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lundi 15 janvier 2018

Du sang sur les mains : de l’art subtil des crimes étranges, par Matt Kindt (Monsieur Toussaint Louverture) *****

Pour commencer l’année, autant débuter par un chef d’oeuvre, car il faut appeler les choses par leur nom : Du Sang sur les mains est une bande dessinée magistrale.

De quoi s’agit-il ? Tout "simplement" d’un polar aux multiples portes d’entrées, et qui mènent toutes à une ville, Diablerouge, et à l’inspecteur Gould, flic de choc de la cité, réputé pour son incroyable efficacité. Cette « véritable figure de la lutte contre le crime » mène les arrestations avec une facilité déconcertante et il est impossible de lui échapper. Mais on voit peu le super-flic à l’oeuvre, si ce n’est au moment de passer les menottes aux coupables. Car, et c’est une des nombreuses réussites de cet album, c’est en dressant les portraits des « victimes » de Gould, que Matt Kindt nous plonge dans un tourbillon narratif passionnant. 

Ainsi, on croise successivement : une jeune barmaid cleptomane obnubilée par le vol de chaises. Une prof à la vocation d’écrivain tellement contrariée qu’elle en finit en prison à cause d’une idée de roman géniale. Un ex-prestidigitateur tombé dans l’oubli et reconverti en pickpocket. Un ascensoriste voyeur dont les photos finissent en galerie d’art. Un trafiquant de fourrures insaisissable. Un braqueur rangé des voitures, mais qui a eu la mauvaise idée de choisir Diablerouge pour sa retraite. Et un employé modèle, roi de la manipulation...
A ces adeptes des entorses à la loi – voire à la morale - viennent s’ajouter trois femmes, figurent importantes dans le récit de Matt Kindt : Annalyse Gould, la propre femme de l’inspecteur, qui tient justement la galerie de la ville, Carol Hikson, artiste et Tess Riley, ex-agent de probation et maintenant agent immobilier bien en place. 
 

Tous ces personnages, reliés par un fil scénaristique invisible jusque dans les dernières pages de ce récit fascinant, sont des gens ordinaires, avec tous en commun, tout de même, un certain goût pour le beau, l’art, l’aspect ludique de la vie, et peut-être aussi, des envies de reconnaissance. Ou de ne pas devenir invisibles, tout simplement… On entre dans leurs vies, leurs envies, leurs espoirs et leurs désillusions : il y a dans ce livre un côté existentiel, introspectif, omniprésent, trop rarement à l’oeuvre dans les polars.
Graphiquement, Matt Kindt multiplie aussi les techniques et traits : reproduction du journal local de Diablerouge, avec ses strips mettant en scène l’inspecteur Gould, comme au début des comics (l’hommage à Dick Tracy est évident), fausses couvertures de romans populaires, cases noires composées uniquement de dialogue, changement de sens de lecture pour donner l’impression d’avoir un journal en mains… Des exemples parmi d’autres pour illustrer la mise en page dynamique et inventive qui est celle de l’auteur.


« Du sang sur les mains » est un vrai kaléidoscope, où tout est en mouvement et finit par s’imbriquer. Et une fois arrivé au bout, vous prend une envie irrépressible de vous replonger dans cet « Art subtil des crimes étranges » ou de vous arrêter longuement sur la superbe jaquette de l’album, qui mériterait une analyse à elle toute seule. 
 
On notera d’ailleurs le soin apporté par Monsieur Toussaint Louverture à cette édition française, et on peut se réjouir de voir que Mind MGMT, série-phare de l’auteur, soit annoncée chez cet éditeur en 2020. Mais en attendant, lisez, relisez, « Du sang sur les mains », œuvre majeure !


Du sang sur les mains : de l’art subtil des crimes étranges *****
Scénario et dessin de Matt Kindt – Traduit par Céleste Desoille
Monsieur Toussaint Louverture, 2018 – 276 pages couleurs – 24,50 €