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Bonne balade dans le noir !

dimanche 26 mai 2024

[Western crépusculaire] –Pastorius Grant, par Marion Mousse (Dargaud)


 Voilà longtemps que je ne vous avais pas causé Western dans ces pages alors c’est le moment vous présenter le cow-boy solitaire créé par Marion Mousse : Pastorius Grant, chasseur de primes en bout de course, qui recrache plus vite ses poumons qu’il ne dégaine son colt 45 Buntline Special.

Mais ce cow-boy n’est pas si solitaire que ça, et gravitent autour de lui ceux et surtout celle qui vont être au centre de cette histoire crépusculaire. Par ordre d’apparition voici donc Porti et Tavez, le gros et le maigre, traqueurs mexicains de la même proie que Grant. Ils n’ont pas l’air bien finauds, mais semblent pugnaces, même si Tavez ne sent pas trop le coin où ils viennent d’arriver : n’y a t-il pas encore des Comanches dans cette réserve soit-disant désertée par les Indiens ? Faut voir…

Big Hand est lui le prisonnier de Grant, qui le ramène en ville, à Christfield, pour toucher les 5000 dollars de prime. Entravé, le hors-la-loi doute fortement de la capacité du chasseur de primes souffreteux d’arriver à bon port et n’a qu’une crainte finir aux mains des sauvages.

Et enfin, arrive sans crier gare au beau milieu de ce quatuor, Annabelle Hope, petite fille d’une douzaine d’années. Elle veut embaucher Pastorius pour qu’il retrouve celui qui a tué son père, qui lui a dit « S’il m’arrive malheur, va voir Pastorius Grant ». La mort étant une forme de malheur, Annabelle a donc suivi le conseil paternel. Mais pas facile de trouver son chemin dans la forêt sauvage quand on est aveugle : heureusement, la gamine voyage avec son cochon, qui la guide grâce à son flair redoutable…

Tout ce petit monde chemine à travers une nature rude et grandiose, et va finir par se retrouver. Les comptes vont pouvoir être réglés, mais qui au final l’emportera au Paradis ?

Ce western est une merveille ! Déjà, dès les premières pages, on ne peut être qu’emporté par ces décors et ces scènes réalisés en couleurs directes : la palette choisie par Marion Mousse fait de Pastorius Grant un album invitant à un voyage autant onirique que philosophique… Rien que ça, oui ! Cette forêt nocturne nimbée de rose, mauve et bleu, et ces collines luxuriantes, ces pistes rocailleuses encaissées dans des canyons orangés, cet énorme rocher suspendu présent dès la couverture ; tout concourt à faire de cette traque une véritable réflexion sur le sens de la vie, et c’est à un vrai examen de conscience que va se livrer Pastorius Grant, dès que la jeune Annabelle va faire irruption dans sa vie. Ou plutôt dans ce qu’il lui reste de vie.

 

Bon évidemment, tout cela on le découvre au fur et à mesure de ce qui demeure un récit à suspense – oui, tout de même – au rythme parfait, avec ce qu’il faut d’ingrédients pour qu’on ne décroche à aucun moment. Et il faut le répéter : chaque page est un régal, tout fait sens, et sensation même. On peut même y voir un hommage à Lucky Luke : ce Grant solitaire n’a-t-il pas la même tenue que le célèbre homme qui tire plus vite que son ombre ? Ici, la silhouette courbée sur son fidèle cheval Général s’apprête à rejoindre les ombres. Partira-t-il en paix ? A vous de juger… Cet album est certainement un des meilleurs de Marion Mousse (auteur rappelez vous de GhoSt 111, fauve Polar SCNF 2021), auteur également récemment d’un Bela Lugosi du meilleur goût (scénario de Philippe Thirault, dans la collection 9 ½ consacrée au cinéma chez Glénat).

Enfin, si vous êtes à Paris le jeudi 13 juin, passez donc à la Librairie Super Héros, Marions Mousse y dédicacera cet album


Pastorius Grant ****

Textes et dessin Marion Mousse – Dargaud, 2024 – 116 pages couleur – 21 €

Parution 24 mai 2024


mercredi 1 mai 2024

[Adaptation] – Vénus privée : la première enquête de Duca Lamberti / Paolo Bacilieri d’après Giorgio Scerbanenco (Ici Même)

 

Regardez bien cette couverture. Au premier coup d’oeil, de loin, voici une belle femme, sensuelle, accablée par la chaleur, des perles de sueur dégoulinant sur son corps. Maintenant, penchez l’album de 90° sur la gauche, mettez le sur le dos et approchez vous  : ce ne sont pas des gouttes mais des fourmis. Voici un beau cadavre, n’est-ce pas ?

Les pages suivantes le confirment : voici la dépouille d’Alberta, découverte dans un terrain vague dans la périphérie milanaise. Un suicide, comme le conclut vite l’enquête, au regard des poignets profondément tailladés de la victime. C’est à peu près à cette même période que Duca Lamberti sort de prison : ce médecin désormais radié de la profession a passé trois ans derrière les barreaux pour avoir pratiqué l’euthanasie sur une vieille femme cancéreuse en phase terminale. Et pour son retour à l’air libre, Lamberti se voit confier par le fortuné industriel Auseri une tâche un peu particulière, celle de faire cesser l’alcoolisme de son fils Davide.

Apparemment étrangers l’un à l’autre, ces deux événements vont tout de même étrangement se percuter lorsque, en visite au cimetière de la ville, Davide demande à voir une tombe particulière en soufflant à Lamberti : « Elle s’appelle Alberta Radelli… c’est la femme que j’ai tuée l’an dernier ». Et Davide raconte alors sa rencontre avec Alberta…

Et je m’arrêterai là pour cette mise en bouche, pas question d’en dévoiler plus sur cette première enquête de Duca Lamberti, le médecin radié, et un brin tourmenté, créée par Giorgio Scerbanenco dans les années 60. Les quatre romans de la série plongeaient les lecteurs dans un Milan des plus sombres, qui ont valu - avec ses autres livres – à l’auteur le statut de maître du roman Noir italien ( il existe du reste depuis 1993 un Prix Scerbanenco récompensant le meilleur polar italien de l’année). L’adaptation de Paolo Bacilieri (à qui on doit aussi Adios Muchachos, d’après le roman de Daniel Chavarria, pour feue la collection Rivages/Casterman/noir) restitue bien l’atmosphère du roman, et on suit les pas de Lamberti dans un Milan garanti d’époque. Ses scènes de rues fourmillent de détails, et ses bâtiments dessinés sous toutes leurs coutures : il n’y a pas à dire, on est à Milan en 1966. 

 

 Mais ce qui frappe surtout, c’est cet art de la planche, où cases, angles et points de vues, ombres et lumières, plans subtilement variés, forment un tout qui fonctionne à merveille. Et côté personnage le trait du dessinateur est ici parfois proche de celui de Pichard ou de Crépax. On peut se demander aussi si Paolo Bacilieri n’a pas vu l’adaptation cinéma d’Yves Boisset (1970 sous le titre Cran d’arrêt), car son Lamberti a un petit quelque chose, de manière fugace, de Bruno Cremer qui jouait le rôle du médecin dans ce film. Film par ailleurs aux dialogues d’Antoine Blondin et à la musique de Michel Magne : à (re)découvrir assurément !

  Quant au roman matrice, il est initialement paru en 1966 en Italie, puis fut publié en France d’abord dans la collection Grands Détectives, avant d’être repris au catalogue Rivages/Noir. Venus privée a désormais trouvé refuge chez Gallmeister, dans leur élégante collection Totem, avec une nouvelle traduction de l‘italien par Laura Brignon. Le deuxième volume Tous des traîtres a également été réédité, et les deux autres de la série le seront certainement. 

 

Mais en attendant, il faut vous plonger dans cette Vénus privée-là, dans ces 160 pages dessinées avec brio. Et espérer que les trois autres romans de la série seront aussi adaptés et publiés par Ici Même, qui avait déjà à son catalogue les étonnants Fun et More Fun du même Bacilieri.


Vénus privée : la première enquête de Duca Lamberti ****

Textes et dessin Paolo Bacilieri d’après Giorgio Scerbanenco ; traduit de l’italien par Laurent Lombard – Ici Même, 2024 – 160 pages noir et blanc – 22 €

Parution 3 mai 2024