Cristobal,
l'enfant du pays, l'artiste international revenu trente ans
auparavant sur son île natale pour en faire un havre de culture
préservé de la rapacité des promoteurs et la protéger du tourisme
de masse, trouve la mort dans un accident de voiture.
Une
mort qui encombre un peu les autorités du continent, car elle
survient peu avant des élections... et que l'autre véhicule, celui
qui a vraisemblablement percuté la voiture de la gloire locale, a
purement et simplement disparu. Pourtant, l'île n'est pas bien
grande, et son caractère inhospitalier - elle est constituée sur
les deux-tiers de lave solidifiée - ne pourra guère dissimuler
longtemps le véhicule fantôme... Mais qui aurait bien pu en vouloir
à cet homme, qui, au service de "son" île, a dépensé sa fortune, apporté son talent et a
mis sa réputation mondiale en jeu ? Des ennemis écartés un peu
trop brutalement par Cristobal dès son retour ? Des amis, jaloux ou
aigris, qui trouvent que l'homme qui a façonné l'île à son image
leur fait trop d'ombre ? Jusqu'où l'inspecteur Claudio Ramirez,
envoyé sur place pour éclaircir le mystère de cette mort peut-être
pas si accidentelle, va-t-il devoir creuser ? Il ne le sait pas
lui-même lorsqu'il arrive sur les lieux, où le moindre espace est transformé en véritable
oeuvre d'art...
"Le
Retour" - premier album solo de Bruno Duhamel (dessinateur, côté polar, de la pittoresque série "Harlem"
mettant en scène Mose et Lennox, deux bras-cassés un brin
losers...) est original à plus d'un titre. D'abord par le choix du
sujet, ambitieux : le pouvoir de l'Art face à la marchandisation à
outrance, en l'occurrence, face à la prolifération bétonnière des
endroits sauvages, à seule fin de gagner du fric. Cette lutte est
personnalisée via Cristobal, gloire internationale, colosse
irascible, sûr de son Art, qui va tout mettre en oeuvre pour
contrecarrer les rêves de tourisme de masse de la municipalité.
Dont le maire n'est autre qu'une vieille connaissance de l'artiste :
petit, Gaspard jetait à la figure de Cristobal que celui-ci ne
savait que peindre des trucs moches... Et le principal "truc
moche" en question, et qui fascine le gamin, n'est autre que "Le
Dragon", ce volcan en sommeil qui domine toute l'île de son
ombre menaçante. Duhamel réussit parfaitement à faire passer cette
fascination exercée par la nature, hostile, sur Cristobal, et sa
façon d'essayer de la dompter, à travers ses créations. Tout comme
il met parfaitement en scène tous les protagonistes de son histoire,
qu'on découvre petit à petit, à travers une construction habile,
par flashbacks, après avoir démarré sur le point mystérieux de
l'album : la mort de Cristobal.
Le cadeau qui va tout déclencher... |
"Le
retour" est de ce fait très bien rythmé, et le choix d'avoir
"inversé" les couleurs, en optant pour la quadrichromie
pour le passé, et la bichromie (aux tons variables) pour le présent
est judicieux. Il donne ainsi à voir les oeuvres monumentales
disséminées partout sur l'île de manière plus spectaculaire et de
mieux mesurer l'ambition folle de Cristobal, sur cette terre peu
accueillante, fut elle natale...
Bruno
Duhamel ne cache pas, dans une introduction à l'album, s'être
inspiré du parcours de l'artiste Cesare Manrique sur l'île de
Lanzarote (aux Canaries) pour imaginer son histoire. Mais, au-delà
de ce point de départ - un rêve d'artiste, pas loin d'être
utopique - Duhamel aborde bien d'autres choses, dont les rapports
humains (père-fils, mari-femme, artiste(s)-artiste(s), artiste-politique...) ne sont
pas les moindres. Et comme c'est traité avec finesse, et, qu'en
guise de cerise sur le gâteau, le suspense est ménagé jusqu'au
bout, il n'est pas besoin de chercher bien loin : voici un des
premières grandes réussites de cette année.
Le Retour ****
Texte et dessin Bruno Duhamel
Grand Angle, 2017 - 96 pages
couleur et bichromie - 18,90 €
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