Vous
l'aurez remarqué, le manga se fait rare dans les pages de Bédépolar.
Mais il n'était pas possible de passer ce dimanche sans vous parler
un peu de Jiro
Taniguchi,
mort hier à l'âge de 69 ans, et qui était certainement, en France,
le mangaka
le plus connu des amateurs de bandes dessinées "littéraires",
à défaut d'être le plus connu,
tout court. Angoulême lui avait rendu un hommage appuyé en 2015 en
lui consacrant une grande rétrospective. Taniguchi était sans
conteste un maître du manga d'introspection, intimiste,
psychologique... tout ce qu'on voudra, et assez éloigné des
représentations que l'on se fait de la bande dessinée japonaise.
Oui, sauf qu'on l'oublie peut-être, mais Taniguchi a débuté par le
polar, dans la plus pure tradition "hard-boiled". D'abord,
à l'aube des années 80, par une série "Trouble
is my business",
scénarisée par
Natsuo
Sekikawa
(6 tomes parus chez Kana en 2013-14),
mettant en scène un privé, Jôtarô
Fukamachi, plongé
au coeur d'affaires alambiquées, et dénoués non sans un humour...
un peu particulier, et
puis, il y eut ces autres récits
parus dans le milieu des années 1980, et que Kana, l'an passé, a
aussi
eu
la bonne idée de publier dans le recueil "Tokyo
Killers".
Marc
Fernandez, dans sa post-face, resitue clairement les choses, et
prévient tout de suite : " (...)
Quant aux fans de polars et de romans noirs, cette lecture les ravira
tant Jirô Taniguchi et son complice scénariste des débuts, Natsuo
Sekikawa,
ont emprunté aux codes du genre, tout en réussissant le tour de
force de le renouveler (...) ".
Un recueil étonnant, qui s'ouvre sur "Good
luck city",
récit inachevé, découpé en scène comme au cinéma, et mis en
pages en longues cases verticales, sans texte, si ce n'est celui de
la narration, en bas, un peu à la manière de "Chandler,
La Marée Rouge"
de Jim Steranko. Puis
trois autres récits constituent le coeur de "Tokyo Hôtel"
où un tueur et une tueuse à gage sont les personnages centraux
d'histoires bien noires, dures, violentes, et enfin, "Meurtre
tokyoïte"
vient conclure le livre. Un autre récit étonnant où un Français,
parti travailler au Japon, en découvre les mystères, y compris les
plus sombres puisqu'il demande à comprendre le fonctionnement des
yakuzas. Cette histoire est l'adaptation d'une nouvelle d'Alain
Saumon, et elle avait été publiée en 1985 dans Metal Hurlant...
Good luck city... Vraiment ? |
Casterman, qui
avait été le premier éditeur à éditer Taniguchi, avait
publié un autre polar, en 2007, un récit dense, Le Sauveteur. Un
retour aux sources , un peu pour l'auteur, mais pas de yakuza, ni de serial killer à
la mode nippone dans cette longue histoire, plutôt une plongée au
coeur des sentiments, derrière une enquête solitaire : Shiga,
gardien d'un refuge dans les Alpes japonaises, est contacté par
Yoriko, une vieille amie, morte d'inquiétude pour sa fille Megumi,
15 ans, qui a passé la nuit hors de chez elle et ne donne plus signe
de vie. Tenant sa promesse de veiller sur celle qui est la fille de
son meilleur ami mort en montagne, Shinga part à l'assaut de la
capitale, et entreprend de mener une enquête en marge de celle de la
police. Ses premiers pas le conduisent auprès d'une amie de Megumi
qui lui affirme que la jeune disparue n'était pas la fille modèle
que sa mère croyait... D'emblée captivante, l'intrigue de Taniguchi
réussit à mêler introspection et action, et insiste sur les
rapports d'amitié liant les différents personnages. Elle est aussi
l'occasion d'une découverte de l'envers du décor d'un Japon méconnu
(les « souteneurs » et leur relation avec les jeunes
filles). C'est en tous cas une histoire forte qui est contée, et on
ne lâche pas l'album avant la toute dernière page.
Voilà.
Je ne suis pas assez connaisseur de l'oeuvre immense de Taniguchi
pour savoir si elle recèle d'autres pépites noires, mais vous
pouvez déjà aller jeter un oeil du côté de ces trois titres, tous
excellents.
Le
Sauveteur - Casterman2007, collection Sakka - 340 pages
Trouble
is my business; Kana 2013-2014 - 6 volumes Entre 215 et 300
pages -
Tokyo
Killers - Kana, 2016 - 200 pages en noir et blanc et en couleurs
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