Basile
Far arrive dans un petit village non loin de Carcassonne pour y mener
une enquête. Pour une agence d'assurance. Avec sa silhouette de géant, l'homme pourrait être
facilement repéré par l'autochtone.
Mais « Pourtant,
Basile Far a l'élégance de certains personnages massifs, plutôt
Hardy que Sergent Garcia : il sait habiter le décor au point
de passer inaperçu. D'ailleurs, c'est un don héréditaire. Dans sa
famille, chacun sait disparaître avec un talent consommé. Une
véritable prédisposition à l'impermanence ».
Voilà.
Tout le noeud de l'intrigue – mais ici, le terme intrigue est
presque inapproprié – tient dans ces quelques lignes de la page 17. Basile
est de retour sur des terres qu'il l'ont vue grandir, pour y
éclaircir un passé – le sien - empli de zones d'ombres. Tout le reste n'est que prétexte.
Le
premier personnage croisé dans son enquête est le photographe, qui
lui parle lumière et faux-semblants. Basile va naviguer entre clarté
et obscurité, dans un de ces nombreux allers – retours que le
titre de l'album, au singulier, ne laisse pas immédiatement
présager.
On
fait avec lui un bond dans le temps et nous voici à arpenter à ses
côtés des rues où une Dauphine fait figure de voiture moderne, et
où De Gaulle discourt à la radio. Où l'on Belmondo n'est pas encore
Bébel mais la joue plutôt moderato cantabile, et où il
partage l'affiche avec le Gabin de l'Affaire Saint Fiacre. Un Maigret
qui n'est pas là par hasard : c'est dans cette affaire que le
commissaire revient sur les chemins de son enfance. Tout comme
Basile, qui lui, croise régulièrement des gamins au fil des pages.
L'enfance, clé de toute cette histoire ? Une piste possible, quasi-certaine, mais...
Le
lecteur pourrait perdre pied dans ces méandres, et se retrouver
comme le spectateur de cet autre Maigret, « La nuit du
Carrefour », où « la pluie et le brouillard, qui ont
gagné la bande-son et rendent l'histoire pratiquement
incompréhensible ». Mais non. Le lecteur suit les errances de
Basile et même s'il se pose la même question que le médecin -
autre personnage important de l'album – ce « qu'est-ce que
vous cherchez ? », il finit par boucler la boucle,
comme Basile.
Vous
l'aurez compris, cet album de Bézian – auteur de l'admirable « Les Garde-fous » - est un périple aux multiples étapes, un
voyage mémoriel destiné à dénouer un mystère personnel, et que
formellement, l'auteur illustre avec virtuosité. Après trois
planches en couleur, suivent soixante-dix pages où Bézian cadre et
éclaire tel un chef-opérateur au sommet de son art. Ses planches
sont des merveilles, et « Aller-retour » est un album
d'une richesse graphique exceptionnelle. Il fait partie de ces livres qui
marquent, vers lesquels on revient, certain d'y découvrir une autre
interprétation de l'histoire, ou de ressortir avec une différente
vision de la précédente lecture. Les livres intriguant. Les livres
captivant. Les livres de Bézian !
Aller-retour
Texte et dessin de
Frédéric Bézian
Delcourt, 2012 –
80 pages couleur et noir et blanc
16,95 €
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