Chroniques et infos sur la bande dessinée noire et policière par Fred PRILLEUX
Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs. Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs. Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog. Bonne balade dans le noir !
Scène de chasse au coeur de
la forêt profonde. Deux hommes sont aux aguets, prêts à occire
l’innocent cervidé qui fait une pause au bord du fleuve . Mais
l’un des deux chasseurs n’est pas tout à fait à son affaire :
il a des flashbacks, des réminiscences d’une autre type de traque,
ce « jeu », auquel on l’a contraint à participer, et
où les cibles ne sont ni plus ni moins que des hommes comme lui.
Tous impliqués dans le Jeu, comme lui. Des exécutants qui obéissent
à leurs commanditaires, « Les Voix ».
Mais Harry Exton a toujours
refusé le Jeu, et il croyait bien en être débarrassé, en se
faisant oublier au fin fond du Montana, où il est désormais Raymond
Perkins, et où il partage les immensités de la nature avec pour ami
le seul Wiley. Un ami qui a de légers doutes sur l’identité de
cet homme, aux réflexes bien affûtés pour un simple chasseur
d’épaves… Et puis Harry reçoit aussi dans son modeste chalet
Grace Watt, la charmante femme du dentiste local, et dont les visites
semblent avoir dépassé le stade de la franche courtoisie.
Tout ce fragile équilibre va
se trouver ébranlé quand les Voix vont se réveiller et décider
l’élimination définitive de ce bon vieil Harry. Et elles vont
lancer à ses trousses pas moins de treize exécutants et employer
tout ce que la technologie de l’époque peut offrir pour mettre un
terme à la déjà trop longue carrière de soliste de ce joueur
récalcitrant qu’est Harry Exton.
Les
Proies viennent mettre un terme à la formidable trilogie qu’est
l’Exécuteur – Button Man, rappelons-le, en VO – et ce final
est dans la lignée des deux précédents volumes : nerveux,
violent, spectaculaire, inventif et complètement immoral. Après Le Jeu mortel, et la Confession, il fallait àJohn
Wagner et Arthur Ranson maintenir le haut niveau de
tension de leur récit de la vie mouvementée d’Harry Exton. Ils y
parviennent, en choisissant de faire jouer leur « héros »
à « seul contre le monde entier », et en imaginant des
scènes tout aussi saisissantes que dans les deux premiers volumes.
Ranson excelle toujours autant dans les scènes nocturnes, qu’elles
soient urbaines – formidable passage à Chicago ! - ou en
pleine nature forestière et enneigée. Son final, où Harry piège
les bois, rappelle « First Blood », et Exton pourrait
s’appeler John Rambo qu’on ne trouverait pas grand-chose à y
redire. Mais L’Exécuteur est bien un personnage de polar, à l’âme
bien sombre, et qui demeurera impitoyable jusqu’à la dernière
case. La fin de l’album est sèche comme un coup de trique :
une conclusion parfaite pour ce qui devrait devenir un classique du
genre. Et qui devrait l’être depuis longtemps, damned !
Dans
la grande famille du polar en cases, je confesse un goût de plus en
plus prononcé pour les crime comics, qu’ils
nous viennent de l’Oncle Sam, ou de Sa Majesté la Reine.
Redynamisés et réinventés par Moore et Miller à l’aube des
années 90, ces comics n’ont cessé de gagner en qualité graphique
et audace scénaristique, et depuis quelques années, un
nouveau rameau est apparu : un croisement
des genres où le Noir se teinte de
fantastique, SF, gore… pour des résultats souvent
intéressants, parfois superbes, mais rarement quelconques. Et
c’est un bonheur de voir que les éditeurs français
suivent, et n’hésitent pas à traduire ces séries qui
sortent du polar le plus pur tout en gardant les codes. Parmi
celles-ci, trois sont parues récemment chez Glénat Comics. Trois
premiers tomes.
Paru
en septembre dernier, Never Go Home, de
Rosenberg, Kindlon et Hood, revisite tout à la fois le récit de
cavale et le récit initiatique, avec en toile de fond la question
existentielle : avoir des super-pouvoirs, c’est une aubaine ou
une malédiction ? C’est à quoi tentent de répondre comme
ils le peuvent les deux jeunes « héros » de La
cavale de Duncan et Maddie, obligés de tout laisser
derrière eux et de s’embarquer dans une errance sur les routes de
l’Amérique de 1989. Douée d’une force surnaturelle quand elle
est en état de stress intense, assortie d’une capacité à
détourner les balles, Maddie se laisse guider par Duncan, le pauvre
type du lycée, lui aussi « différent », dans une cavale
où deux chasseurs les pistent : les forces de l’ordre et
celles d’un mystérieux Monsieur Caroll, qui semblent en savoir pas
mal sur leur compte. Ce premier tome trépidant a même sa bande son,
omniprésente : les titres des chapitres sont des morceaux
fétiches de Duncan, tous issus de groupes de la scène hardcore-punk
underground de ces années-là et c’est avec joie qu’on retrouve
les Bad Brains, Replacements, Germs et autre Hüsker Dü.
Tenez,
je ne résiste pas à vous mettre un extrait de la mixtape de Duncan
à Maddie…
En
matière de croisement de genres, Black Magickde
Rucka et Scott lorgne lui carrément du côté des sciences
occultes puisque le personnage principal de la série, Rowan Black
est certes flic à Portsmouth, elle n’en est pas moins sorcière en
dehors des heures de service. « Tout est une histoire de
vocation » annonce ironiquement la quatrième de couv’,
mais on ne rigole pas trop à Porstmouth : un preneur d’otages
illuminé s’immole après avoir demandé à parler exclusivement à
Black, et le cadavre d’un tueur impuni est repêché du fleuve,
sérieusement abîmé et avec une main en moins… La brigade
criminelle de la ville s’y perd un peu, mais Rowan Black se garde
bien de dévoiler ce qu’elle pense être la vérité : on a
découvert son identité de sorcière et on veut la détruire, elle,
et ses semblables. Car des sorcières, il y en a d’autres, dans
cette Amérique profonde… Faire revivre au XXIème siècle les
croyances ancestrales sur des pouvoirs surnaturels détenus par des
Elu-e-s, le pari était osé, et il tient assez bien la route, car ce
premier opus – intituléLe Réveil – reste
assez sobre en matière d’effets visuels, réservant la couleur aux
passages les plus éminemment fantastiques ; tout le reste de
l’album est dans une bichromie dominée par le gris. Le scénario
de Greg Rucka est lui aussi suffisamment charpenté pour qu’un vrai
suspense soit installé autour d’un double défi pour son héroïne :
découvrir qui sont ses véritables ennemis et… réussir à
dissimuler sa double vie. La suite au prochain numéro.
La
plus originale des trois séries de cette chronique demeure
certainement The Beauty, dont le tome 1
Contaminationest vraiment prometteur. Dès la
première page, le décor est posé :
Le
problème de cette sympathique maladie qui embellit votre corps, c’est qu’un effet assez radical va bientôt faire son
apparition : au bout d’une longue période, le malade meurt.
Par combustion interne. C’est assez spectaculaire… Alors, quand
les flics enquêtent sur les premières morts liées à la maladie,
ils ne comprennent pas trop à quoi ils ont affaire. Et puis, très
vite, les scientifiques pointent le bout de leurs masques et gants de
protections, et le duo d’enquêteurs du FBI affecté à l’affaire
va comprendre que d’autres intérêts que la recherche de la vérité
sont en jeu. Et que la santé de l’espèce humaine ne vaut pas cher
face à la puissance de l’industrie pharmaceutique. Derrière
l’enquête, ce sont bien des questions éthiques que posent les
scénaristes Jason A. Hurley et Jeremy Haun . Sans oublier de raconter
une histoire prenante dès le départ, magnifiée par les
images-chocs de Haun, aussi dessinateur de la série. Une fois les
premières pages lues, impossible de lâcher The Beauty ...
Never
go home ***
1
- La Cavale de Duncan et Maddie
Scénario
Matthew Rosenberg et Patrick Kindlon ; dessin Josh Hood