Un
quatuor de braqueurs vient de réussir son coup : un beau magot
prélevé sans heurts à l'agence BK, de Clermont l'Abbaye. Mais pas
question de claquer tout le fric sans précaution. Non : rien ne vaut
une bonne mise au vert, à la campagne, donc, histoire de se faire
oublier un peu de la flicaille et d'attendre tranquillement que les
choses se tassent. C'est en tous cas l'avis - et les ordres - du chef
de la bande, Ferrand. C'est le cerveau du casse, et il est de
tendance un peu anar. Ses trois acolytes sont eux aussi un peu typés
: José, est le compagnon de route, et de plumard, du chef. Un
Espagnol aux allures de vieux beau. Romuald, alias Romu, est le
préposé aux biceps. C'est l'armoire à glace du groupe, mais sans
la glace, car le garçon a tendance à oublier de réfléchir. Quant
à l'élément féminin du gang, c'est Cassidy, grande gueule et
délurée, qui n'hésite pas à jouer de la langue, ou autres
attributs qui font tourner certaines têtes, quand les situations
deviennent délicates...
Tout
ce petit monde se replie donc dans la ferme d'un oncle de Ferrand, et
de son fils, le cousin Jacky, et espère qu'un mois suffira à faire
tomber le braquage dans l'oubli. Mais nous sommes en 1996, et se
planquer dans une ferme en plein crise de la vache folle, c'était
peut-être pas la meilleure des idées...
Ah,
voici un album des plus roboratifs ! Déjà associés sur l'excellent
"La Faute aux Chinois", où ils donnaient leur vision,
teintée d'humour noir, du capitalisme mondialisé, François Ravard
et Aurélien Ducoudray nous amènent cette fois sur un terrain plus
rural, mais non moins drôle, avec cet album digne des meilleurs
polars français des seventies... Ce qui frappe très vite, ce sont
ces dialogues gouailleurs et percutants, réussis de bout en bout, et
qui constituent un véritable hommage à Audiard. Cela donne des
répliques du genre :
"
Va lui dire de se couvrir les curiosités, je vais nous chercher du
propane...
-
Tu parles de curiosités !"
Ou
plus loin
"
Purée, quatre mots de vocabulaire en français et déjà l'art de
poser les questions embarrassantes..."
On
croise une foule de personnages légèrement abrutis tout au long des
pages, de l'oncle taiseux et du cousin sanguin, à une filière de
Roumaines à marier, en passant - évidemment - par des gendarmes
gentils mais un peu concons... Tout ce monde tourne autour du
quatuor, qui lui non plus ne brille pas toujours par sa sagacité, et
on tourne les pages en se demandant avec délectation comment tout
cela va finir. Côté dessin, c'est également un plaisir de
retrouver le trait de François Ravard, qui est tout aussi à l'aise
dans ce registre, plutôt léger, que dans son travail, plus sombre,
sur "Les mystères de la Cinquième République". Il y a
parfois des airs de faux-frères entre Ferrand, et Paul Verne, le
commissaire de sa série chez Glénat. Bon, Ferrand est tout de même
plus un cousin de Lino Ventura... y compris dans le caractère.
Vous
l'aurez compris : voici un polar qui sort des sentiers battus,
intelligent, bien construit, où l'humour règne avec une légèreté
inversement proportionnelle au poids d'Attila, le taureau de
compétition omniprésent dans " Mort aux vaches ". Donc
pas d'hésitation : foncez à la campagne !
Mort
aux vaches ****
Scénario
Aurélien Ducoudray et
dessin François
Ravard
Futuropolis,
2016 – 112 pages en bichromie - 19 €
Salut Fredo,
RépondreSupprimer« Mort aux vaches » (Futuropolis) ou le Polar cinématographique des années 60/70 revisité par le duo Aurélien Duoudray et François Ravard.
Après un casse, deux vieux truands homosexuels, une nymphette toujours prête à en découdre et un jeune adulte bodybuildé un peu bas du front, filent à la campagne se mettre au vert chez un parent agriculteur et éleveur de son état.
A la lecture de cet album, la critique fera certainement référence à la complicité entre Michel Audiard et Georges Lautner. Ce pourrait être un premier niveau de lecture.
En reprenant volontiers les clichés du polar cinématographique en noir et blanc, les auteurs de « Mort aux vaches » font non seulement un clin d’œil à ce cinéma de genre mais ils lui rendent surtout un véritable hommage. Sous couvert de distraction, cette production des années soixante/soixante-dix ( on évoquera ici les réalisations de Lautner, Verneuil, Grangier …ou bien les dialogues d’Audiard… mais encore, certains nanars cultes) était un révélateur de la qualité du cinéma hexagonal (acteurs de premier plan, second rôles , dialogues, humour, atmosphère, rythme, utilisation du noir et blanc, lumière, cadrages, musique…).
L’album de Ducoudray (scénario) et de Ravard (illustration) est un parfait remake de cet esprit et de ce climat qui régnaient dans ce cinéma populaire et de qualité.
Mais il va plus loin en abordant subtilement avec beaucoup d’intelligence et d’humour la ruralité, la condition paysanne, la misère sexuelle de certains agriculteurs, la condition des femmes à la campagne, les filières mafieuses de l’Est (mariage blanc), les problèmes sanitaires (la crise de la vache folle) et le principe de précaution.
Saluons ici la qualité graphique de cet album et le coup de crayon de Ravard qui a su créer de véritables personnages. Régalons nous aussi avec des dialogues de grande qualité.
Cet album est une véritable réussite ! « Mort aux vaches » : une histoire qu’on ne lâche pas, de la première à la dernière page.
Sans nostalgie aucune, c’est le meilleur hommage que pouvaient rendre les auteurs à leurs glorieux aînés.
Amitiés,
Pierrot
François Ravard avait repris mon retour de lecture sur son FB