Pour
commencer l’année, autant débuter par un chef d’oeuvre, car il
faut appeler les choses par leur nom : Du Sang sur les mains
est une bande dessinée magistrale.
De
quoi s’agit-il ? Tout "simplement" d’un polar aux multiples
portes d’entrées, et qui mènent toutes à une ville, Diablerouge,
et à l’inspecteur Gould, flic de choc de la cité, réputé pour
son incroyable efficacité. Cette « véritable figure de la
lutte contre le crime » mène les arrestations avec une
facilité déconcertante et il est impossible de lui échapper. Mais
on voit peu le super-flic à l’oeuvre, si ce n’est au moment de
passer les menottes aux coupables. Car, et c’est une des nombreuses
réussites de cet album, c’est en dressant les portraits des
« victimes » de Gould, que Matt Kindt nous plonge
dans un tourbillon narratif passionnant.
Ainsi, on croise
successivement : une jeune barmaid cleptomane obnubilée par le
vol de chaises. Une prof à la vocation d’écrivain tellement
contrariée qu’elle en finit en prison à cause d’une idée de
roman géniale. Un ex-prestidigitateur tombé dans l’oubli et
reconverti en pickpocket. Un ascensoriste voyeur dont les photos
finissent en galerie d’art. Un trafiquant de fourrures
insaisissable. Un braqueur rangé des voitures, mais qui a eu la
mauvaise idée de choisir Diablerouge pour sa retraite. Et un employé
modèle, roi de la manipulation...
A
ces adeptes des entorses à la loi – voire à la morale - viennent
s’ajouter trois femmes, figurent importantes dans le récit de Matt
Kindt : Annalyse Gould, la propre femme de l’inspecteur, qui
tient justement la galerie de la ville, Carol Hikson, artiste et Tess
Riley, ex-agent de probation et maintenant agent immobilier bien en
place.
Tous
ces personnages, reliés par un fil scénaristique invisible jusque
dans les dernières pages de ce récit fascinant, sont des gens
ordinaires, avec tous en commun, tout de même, un certain goût pour
le beau, l’art, l’aspect ludique de la vie, et peut-être aussi,
des envies de reconnaissance. Ou de ne pas devenir invisibles, tout
simplement… On entre dans leurs vies, leurs envies, leurs espoirs
et leurs désillusions : il y a dans ce livre un côté
existentiel, introspectif, omniprésent, trop rarement à l’oeuvre
dans les polars.
Graphiquement,
Matt Kindt multiplie aussi les techniques et traits :
reproduction du journal local de Diablerouge, avec ses strips mettant
en scène l’inspecteur Gould, comme au début des comics (l’hommage
à Dick Tracy est évident), fausses couvertures de romans
populaires, cases noires composées uniquement de dialogue,
changement de sens de lecture pour donner l’impression d’avoir un
journal en mains… Des exemples parmi d’autres pour illustrer la
mise en page dynamique et inventive qui est celle de l’auteur.
« Du
sang sur les mains » est un vrai kaléidoscope, où tout est en
mouvement et finit par s’imbriquer. Et une fois arrivé au bout, vous prend une envie
irrépressible de vous replonger dans cet « Art subtil des
crimes étranges » ou de vous arrêter longuement sur la
superbe jaquette de l’album, qui mériterait une analyse à elle
toute seule.
On
notera d’ailleurs le soin apporté par Monsieur Toussaint Louverture à cette édition française, et on peut se réjouir de
voir que Mind MGMT, série-phare de l’auteur, soit annoncée chez
cet éditeur en 2020. Mais en attendant, lisez, relisez, « Du
sang sur les mains », œuvre majeure !
Du
sang sur les mains : de l’art subtil des crimes étranges
*****
Scénario
et dessin de Matt Kindt – Traduit par Céleste Desoille
Monsieur
Toussaint Louverture, 2018 – 276 pages couleurs – 24,50 €
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