Jacques Daniel est barman, au Havre. Son rade, c'est le Buveur d'étoiles, un bar de nuit qui n'ouvre qu'à vingt heures, et qui voit passer, du notable à la petite frappe, tout une faune, jusqu'au petit matin. Jacques tient la baraque derrière son comptoir depuis cinq ans : c'est qu'il a dû plaire à la patronne, une cinquantenaire bien usée par la vie, qui n'a jamais gardé de barman plus de six mois. Françoise Deligny semble plus regardante sur ses serveurs que sur sa clientèle, qui a choisi la tranquillité de l'endroit pour régler certaines affaires. Dans des petits compartiments dissimulés par des rideaux, des rendez-vous, plus ou moins secrets, aboutissent à des affaires plus ou moins honnêtes. Ce soir-là, Jacques voit débouler une figure locale, Michel Tagorre, le président du club de foot de la ville, un homme arrogant et autoritaire, persuadé d'avoir le monde à ses pieds et qui le fait bien sentir à ses semblables. Parmi les clients, Jacques remarque aussi une blonde en cuir noir, à l'air sérieusement paumé. Il sert aussi un ancien copain de lycée, tout surpris de le trouver au service derrière son zinc. Une nuit comme une autre, en fait. Mais de retour chez lui, Jacques a une mauvaise surprise : Mimi, sa fiancée est partie, et lui a laissé un mot d'adieu. Tout s'écroule autour de lui, et l'inquiétude se mue en angoisse quand il apprend le lendemain qu'une jeune femme blonde a été retrouvée avec une balle dans la tête, dans les eaux du port. Une blonde, comme Mimi...
Ce premier album du dessinateur Jay est scénarisé par Jean-Blaise Djian et Popopidou (un/e fan de Marylin ?) et il est original à plus d'un titre, à commencer par son traitement graphique. En effet, plus qu'un album traditionnel avec sa dynamique « case, planche, récit » - comme l'a si bien décrite Benoît Peeters – le lecteur a en fait en main une longue nouvelle illustrée, où le texte a autant d'importance que l'image. Ce choix délibéré permet de mieux entrer dans la tête du personnage principal, le barman Jacques, et de s'inquiéter avec lui du sort de celle qu'il aime. Ou encore, de mieux s'immerger dans l'ambiance nocturne et portuaire du récit, et de bien poser les jalons d'un drame en train de se nouer, à plusieurs niveaux. Pour cela, les personnages mis en scènes sont suffisamment forts pour qu'on y croit, même si, parfois, ils forment une galerie d'hommes et de femmes maintes fois croisés dans le genre. On retiendra le coup de crayon de Jay, qui, tout en se cherchant parfois, réussit à camper un Jacques Daniel attachant et taciturne à la fois, et tout une flopée de second – ou premiers – rôles, que le dessinateur s'est amusé à doter de traits qui nous sont familiers. Ce qui donne quelques chocs visuels assez intéressants : le patron du club de foot a le visage de Swearengen, le terrible tenancier de saloon de la série « Deadwood », et Grivert, le flic, a lui des faux airs de Pierre Tornade... Une piste pour désigner celui qui s'en sortira ? Enfin, le choix du noir et blanc pour cet album, au petit format, est tout à fait judicieux, d'autant que Jay réussit quelques belles planches muettes, parfaites pour palper l'atmosphère assez poisseuse de ce Havre-là. Suite et fin au prochain épisode : Joyeuses Fêtes. A noter que ce titre est le premier d'une nouvelle collection des éditions Vagabondages : Black zone.
Jay, Angoulême 2013, en pleine action... |
Scénario Jean-Blaise Djian et Popopidou ; dessin Jay
Vagabondages, 2013 – 110 pages noir et blanc – Collection Black Zone
11,20 €
merci pour cette belle critique !
RépondreSupprimer