son sport (Ceux qui t'aiment), force est de constater que Davodeau a toujours su gratter là où la société a de vilains boutons qui la démangent. Et près de quinze ans après, ce triptyque est plus que jamais d'actualité. Une bonne raison de le rééditer, sous une nouvelle maquette ( et exit Sang Froid, qui semble en train de vivre ses derniers jours) Les deux premiers volumes sont sortis début avril et le troisième parait en mai. Une excellente occasion de (re)lire ces albums des débuts de Davodeau et de faire le lien avec ses récits les plus récents, qui  relèvent eux directement pour certains du documentaire ou de l'enquête (comme "Les ignorants" chez Futuropolis, "Les Barbouzes de la République", sur le SAC, dans l'excellente Revue Dessinée) . Dans tous les cas, ils sont l'oeuvre d'un auteur devenu au fil du temps un de nos meilleurs observateurs graphiques de la France du XXIème siècle. Celle qui est si tranquille...

Un Monde si tranquille ****
Textes et dessins Etienne Davodeau - Delcourt, 2015

La Gloire d'Albert - 48 pages couleurs - 14,95 €
Anticyclone - 56 pages couleurs - 14,95 €
Ceux qui t'aiment - 56 pages couleurs - 14,95 €

mardi 21 avril 2015

[Détective privée newschool] - Maggy Garrisson, de Trondheim et Oiry (Dupuis)

    Alors, voici : Maggy Garrisson vit à Londres et vient tout juste de décrocher un poste de secrétaire auprès de Stephen Wright, Private investigator. 
 Détective privé, quoi. Elle se rend à ce nouveau job, moyennement convaincue d'être la bonne personne à la bonne place. Mais les temps sont durs et quand on a pas bossé depuis près de deux ans, on fait quelques efforts pour ne pas passer dans la catégorie des oubliés définitifs, et on met de côté ses rancoeurs contre la société. On essaye. Et on fait un sourire.
Mais voilà : le sourire se fige quand l'employeur est découvert par la nouvelle secrétaire, affalé sur son bureau, la tête sur le clavier de son ordi. Mort ? Non... Juste un lendemain de cuite difficile. Et au réveil, le patron est clair : "Y'a rien à faire pour l'instant et j'ai pas les moyens de vous payer à glandouiller sur internet avec mon ordinateur". Fais un sourire, Maggy...
Rien à faire, mais en deux temps trois mouvements Maggy résoud une première affaire, celle de la disparition de Rodrigo, le canari de la voisine, bouffé par le chat du troisième. Et le temps de la résoudre, Stephen Wright est tabassé chez lui et emmené à l'hôpital. Et là, une affaire d'un genre plus périlleux attend Maggy Garrisson, qui,  au bout de quelques rencontres plus ou moins louches, plus ou moins réconfortantes, va se retrouver, à la fin du tome 1, avec un semblant de petit ami et 30 000 livres à partager avec lui.

Et dans le tome 2, toutes les questions restées en suspens vont être réglées ou presque. Avec une autre enquête pour Maggy et Stephen Wright, autour d'un frère et d'une soeur s'accusant mutuellement du vol des bijoux de leur défunte mère. La nouvelle vie de Maggy va-t-elle lui permettre de retrouver le sourire, pour de vrai ?
                                               ***
Dans la famille enquêteurs, je voudrais la fille : "Vilaine, fauchée et détective privée". Voilà sur quelles bases Lewis Trondheim et Stéphane Oiry ont lancé leur anti-héroïne, Magy Garrisson, qui se pose ici en digne héritière de A.Y. Jalisco, "Pauvre, laide, et détective privée", dans la série "Chicanos" de Trillo et Risso.

En inventant un personnage de ce calibre, le duo va à contre-courant de tous les archétypes du genre. Voici une enquêtrice qui fume, boit, jure, n'a pas franchement la ligne, et semble faire la gueule en permanence. On est loin des filles canons qui mettent le mystère KO entre deux déshabillages et trois coups de lattes en talons aiguilles. Déjà, rien que ça, cela fait énormément de bien au lecteur, et à la lectrice, qui commençaient à se demander, si cela existait encore, du polar de la vraie vie. Bon, d'accord, vous allez me dire, oui, mais le privé fauché, voilà bien un autre cliché du genre.
Et c'est là que Trondheim et Oiry sont encore plus forts : pour donner de l'épaisseur à ce personnage archétypal, et ne pas en rester à la simple esquisse, ils distillent des scènes du quotidien d'une Maggy sans un rond, tout au long de leur intrigue. Exemple, cette scène dans une supérette où Maggy voit un encore plus pauvre qu'elle voler des biscuits... bas de gamme, ce qui lui inspire la pensée suivante :  "Tant qu'à se faire gauler, autant plus cher et plus qualitatif. Aucune ambition... Même dans la loose"... Une réflexion qui rappelle celle de Michel Blanc dans Marche à l'ombre et son "Piquer des trucs chers, c'est du vol".
Voilà pour l'atmosphère générale de ces deux enquêtes : un quotidien réaliste, crédible, où une jeune femme presque transparente physiquement - au premier abord, du moins - s'échine à résoudre une enquête qui va l'entraîner sur des pentes de plus en plus glissantes. Et tout cela  dans un Londres plus vrai que nature, même si Stéphane Oiry explique  que toute la ville est reconstruite et qu'un promeneur Londonien ne retrouverait pas les lieux tels qu'ils les a dessinés (Cf interview dans Spirou 4009).

"L'homme qui est entré dans mon lit" reprend là où le tome 1 s'était arrêté; et tourne à la fois autour de l'homme en question, Alex Barry ( tiens, serait-ce un hommage à Alan Ford ? Ou plutôt à John Barry ?) et d'une autre enquête où Maggy va retrouver son ex-patron, Stephen Wright. Oui, parce qu'évidemment elle s'est faite virée de son nouveau job avant le mot "fin" du tome 1
Et ce deuxième tome est lui aussi un vrai bonheur. Cela tient à la précision du scénario de Trondheim, à son sens du dialogue et à ses fameuses répliques qui tuent, et bien sûr au travail de Stéphane Oiry. Déjà, ce dernier utilise la technique dite "du gaufrier", pour sa mise en page, et franchement, c'est la meilleure pour éviter de tomber dans le spectaculaire et de faire glisser le récit noir au thriller démonstratif sans y prendre garde. Les auteurs expliquent d'ailleurs très bien ce choix : "... le gaufrier résout résout plein de problème de lisibilité et permet de densifier le récit" (Oiry) et "Une page en gaufrier permet de rester concentré sur ce qui se passe et au dessinateur d'éviter à chercher l'esbrouffe graphique" (Trondheim) (tous les deux dans Spirou n°4009)
Ensuite, son Londres - même réinventé - est réellement formidable : les pubs, on a vraiment envie de s'y arrêter pour aller partager une pinte avec ces clients, qui,  loin de jouer le rôles des figurants habituels,  sont bien des personnes authentiques, même si on ne les croise que quelques cases.
C'est cela en fait, la grande force de Maggy Garrison : on commence à lire, et on est tout de suite fasciné par la personnalité de la jeune femme, et on devient carrément accroc à son petit monde, on s'attache à elle et ses galères, on croise les doigts pour elle, on se dit, "non, elle ne va tout de même pas faire ça"... Et toutes sortes de choses du même acabit.
 Maggy Garrisson, c'est exactement comme ces séries TV polar dont on ne peut décrocher. Et c'est bon.

Maggy Garrisson*****
Scénario Lewis Trondheim et dessin Stéphane Oiry  - 46 pages couleurs
1 - Fais un sourire, Maggy - Dupuis, 2014
2 - L'Homme qui est entré dans mon lit - Dupuis, 2015

mercredi 25 mars 2015

[Saignant] - Clan, par Amazing Améziane (Le Lombard)

" Quand tu prends le pouvoir pour le donner au peuple, c'est une révolution. Quand tu prends le pouvoir pour de l'argent, c'est un coup d'état.
- Et nous qu'allons faire, boss ?
- Un coup d'état révolutionnaire, Akumyo".

Saburo Yoshitoshi est jeune, beau, et yakuza. Et pour fêter ses trente ans qui arrivent, il ne trouve rien de mieux que de déclarer la guerre à Jiro Kodama, le boss de tous les obayun (les parrains, quoi) de la région de Tokyo. Un risque calculé ? Oui, car depuis des mois, Saburo observe la bête à abattre et est prêt à porter un coup décisif d'entrée, en visant quatre des plus fidèles obligés de Kodama. Tout semble parfaitement huilé. Sauf qu'une des quatre cibles ne se laisse pas revolvériser la tête comme prévu. Sauf que Saburo ne parvient pas à mettre Jun, sa petite amie, à l'abri à temps. Et sauf que Kodama fait ressortir d'une geôle et de l'oubli, Shi, un aveugle étonnamment agile et meurtrier, qui va lui servir de bras armé. Cela fait beaucoup d'imprévus pour Saburo....

Des histoires de yakuzas, il y en a pas mal, mais surtout dans les mangas. Du côté de la bande dessinée "franco-belge", c'est déjà plus rare, une des dernières en date étant le "Spirou à Tokyo" de Morvan et Munera... et, évidemment dans un autre registre. Alors non seulement "Clan" d'Amazing Ameziane, est-il original par son sujet, mais il l'est encore plus par son traitement graphique, car il s'agit ni plus ni moins qu'un... comic-book ! Et, si je puis me permettre, un putain (ou p***, pour les adeptes du vocabulaire courtois) de comic-book ! Les influences-hommages d'Ameziane sont évidentes et revendiquées, dans ces silhouettes à la Frank Miller, ces rictus à la Eduardo Risso, ou encore dans cette façon d'enchainer les bulles de dialogues, comme dans les Bendis des débuts (Torso, Jinx). Et surtout, il y a cette mise en pages, ce découpage, ces cadrages hyper dynamiques et inventifs, rappelant les meilleurs "crime comics" de ces dernières années. Sans parler d'un sens des dialogues qui fait mouche à tous les coups , genre : 
"Hey, regardez ce qu'on a là... Je te jure, ce mec, c'est comme si Kung Fu Panda et Daredevil avaient eu un gosse." 
Une réplique qui synthétise d'ailleurs à elle seule la genèse fictionelle du "héros" de Clan, Shi : ce personnage rappelle à la fois Po, le maître du petit scarabée Kwai Chang Caine, et le justicier de la nuit urbaine et américaine, Matt Murdock.



Clan est un projet qui a longuement mûri dans la tête de son auteur, et comme il l'explique très bien dans une riche postface, ce volume est le premier de trois "one shot" d'une saga familiale étalée sur un siècle. Et comme dans "Star Wars", c'est pas l'épisode 1... et comme "La guerre des étoiles", c'est une belle claque. 
"... et soudain le terme comics n'est plus un mot sale dans le monde de la BD", écrit aussi l'auteur, qui qualifie aussi "Clan" de graphic novel. Et pas de roman graphique, hein ? Faudrait voir à pas confondre. 
Alors... C'est un oiseau ? C'est un avion ? Non ! C'est Améziane. Et c'est franchement Amazing ! 

 
Clan ****
Scénario et dessin Amazing Améziane
Le Lombard, 2015 - 95 pages couleurs - 17,95 €