Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
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Bonne balade dans le noir !

jeudi 25 mars 2010

Commando colonial 1 et 2 (2008-2009)

Madagascar, 1942. Les agents Rivière et Robillard, du Bureau Central de Renseignements et d'Action (BCRA) doivent retrouver un certain Spartacus, prêt à renverser les forces vychistes installées à Diego-Suarez, au nord de l'île, et faire rallier tout Madagasacar à la France libre et gaulliste. Un rencontre secrète est organisée au cours d'un bal masqué, où « toute la colonie est là »... mais les négociations ne donnent rien, exacerbant même plutôt les divergences de vue : la préférence d'un ralliement aux anglais a au moins autant de partisans que le choix de la France pour l'île. C'est à ce moment que Spartacus entre en scène, et contacte Rivière et Robillard : les deux agents comprennent vite qu'en fait, le but ultime est l'indépendance de Madagascar. Les événements se précipitent soudainement et les deux agents sont contraints à la fuite, sont arrêtés et transférés vers Tananarive, à bord d'un avion, qui ne tarde pas à s'écraser, abattu par la Royal Air Force des Anglais, qui viennent de débarquer.

Après le très bon « Biotope » dans cette même collection, Appollo et Brüno signent là une autre excellente aventure, exotique et dépaysante au possible. Dans un autre registre, puisqu'il s'agit cette fois d'une histoire d'espionnage sur fond de seconde guerre mondiale et de décolonisation. Le duo met en scène héros virils et femmes effrontées ou effacées, et toute une galerie de pleutres, traitres et coloniaux sans scrupules. Le second tome, avec le crash sur une île où règne en roitelet un personnage ubuesque, suivi d'une longue séquence à bord d'un sous-marin allemand, s'éloigne de la trame purement historique pour dévier vers un voyage aux frontières du surréalisme. Le dessin de Brüno, immédiatement identifiable, y est pour beaucoup, et parvient régulièrement, en quelques cases, à faire basculer une situation tendue en une scène presque cocasse. C'est aussi tout l'art de son scénariste de lui avoir écrit une histoire étonnante de bout en bout. Au final, le lecteur se dit qu'il tient là un duo extrêmement doué pour les bandes dessinées où l'atmosphère créée est une vraie marque de fabrique, quels que soient l'époque et les lieux mis en scène. Et le lecteur se dit qu'il va vraiment falloir suivre de près la paire Appollo & Brüno. Et il a tout intérêt, le lecteur, à faire un tour du côté du formidable blog de Brüno, où il est question de Junk, Biotope, Lorna... et Commando Colonial 3 !

Commando Colonial

1 - Opération Ironclad (2008)
2 - Les Loups gris de la désolation (2009)
Scénario Appollo et dessin Brüno
Dargaud, 48 p. couleur chaque - Collection Poisson Pilote.


samedi 20 mars 2010

"La Princesse du Sang" de Cabanes et Manchette primé à Bon Encontre


Depuis 2007, le festival de Bon Encontre décerne, le Prix Calibre 47, qui couronne un roman et le Prix Polar'Encontre, qui consacre lui une bande dessinée. Pour ce dernier prix, le jury, constitué d'experts BD et du lauréat de l'année précédente, a élu « La Princesse du sang », de Max Cabanes d'après le roman de Jean-Patrick Manchette. Une adaptation publiée aux éditions DUPUIS, qui n'ont pas spécialement décidé de suivre le vent porteur en la matière, en ne créant pas de collection spécifique, par exemple, comme l'a fort bien expliqué José-Louis Bocquet lors du premier festival des Habits Noirs en novembre dernier.

Cette adaptation est la seconde de l'oeuvre de Manchette, après celle de Tardi pour Le Petit bleu de la côte ouest (actuellement chez Futuropolis), sans oublier le Griffu du même duo, à la fin des années 70, une histoire originale. C'est Doug Headline, fils de Manchette, et lui-même scénariste, qui a adapté le roman de son père. Sur le choix du dessinateur, il s'explique dans le dossier de presse de l'époque :

« Pour s'attaquer à cette histoire, surprenante de la part de Manchette, s'imposait en écho le choix d'un dessinateur que personne n'aurait attendu sur ce terrain, mais capable de saisir l'essence et la complexité de l'univers du romancier : c'est-à-dire un auteur grand par son imprévisibilité, délicat et précis, doué d'une force jamais envahissante, mais capable de jaillir sans avertissement à chaque page. Et j'ai avancé le nom de Max Cabanes, dont la sensibilité singulière, le trait unique, élégant et souple, et l'incroyable talent étaient restés gravés dans ma mémoire depuis de longues années. Je ne connaissais pas Max, je ne savais pas où il en était dans sa vie de créateur d'images. Mais je ne sais pourquoi, je ne voyais personne d'autre que lui pour dessiner cette histoire... »

Avec ce prix, Cabanes succède à Erwan Le Saëc (Mafia Story, Delcourt), Damien Vanders (Welcome to hope, Bamboo), et Laurent Astier (Cellule Poison, Dargaud)

lundi 15 mars 2010

Interview : Briac (Les Gens du Lao Tseu et Armen)

Le lecteur attentif que vous êtes l'avait certainement remarqué : bédépolar donne pour l'instant beaucoup de chroniques à lire. Mais la parole des auteurs, c'est pas mal non plus, et pour cette première, c'est Briac, qui a eu la gentillesse de répondre à mes questions. Une courte interview que vous pourrez prolonger en allant à la rencontre de l'auteur, si la Bretagne est à vos portes...

Briac, tu viens de faire paraître « Les Gens du Lao Tseu », dont l'action se déroule dans le Brest des années 20. Pourquoi ces choix géographiques et historiques ?

Pourquoi Brest ? Parce que c'est la plus belle ville du monde et la plus belle rade de l'univers !!! Enfin, trêve de chauvinisme ! Ce qui m'intéressait en situant mon histoire dans une cité portuaire du début du 20ième siècle, c'était d'essayer de retrouver l'atmosphère particulière de ces lieux ouverts sur le monde. Ces lieux cosmopolites où les individus peuvent être classés en deux catégories, ceux qui restent et ceux qui partent... Bref,un endroit parfait pour des personnages aussi complexes et cabossés que Thalamas et Tchang.

"Armen", ton premier album; se déroulait pendant la seconde guerre mondiale. Dans ce nouvel album, tes personnages principaux sont marqués par la Grande Guerre. Dans les deux cas, on voit bien ce qu'un conflit armé inflige aux être humains. Ne serais-tu pas un brin pacifiste ? Ou... taoïste, si on se réfère au titre de ce deuxième album ?

Pacifiste, peut-être ? En ce qui concerne le Taoïsme, je dois confesser que mes connaissances en la philosophie chinoise sont aussi limitées que celles de mes personnages. Ce qui est certain, c'est que ces périodes où tous les sentiments sont exacerbés me permettent de traiter de l'individu dans toute sa complexité. Dans Armen les personnages étaient en pleine apocalypse. Tandis que dans Les Gens du Lao Tseu ils en sortent. Dans mon premier album,le désespoir règne. Le monde est symbolisé par le phare. Pas de possibilité d'échapper à l'enfer... Dans le second, il y a l'éventualité d'une reconstruction qui ne peut se faire pour mes personnages qu'en appréhendant la vie d'une façon différente. On sait d'ailleurs que c'est à cette époque que sont nés de nombreux mouvements pacifistes. Malheureusement...

Tu es l'auteur de tes textes et tu dessines. Ton intrigue est cette fois un peu plus élaborée que dans Armen – qui tenait du huis clos psychologique. Cela a-t-il été plus difficile pour toi de faire vivre tous ces personnages dans l'entourage du cabaret « Le Lao Tseu » ?

Il est vrai que dans Armen, l'intrigue psychologique se limitait aux rapports entre Kloetz et Fanchec. En revanche dans Les Gens du Lao Tseu, j'ai tenté de donner corps à chaque personnage, du plus important au plus secondaire. Cela m'a donc obligé à imaginer une vie passée et future pour chacun d'entre eux. Travail long et peu visible mais qui, sait-on jamais, me servira peut-être pour une suite éventuelle.

Constantin, ton personnage principal, est un ex-flic tenté par la carrière d'écrivain. Mettre en scène l'écriture n'était-elle pas une difficulté supplémentaire ?

Je ne sais pas si cela était difficile mais en tout cas c'était nécessaire. Il fallait que la littérature donne un sens à la vie de Thalamas. Et puis qui sait peut-être me remplacera-t-il un jour en tant que narrateur?

Tu travailles en couleurs directes. Tu peux nous en dire plus sur la technique utilisée sur cet album ? Est-ce la même que pour « Armen » ?

En effet la technique est la même pour les deux albums. Tout d'abord, je réalise une conception sommaire de la planche au brouillon puis j'attaque directement la planche au pinceau trempé dans la peinture acrylique, en tentant de donner le maximum de souplesse au dessin. La couleur ne doit pas seulement participer à l'illustration, mais également à la narration. Elle doit permettre aux lecteurs de ressentir le sentiment des personnages.

Ces deux albums sont très proches, graphiquement. Le prochain sera-t-il dans le même registre esthétique ?

Je suis actuellement en pleine recherche sur les couleurs du prochain album. En effet, cette histoire devrait se dérouler sur plus d'une soixantaine de planches contre 47 pour les précédentes. Je cherche à synthétiser le graphisme et pour cela je me suis résigné à échanger mes sacro-saints tubes d'acrylique pour des encres. J'espère malgré tout garder la spécificité des albums précédents.

Peux-tu nous en dire plus sur l'intrigue ?

C'est une histoire qui se déroulera en grande partie dans des campements ouvriers, près d'une cité ressemblant étrangement à Dubai... ,Et même sous la torture je n'en dirai pas plus car je suis en phase d'écriture...

Merci !

Et si vous voulez rencontrer Briac, voici les sept dates qui constituent actuellement son tro-breizh perso :

Les 20 et 21 mars à Binic au festival "Les Escales de Binic"
Le 27 mars à Guingamp à la librairie "mots et images"
Le 3 avril à Vannes à la librairie "Le jardin des bulles"
Le17 avril à Morlaix à la librairie Dialogues
Le 9 mai au Conquet au festival "La mer en livres"
Le 24 et 25 juillet à Concarneau au festival du polar "Le chien jaune"
Le 18 septembre à Bédée au festival "Pré en Bulles"

samedi 13 mars 2010

Les Carnets de Darwin 1 - L'Oeil des Celtes (2010)

Yorkshire, 1860. Les ouvriers d'un chantier de construction ferroviaire sont victimes d'une terrible et mystérieuse attaque nocturne : deux d'entre eux sont déchiquetés par ce qui semble bien être une bête inconnue des scientifiques. Devant l'ampleur de l'émotion suscité par l'événement, et pour éviter que le chantier ne soit paralysé trop longtemps – car les syndicats ont provoqué une grève immédiatement suivie – le premier ministre en personne intervient en faisant appel à un enquêteur d'une espèce peu commune : Charles Darwin. Le naturaliste dont tout Londres parle s'est penché par le passé sur une race de bêtes aussi féroces qu'insaisissables, les Griffus... sans jamais en avoir vu un. L'attaque du Yorkshire va peut-être enfin récompenser ses efforts et lui permettre de d'étayer ses théories. Mais il va falloir faire vite car d'autres cadavres sont découverts...

Faire intervenir des personnages célèbres dans des scénarios pour y apporter un peu de piment ou de crédibilité, cela se voit régulièrement. Faire d'un de ces personnages le héros central d'une série, c'est plus rare, et assez osé dans le cas de Charles Darwin. En s'appuyant sur des aspects réels de la vie du naturaliste – comme son goût pour les expéditions scientifiques – Sylvain Runberg a tricoté une intrigue autour du mythe de l'homme sauvage, mêlant fantastique, recherche et suspense. Et il n'a pas hésité à doter Darwin d'une personnalité pour le moins perturbée, qui pourrait réserver d'autres surprises dans les tomes à venir. Le résultat est assez étonnant, et Edouardo Ocana, le dessinateur se sort très bien des scènes d'attaques par la bête mystérieuse. Son Darwin a parfois de faux airs de Wolwerine (mais oui, le fou furieux des X-men), ce qui est au final, ne manque pas de piquant. Ce tome de mise en place lance assez bien ce thriller à la croisée des genres, et on attend la suite avec une certaine curiosité.

Les Carnets de Darwin, tome 1- L'Oeil des celtes
Texte Sylvain Ruberg et dessins Eduardo Ocana
Lombard, 2010. - 56 pages couleurs – 13,50 €

vendredi 12 mars 2010

Bloody September (2010)

New York, décembre 2000.
Manhattan. L'inspecteur Pezzulo est appelé sur les lieux d'un homicide : une jeune femme a fait une chute depuis le toit d'un immeuble. Suicide ? Pas sûr, puisque des traces de sang sont retrouvées sur le garde-fou de l'immeuble. Pezzulo lance une enquête sur ce sang.
Au même moment, dans sa maison de Brooklyn, un jeune homme blond se prélasse dans son bain : dans la chambre voisine, une jeune femme se repose sur le lit. Son sommeil est définitif : elle a baigne dans son sang, la gorge tranchée. Le jeune homme blond a un rictus de satisfaction.
Au même moment, à Soho, Louise s'apprête à partir pour son travail, au Big Tits studio, où elle tourne des films au contenu explicite. Un job qu'Anita, sa petite amie semble apprécier modérément, mais que Louise assure maîtriser, tout comme son corps.
Dans les studios, un jeune homme blond observe Louise, au moment de son départ.
Janvier 2001 arrive. Les mois passent. Les cadavres de femmes mutilées s'amoncellent sous les pas de l'inspecteur Pezzulo. Et bientôt, c'est le mois de septembre, à New York.

Casterman a créée le label KSTR pour y accueillir des histoires un peu différentes de celles publiées à l'enseigne de la maison-mère, plus longues, plus personnelles parfois, et souvent, aux styles graphiques marqués. Celui de Will Argunas est d'un réalisme brut, brutal parfois, et l'avertissement - à l'américaine, en forme de clin d'oeil – prévenant les parents des « explicit images » contenues dans les pages de « Bloody september » est certes parodique, il n'en demeure pas moins... approprié. Son histoire de tueur en série traqué par un flic usé par un quotidien déprimant, dans une ville bientôt traumatisée par la destruction de l'un de ses symboles, est des plus sombres. Argunas installe une ambiance lourde et pesante dès les premières pages, grâce à un usage intense de l'ombre et de la hachure dans la majorité de ses cases. Les visages de ses personnages semblent porter les stigmates d'une douleur latente, d'un malheur prêt à s'abattre. A aucun moment Argunas ne laisse penser ou croire que la vie était belle avant le 11 septembre 2001, à New-York. Et la chute finale de son « septembre sanglant » en remet une couche sur les notions de Bien et de Mal. Un album au final assez étrange et dérangeant, qui mérite plus d'une lecture. Will Argunas est l'un des invités du cinquième festival de polar de Bon-Encontre, ce week-end. C'est le moment d'aller philosopher avec l'auteur.


Bloody september
Texte, dessin et couleurs Will Argunas
KSTR, 2010. - 137 p. couleurs – 16 €

mercredi 10 mars 2010

Rocambole, de Ponson du Terrail (2009)

De retour d’Angleterre à bord de la Mouette, Rocambole fait la connaissance du jeune marquis de Chaméry, qui revient lui en France pour un héritage de 75000 livres de rente. Le bateau fait naufrage et les deux hommes se retrouvent, sur une île, seuls survivants. Il ne faut guère de temps à Rocambole pour s’emparer des documents attestant de l’identité du marquis et pour abandonner l’héritier sur place. Arrivé à Paris, l’imposteur vient réclamer sa part d’héritage familial, au grand dam de sa « cousine » Andrée, qui crie au scandale et à la supercherie devant cette réapparition soudaine du jeune marquis... Mais Rocambole a de la ressource et il lui en faut plus pour lâcher une si belle affaire !

Cette adaptation est celle des « Exploits de Rocambole », troisième des neuf cycles d’aventures du héros de Ponson du Terrail. Ce choix – ne pas commencer par « L’héritage mystérieux », le premier cycle - peut paraître curieux car, d’emblée, le lecteur se trouve confronté au personnage de Rocambole. Celui-ci ne lui a pas vraiment été présenté, ni les autres protagonistes importants, tel Sir Williams, son mentor anglais, présent dès le début de ses aventures, ou Baccarat, son ennemie jurée. Mais ce petit écueil n’empêche en rien la compréhension de l’intrigue, ni ne nuit à son rythme : il participe même de la dynamique échevelée de l’album, faite de rebondissements et de coups de théâtre à gogo. Il aurait été malheureux que l’expression « rocambolesque » ne réussisse pas à trouve tout son sens en images...Bertolucci, avec son trait souple, participe à cette réussite, et il campe un Rocambole jovial et facétieux, commettant les pires exactions le sourire aux lèvres et l’ironie à fleur de peau.
Proches parfois de la caricature dans les visages et leurs mimiques, les personnages
du dessinateur sont expressifs et il les fait évoluer dans des décors soignés où règne un réel souci du détail. Brrémaud, de son côté, réussit l’exploit de faire entrer les 145 épisodes originaux de cette aventure, parus dans le quotidien « La Patrie », en un 48 pages bien frappé. Il fallait le faire... Il y a forcément des raccourcis scénaristiques, mais l’esprit de Ponson du Terrail rôde à chaque page et cette adaptation donne furieusement envie d’aller (re)faire un tour du côté du monument original. Il ne semble pas que d’autres tomes soient prévus pour Rocambole dans cette collection Ex-Libris, et c’est bien dommage.


Rocambole, de Ponson du Terrail
Scénario Frédéric Brrémaud et dessin Federico Bertolucci
Delcourt, 2009 – 48 pages couleur – Collection Ex-libris – 9,95 €

samedi 6 mars 2010

Laurent Astier à Polar Encontre : Retour sur L'Affaire des affaires (2009)

Laurent Astier est un des invités du prochain festival Polar Encontre, qui approche à grands pas.
Voici ce que j'écrivais sur son chef d'oeuvre - oui, c'en est un - "L'Affaire des affaires", il y a quelques temps :

Chez Dargaud, un des événements majeurs reste la sortie du premier tome de « L'affaire des affaires », qui n'est ni plus ni moins que la vie tumultueuse de Denis Robert, journaliste libre... et qui en paye le prix. Ce volume revient sur les débuts de Denis Robert, en Lorraine, puis à Libé, sur ses succès de librairie sur les affaires financières qu'il n'a de cesse de dévoiler. L'affaire Clearstream est bien entendu là, en fil rouge, mais c'est bien sur les premières enquêtes du journaliste dans le monde de l'hyper finance que s'attarde ce tome initial, et dresse le portrait d'un homme intègre, pas toujours compris par son entourage. Il est pourtant salutaire de se rappeler, à l'heure où on entend de la bouche de nos gouvernants qu'il est temps de moraliser le capitalisme ou de s'attaquer aux paradis fiscaux, que c'est bien cet homme qui était à l'origine de l'appel de Genève de 1996, sur justement, la lutte contre ces paradis fiscaux.... C'est Laurent Astier, sur un storyboard de Lindingre, qui met en images les affres de la vie de Denis Robert, et il y réussit parfaitement, avec son style nerveux. Il se joue aussi sans encombre d'une des difficultés de ce genre d'entreprise : le dessin de personnes réelles et connues. Son Denis Robert est ainsi criant de vérité, et ses Van Ruymbecke et autres protagonistes sont immédiatement identifiables. Un album à lire absolument en ces temps de crise financière qui n'en finit pas.

En ce mois de mars 2010, je peux aussi vous affirmer que le deuxième volume, "L'enquête", est tout aussi passionnant que le premier. On entre cette fois au coeur de l'affaire avec les révélations d'Ernest Backes à Denis Robert sur la société Cédel, qui deviendra Cleastream... Backes possède une personnalité hors-du-commun et exerce une fascination évidente sur Denis Robert, qui hésite encore sur le jugment à porter sur cet homme qui lui apporte les preuves de l'existence d'un léviathan occulte de la finance internationale : " Soit ce Backes est un dangereux mythomane... soit c'est un génie !?!" peut-on lire dans les pensées de l'auteur. Nous le savons maintenant, Denis Robert s'engouffrera dans la brêche et ne lâchera plus le morceau, quoiqu'il lui en coûte. Porté par une sensation de surpuissance, il n'est pas loin de se voir en chevalier blanc, qui va éradiquer le monde de la finance. Mais l'ennemi est bien entendu trop coriace, trop gros. Si Denis Robert sait, comme dans le premier tome, nous faire toucher du doigt ses états d'âme et ses doutes les plus intimes, c'est aussi encore une fois grâce au travail de Laurent Astier, qui compose pour cette trilogie des planches d'une inventivité remarquable et joue avec la case pour traduire au mieux la psychologie des personnages. Et à plus d'une reprise, il trouve l'image juste, puissamment évocatrice, pour rendre compte de la puissance des forces qui s'opposent à Denis Robert. On sort de la lecture de ce deuxième tome complètement conquis... et remonté. "L'Affaire des affaires" marque un vrai tournant dans la bande dessinée francophone, à mi-chemin entre l'autobiographie et le récit d'investigation.


L'Affaire des affaires, tome 1 – L'Argent invisible
Texte de Denis Robert, dessin de Yann Lindingre et Laurent Astier
Dargaud, 2009
206 p. Noir et blanc - 22 €

L'Affaire des affaire, tome 2 – L'Enquête
Texte de Denis Robert, dessin Laurent Astier
Dargaud, 2009
208 p. Noir et blanc - 22 €

jeudi 4 mars 2010

Les Gens du Lao-Tseu (2010)

Brest, années 20, la ville s'angoisse : un quatrième assassinat vient d'être commis dans le quartier de Recouvrance. La police patauge, mais une sérieuse piste s'ouvre lorsque se présente le député De Lesmel, qui arrive tout droit de Moselle : il apporte une photographie où il figure en compagnie des quatre victimes... Dans le même temps, au cabaret le Lao-Tseu dont il est le co-propriétaire, l'ex-commissaire Constantin Thalamas tente de se libérer de ses fantômes de la Grande Guerre. La voie de l'écriture, ne serait-ce pas là une bonne thérapie ? Mais la carrière d'écrivain ne se décide pas comme cela du jour au lendemain et les pages du débutant finissent presque toute à la corbeille. L'arrivée au Lao-Tseu d'un vieil excentrique à la recherche d'un biographe tombe à pic. Mais raconter le passé d'un homme est-il le meilleur moyen de se projeter vers l'avenir ?

« Armen », le premier album de Briac était un fascinant huis clos maritime, une lutte psychologique entre deux hommes, dans un phare, en plein milieu de la mer. L'histoire se situait pendant la seconde guerre mondiale, et il est à nouveau question de guerre dans ce deuxième album de l'auteur. Mais cette fois, elle est passée, et c'est les traces qu'elle a laissée que Briac explore, parallèlement à une intrigue aux ressorts policiers (des meurtres, un enlèvement, des révélations finales). La psychologie des personnages est aussi fouillée que dans « Armen », et ceux-ci sont tout aussi tourmentés par leurs états d'âme. Ces tourbillons intérieurs Briac a choisi de les exprimer en creusant les visages, en dessinant des yeux cernés, presque exhorbités, et en restant dans des teintes pales pour les peaux de nombre des protagonistes. Le trou de la tombe semble bien n'être plus très loin pour bon nombre des gens du Lao Tseu ! Impression étrange et parfois dérangeante, renforcée par un choix de couleurs directes, à l'acrylique, sur un trait sans crayonné préalable. « Un style très expressif qui s'apparente autant à la peinture qu'à la bande dessinée » annonce la quatrième de couverture. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise et ce deuxième album de Briac vient confirmer les promesses de « Armen ». N'hésitez surtout pas à vous plonger dans l'univers singulier d'un auteur talentueux, dont vous pouvez lire une interview ici .


Les Gens du Lao-Tseu
Texte et dessin de Briac
Editions Le Télégramme - 48 pages couleurs – 9,90 €