Espagne,
loin de la ville. Caché sous la terre, le corps mêlé aux racines
d’un olivier de l’immense champs où il s’est réfugié, un
jeune garçon attend, tremblant de peur et de douleur. Il attend que
tous ces hommes qui le cherchent, avec une insistance inquiétante,
soient partis. Loin. Et là, seul, il partira à son tour, encore
plus loin de ce père qui le bat, encore et encore, et de
l’alguazil, ce flic
vicieux qui ne se déplace qu’à bord de son side-car.
A
la nuit tombée, le jeune garçon prend son courage à deux mains,
sort de sa tanière et court, sous les étoiles et dans le froid
nocturne mordant. Le hasard de ses pas l’amène vite jusqu’à un
vieux berger taciturne, qui le prend sous son aile. Sans lui poser de
questions sur les raisons de sa fuite. Le gamin accepte de suivre cet
étrange mais providentiel sauveur, mais pourront-ils lutter
longtemps contre une nature parfois hostile et des chasseurs
impitoyables ?
Adapté
du premier - et retentissant - roman de Jesus Carrasco (2013,
parution chez Robert Laffont en 2015), Intempérie est une histoire
d’un noir profond. Le récit de cette cavale tire toute sa
puissance à la fois dans la tension qui y règne, et dans la
relation forte de son improbable duo de personnages. Les deux
solitaires, l’un par contrainte, l’autre par choix, vont se
rencontrer, s’apprivoiser, et vite s’unir pour leur survie face à
la cruauté de la terre, mais surtout, des hommes. Il est dit
peu de choses sur le passé respectif des deux protagonistes, mais là
n’est pas l’important : on comprend très vite que cette
vie, qui débute à peine pour le jeune, est devenue un enfer auquel
il lui faut échapper, et que le vieux se retrouve – peut-être,
certainement – dans ce besoin de liberté et de justice d’un
gamin paumé. Javi Rey a mis en scène cette cavale avec talent :
qu’il s’agisse de passages terriblement violents (les dégâts
d’un soleil de plomb, un incendie, une lutte avec un cul de
jatte...), de séquences oniriques saisissantes, ou de scènes
nocturnes faussement apaisantes, à chaque fois, le découpage précis
et les couleurs employées font mouche. L’utilisation fréquente de
cases muettes – à l’image du vieux berger peu causant -, sur des
planches entières parfois, laisse toute sa place aux émotions
ressenties par ses personnages. Des émotions et des sentiments que
Rey fait aussi passer admirablement grâce à un trait clair,
précis, superbe.
Dans
l’entretien croisé de dix pages qui conclut l’album, Jesus
Carrasco ne dit pas autre chose à propos de son
adaptateur : "Sa capacité d’expression et la pureté de
son trait me semblent prodigieux […]. Par ailleurs, j’ai beaucoup
aimé son aptitude à restituer la substance du texte".
Et
Intempérie est une aussi une grande réussite, en cela qu’il
donne envie de se plonger dans ce premier roman "à la langue
riche, soignée, sublime" (selon El Mundo).
Intempérie
****
Sénario
et dessin de Javi Rey, d’après le roman de Jesus Carrasco
Dupuis,
2017 - 152 pages
couleurs – Collection Aire
Libre - 15,50 €
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