La technique d'Alicia est bien huilée. Elle roule en pleine ville, et repère dans la circulation celui qui sera son prochain pigeon. Il circule en général à bord d'une grosse bagnole et affiche l'air suffisant du touriste plein aux as. Elle, elle circule à vélo, dans une tenue des plus légères : t-shirt en haut, jupe mini comme pas permis. Et c'est bien là que se trouve le noeud de l'arnaque, dans cet accoutrement destiné à aller à la pêche au gogo : une fois sa future proie choisie, Alicia se porte d'abord à sa hauteur, histoire qu'il la repère bien, puis le dépasse et pédale tranquillement devant lui, histoire qu'il voit bien ce qu'il y a sous la jupe. Et à un moment, crac, c'est la chute ! La jeune femme se retrouve à terre, le conducteur pile juste à temps, il est confus, il sort pour porter secours à la pauvresse, mais il ne sait plus s'il doit regarder la culotte d'Alicia ou jeter un oeil au vélo... Le pédalier semble foutu, et Alicia ne se fait pas prier pour se faire raccompagner chez sa mère, avec qui elle vit encore, et là, après l'avoir attiré dans sa chambre, la jeune femme ferre définitivement le poisson, qui succombe à ses charmes et la voici à l'abri du besoin pour un petit moment. La mère est dans la combine, car il faut bien vivre, à la Havane, en ce début de 21ème siècle. Le petit numéro, bien rôdé, fonctionne à merveille et semble même atteindre la perfection lorsqu'Alicia prend dans ses filets Juanito, un beau gosse au physique d'Alain Delon. Mais le play-boy n'est pas dupe, et il décide de proposer à Alicia de passer à la vitesse supérieure, côté arnaque par la séduction. Reste à savoir si ces deux-là peuvent tous les deux gagner sur tous les tableaux...
C'est Matz lui-même – co-directeur de la collection avec François Guérif – qui s'est chargé de l'adaptation de ce roman de Daniel Chavarria, publié à Cuba en 1995, et Paolo Bacilieri qui oeuvre aux pinceaux. Ce qui frappe dans cette version, c'est sa dimension sensuelle. Dès le début, bien entendu, avec le manège aguicheur de « l'héroïne », puis un peu plus loin, dans les cènes de jeux érotiques entre Alicia et Juanito, mais aussi dans des scènes moins explicites : l'air est sérieusement moite dans ces pages... C'est en fait en raison du trait de Bacilieri, étonnamment proche dans certaines planches, de celui du vénérable Georges Pichard, un des maîtres français de la bande dessinée polissonne (Ah, « Paulette » et « Blanche Epiphanie »... ). On en oublierait presque que cette BD est un polar, mais on aurait tort : le roman de Chavarria ménageait un vrai suspense que Matz réussit à transposer, tout en maintenant une atmosphère lourde, de celle où le lecteur se dit : « ça va mal finir... ». Mais ça, je vous laisse le découvrir.
Adios Muchachos
Scénario Matz et dessin Paolo Bacilieri
d'après le roman de Daniel Chavarria
Casterman, 2011 - 124 pages couleurs.
Collection Rivages/Noir/Casterman - 18 €