Je profite de cette période estivale pour faire une petite revue, par éditeur, des albums parus au cours de ces derniers mois et qui valent vraiment la peine qu’on s’y arrête. Trois albums par maison, et c’est Futuropolis qui ouvre le bal.
Bon, Fatty, le premier roi d’Hollywood date un peu c’est vrai (sorti en août 2021) mais… so what ? En revenant sur la vie de celui qui fut le premier acteur issu du cinéma muet à devenir millionnaire à Hollywood, Julien Frey et Nadar nous replongent au coeur du premier âge d’or du cinéma américain… et de ses pièges sournois. Car si Roscoe Arbuckle – alias Fatty à l’écran – fut adulé pour ses comédies muettes des années 1913-1920 où son physique à la Oliver Hardy avait conquis des foules considérables, il connut une déchéance brutale après avoir été accusé du viol - et de la mort quelques jours pus tard - d’un starlette, présente à l’une des soirées mondaines et arrosées que donnait Fatty. Le scénario de Julien Frey est parfait et son choix de faire Buster Keaton, que Roscoe a fait débuter à ses côtés au cinéma et qui deviendra son ami, est excellente : le récit de cette sombre et tragique destinée en devient nettement plus humain, plus intime aussi. Quant au dessin de Nadar, il est impressionnant : on a vraiment l’impression d’être aux côtés des vrais protagonistes de cette histoire hollywwodienne et noire, et son duo Fatty-Keaton est saisissant. Les toutes dernières pages, un gag muet certainement repris d’un des courts-métrages, sont magnifiques, et permettent de refermer cet album le sourire aux lèvres. Quel meilleur hommage pouvait-on rendre à celui qui avait « l’Amérique contre lui et Buster Keaton comme ami » ?
C’est un autre homme de cinéma qui est au scénario de Ulysse Nobody : Gérard Mordillat. Pour une autre histoire d’acteur, mais cette fois-ci nous sommes dans la France d’ici et maintenant, avec une toile de fond éminemment politique, puisque nous sommes en pleine campagne électorale 2022. Bon, l’histoire est désormais écrite – pour ce qui est du vainqueur de la présidentielle – mais n’empêche : ce scénario mettant en scène un acteur oublié et que le parti fasciste français va choisir comme figure de proue aux côtés de Maréchal, le leader du parti, mérite d’être lu par quiconque s’intéresse aux rouages du pouvoir, aux mécanismes de la manipulation, aux ravages du polissage des idées extrémistes (de droite). Et on suit avec curiosité d’abord, puis angoisse pour ce candidat candide (ou pas?), son parcours aux législatives à l’issue plus qu’incertaine voire certainement fatale. A moins que ? Son talent oratoire ne le sauve ? Sa sincérité n’emporte les électeurs ? Ou que sa naïveté l’entraîne au fond de l’abîme ? Cet Ulysse Nobody est dessiné avec toute la justesse qui sied à son caractère par Sébastien Gnaedig : de la résignation à l’espoir, de la colère à la joie, les émotions passent parfaitement sur le visage d’Ulysse, mais on sent bien une grande mélancolie derrière tout ce qui lui arrive. Toute la farandole d’amis – si peu - et ennemis qui tourne autour de lui forme une galerie contemporaine de « gens » tout à fait crédibles dans leurs attitudes et convictions. Le dessin, somme toute assez doux, vient renforcer le propos, somme toute assez dur, du scénario. Un album à relire dans quelques temps…
Et celui que vous pouvez lire et relire, c’est bien Mister Mammoth, dont la seconde partie vient de paraître (fin juin). Car comme l’annonce le sticker rouge apposé sur ce tome deux voici bien un « polar énigmatique et envoûtant » de Matt Kindt et Jean-Denis Pendanx. L’association de ce duo ultra doué (chez Futuro, foncez sur « Dept H. » et « Grasskings » de Kindt, et sur « A fake story » de Pendanx, pour ce qui est du polar…) donne une œuvre assez déroutante, il faut bien l’avouer. Déjà par son personnage principal, ce Mammoth, détective-colosse impressionnant, qui ne joue pas des poings ni des muscles pour ses enquêtes. Première entorse au hard-boiled, pour celles et ceux qui pensaient s’attaquer à un récit du genre. Du reste, les premières pages superbes, se dégustent comme un pré-générique – trompeur puisque bagarreur - jusqu’à la pleine page distillant de premiers indices sur ce que va être ce Mister Mammoth : « un polar existentiel… Une comédie dramatique... » . Excellente entrée en matière visuelle et narrative ! Pour la suite, nous voici plongés dans une véritable enquête menée par le « héros » - c’est bien un polar, n’est-ce pas – où un homme fortuné l’embauche pour découvrir qui lui a envoyé des menaces téléphoniques visant à ruiner sa réputation. Voilà pour la mise sur les rails, dans une Amérique urbaine des années 70. Puis le récit va dévier vers d’autres horizons, d’autres décors, plus intimes, plus psychologiques, et se recentrer sur Mammoth lui-même. Ce qu’il est et pourquoi il l’est. Inutile d’en dire plus : il faut lire – et relire – ce diptyque, fruit d’une collaboration inédite entre deux grands auteurs. Espérons qu’une intégrale verra le jour, car Mister Mammoth mérite vraiment d’être lu d’un seul coup. Comme un coup de poing, soyeux…
Et si vous aimez comme moi le travail effectué depuis des années par Futuropolis, essayer de vous procurer ce petit livre qui revient sur les 50 ans de la maison créée par Etienne Robial et Florence Cestac (enfin, la librairie, initialement) : cela s’appelle (et vous pouvez cliquer pour avoir le PDF) « Futuropolis 2022, 250 livres qui donnent le ton ». Et ça donne vraiment envie !
Fatty, le premier roi d’Hollywood
Scénario Julien Frey et dessin Nadar
Futuropolis, 2021 - 205 pages couleurs – 27 €
Ulysse Nobody
Scénario Gérard Mordillat et dessin Sébastien Gnaedig
Futuropolis , 2022 – 141 pages couleur – 20 €
Mister Mammoth 1 et 2
Scénario Matt Kindt et dessin Jean-Denis Pendanx
Traduction Sidonie Van den Dries
Futuropolis, 2022 – 2 tomes de 56 pages couleur – 13,90 €
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