Avril 1957. Rose Grenier quitte sa
campagne québecoise pour Montréal, où elle compte retrouver un
certain "R", pianiste de jazz au Tam Tam Club. En partant,
elle sait qu'elle va briser le coeur de sa pauvre mère, et elle s'en
excuse dans la lettre qu'elle lui laisse. C'est que l'appel d'une
nouvelle vie, d'autres envies, sont les plus forts : Rose rêve de
devenir chanteuse de jazz et la carte postale enthousiasmante de "R",
débordante de promesses, a achevé de la convaincre à partir.
Hélas, quand elle arrive sur place, la réalité est bien plus
cruelle : le club a fermé ses portes, placardées d'un avis de
l'escouade de la moralité, dont la jeune femme ignorait tout. Et son
Roméo a lui aussi disparu de la circulation. La voici condamnée à
aller de petits boulots en petits boulots, en continuant à se bercer
d'illusions, pour le moment perdues...
Paris, novembre 2002. La police
française demande à entendre un certain Victor Weiss, professeur
d'anthropologie à l'université de Paris 8. La police, ou plutôt la
CIA... à la grande surprise de Weiss. Ce premier étonnement n'est
rien à côté de ce qu'il va apprendre : il avait un frère jumeau,
dont le cadavre a été retrouvé parmi ceux de l'attentat du World
Trade Center. Un choc pour Victor, qui ignorait tout de l'existence
de ce frère jumeau. Il décide de faire la lumière sur ce passé
familial complètement resté dans l'ombre et part pour New-York...
Quelle belle surprise que cet album,
tombé du ciel québécois ! Les bandes dessinées de nos cousins
d'outre-Atlantique n'arrivent pas toutes jusqu'à nous, aussi il faut
se réjouir de pouvoir lire cette "femme aux cartes postales"
de Claude Paiement et Jean-Paul Eid, un vrai bonheur de
lecture.
Bon, il est aisé de deviner que les
destinées de Rose et Victor sont mêlées, car le récit est
construit en ce sens : deux vies que l'on suit en parallèle, et qui
mèneront à un point de rencontre. Mais pour y arriver, que
d'émotions traversées par tous les personnages, quelles vies
tumultueuses ! Celle qui attire tous les feux est évidemment Rose,
la jeune femme qui va réussir la brillante carrière qu'elle
espérait (oui, ce n'est pas gâcher le plaisir que de révéler
cela... car l'album fait plus de 220 pages, et il s'y passe tant de
choses...), Rose, donc, mais aussi Art "Tricky" MacPhee,
trompettiste génial, et Roméo "Lefty" King, pianiste et
compositeur talentueux. C'est l'ascension et la chute de ce trio uni
par la musique et l'amitié, que le lecteur va suivre, de ses
tournées triomphales jusqu'au déclin des boites de jazz. Et dans le
même temps, le même lecteur arpente le pays avec Victor Weiss, à
la découverte de ce jumeau surgi de nulle part.
Et c'est un vrai
suspense, multiforme, qu'installent les auteurs, en semant de petits
cailloux tout au long de leur récit : comment Rose va-t-elle se
sortir de ses débuts difficiles ? Qui de Tricky ou de Lefty est-il
vraiment amoureux d'elle ? Va-t-elle longtemps supporter de jouer
dans des clubs aux mains de la Mafia ? Jusqu'où Victor va-t-il
réussir à aller ? Ne ferait-il pas mieux de tout arrêter avant de
découvrir une vérité trop terrible ?
Ce ne sont que quelques-unes des
questions qui surgissent au fil des pages de cette bande dessinée
réellement jubilatoire... malgré un côté sombre qui gagne du
terrain à l'approche du final. Car oui, cette lumineuse destinée de
Rose - qui s'envoie des cartes postales à elle-même, pour ne rien
oublier de tous les instants intenses qu'elle vit - tient, au bout du
compte, beaucoup plus du roman noir que de la bleuette. Et c'est
clairement un des meilleurs albums de cet année. Il était temps que
je vous en parle ! Merci donc à La Pastèque, éditeur aux
choix judicieux (rappelez-vous du formidable "Lartigues et Prévert", c'était déjà chez eux)
A noter que "La Femme aux cartes
postales" a reçu le Prix de la critique ACBD de la bandedessinée 2016.
La Femme aux cartes
postales ****
Textes de Claude
Paiement et dessins de Jean-Paul Eid
La Pastèque, 2016 -
228 pages noir et blanc - 23 €
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