Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog.
Bonne balade dans le noir !

mercredi 1 mai 2024

[Adaptation] – Vénus privée : la première enquête de Duca Lamberti / Paolo Bacilieri d’après Giorgio Scerbanenco (Ici Même)

 

Regardez bien cette couverture. Au premier coup d’oeil, de loin, voici une belle femme, sensuelle, accablée par la chaleur, des perles de sueur dégoulinant sur son corps. Maintenant, penchez l’album de 90° sur la gauche, mettez le sur le dos et approchez vous  : ce ne sont pas des gouttes mais des fourmis. Voici un beau cadavre, n’est-ce pas ?

Les pages suivantes le confirment : voici la dépouille d’Alberta, découverte dans un terrain vague dans la périphérie milanaise. Un suicide, comme le conclut vite l’enquête, au regard des poignets profondément tailladés de la victime. C’est à peu près à cette même période que Duca Lamberti sort de prison : ce médecin désormais radié de la profession a passé trois ans derrière les barreaux pour avoir pratiqué l’euthanasie sur une vieille femme cancéreuse en phase terminale. Et pour son retour à l’air libre, Lamberti se voit confier par le fortuné industriel Auseri une tâche un peu particulière, celle de faire cesser l’alcoolisme de son fils Davide.

Apparemment étrangers l’un à l’autre, ces deux événements vont tout de même étrangement se percuter lorsque, en visite au cimetière de la ville, Davide demande à voir une tombe particulière en soufflant à Lamberti : « Elle s’appelle Alberta Radelli… c’est la femme que j’ai tuée l’an dernier ». Et Davide raconte alors sa rencontre avec Alberta…

Et je m’arrêterai là pour cette mise en bouche, pas question d’en dévoiler plus sur cette première enquête de Duca Lamberti, le médecin radié, et un brin tourmenté, créée par Giorgio Scerbanenco dans les années 60. Les quatre romans de la série plongeaient les lecteurs dans un Milan des plus sombres, qui ont valu - avec ses autres livres – à l’auteur le statut de maître du roman Noir italien ( il existe du reste depuis 1993 un Prix Scerbanenco récompensant le meilleur polar italien de l’année). L’adaptation de Paolo Bacilieri (à qui on doit aussi Adios Muchachos, d’après le roman de Daniel Chavarria, pour feue la collection Rivages/Casterman/noir) restitue bien l’atmosphère du roman, et on suit les pas de Lamberti dans un Milan garanti d’époque. Ses scènes de rues fourmillent de détails, et ses bâtiments dessinés sous toutes leurs coutures : il n’y a pas à dire, on est à Milan en 1966. 

 

 Mais ce qui frappe surtout, c’est cet art de la planche, où cases, angles et points de vues, ombres et lumières, plans subtilement variés, forment un tout qui fonctionne à merveille. Et côté personnage le trait du dessinateur est ici parfois proche de celui de Pichard ou de Crépax. On peut se demander aussi si Paolo Bacilieri n’a pas vu l’adaptation cinéma d’Yves Boisset (1970 sous le titre Cran d’arrêt), car son Lamberti a un petit quelque chose, de manière fugace, de Bruno Cremer qui jouait le rôle du médecin dans ce film. Film par ailleurs aux dialogues d’Antoine Blondin et à la musique de Michel Magne : à (re)découvrir assurément !

  Quant au roman matrice, il est initialement paru en 1966 en Italie, puis fut publié en France d’abord dans la collection Grands Détectives, avant d’être repris au catalogue Rivages/Noir. Venus privée a désormais trouvé refuge chez Gallmeister, dans leur élégante collection Totem, avec une nouvelle traduction de l‘italien par Laura Brignon. Le deuxième volume Tous des traîtres a également été réédité, et les deux autres de la série le seront certainement. 

 

Mais en attendant, il faut vous plonger dans cette Vénus privée-là, dans ces 160 pages dessinées avec brio. Et espérer que les trois autres romans de la série seront aussi adaptés et publiés par Ici Même, qui avait déjà à son catalogue les étonnants Fun et More Fun du même Bacilieri.


Vénus privée : la première enquête de Duca Lamberti ****

Textes et dessin Paolo Bacilieri d’après Giorgio Scerbanenco ; traduit de l’italien par Laurent Lombard – Ici Même, 2024 – 160 pages noir et blanc – 22 €

Parution 3 mai 2024


dimanche 24 mars 2024

[Adaptation] – Siniac is back ! Carton blême de Boris Beuzelin et JH Oppel réédité chez Komics Initiative

 

Le superbement pessimiste polar fantastique – et visionnaire ? - de Pierre Siniac paru initialement dans la collection Engrenage en 1985, puis réédité par Jean-Jacques Reboux chez Canaille, et enfin en Rivages/Noir en 2003 avait aussi connu une première adaptation BD, par Jean-Hugues Oppel et Boris Beuzelin. Une version parue dans feue la collection Rivages/Casterman/Noir, et que Mickaël Géreaume et sa maison Komics Initiative reprennent, via une traditionnelle campagne de financement Ulule qui a démarré sur les chapeaux de roue

Interview express de Boris Beuzelin avec comme première question : pourquoi diable ce retour du Carton Blême ?

Boris Beuzelin : C’est moi qui ai proposé à Mickaël ce projet de réédition. J’avais cette idée en tête depuis longtemps et j’attendais un moment favorable pour la concrétiser au mieux. la raison en est que je n’étais pas satisfait de la première version qui ne correspondait pas à l’idée que Jean-Hugues et moi avions de l’album. À cela deux raisons, d’une part l’album est sorti en couleur alors que nous voulions une version noir et blanc au lavis (ce qui était prévu sur le contrat), l’éditeur ayant changé cet aspect au prétexte que les albums noir et blanc de la collection se vendaient moins bien que ceux en couleur. Et d’autre part, un dixième de l’album nous a été « supprimé », cette fois en raison de désaccords avec les directeurs de collection de l’époque. 

L'album était chez Rivages / Casterman / Noir : était il encore dispo ? Cela a-t-il été facile de récupérer les droits ?

Boris Beuzelin  - Cela a été simple de récupérer les droits chez Casterman, la collection n’existant plus depuis longtemps et l’album n’étant plus disponible au catalogue. Il nous a fallu simplement renégocier une nouvelle cession de droit avec Rivage ce qui c’est fait sans difficulté non plus.

Comment as-tu travaillé à cette nouvelle version à paraitre Boris ? En quoi va-t-elle être différente de la précédente : couleurs, pagination, format...

Boris Beuzelin  - Ici j’en reviens à ce que j’évoquais plus haut. L’album à paraître chez Komics Initiative sera une sorte de director’s cut puisque il qu’il sortira donc en noir et blanc, au lavis, tel que je l’avais conçu à l’origine. Nous inclurons également les pages qui avaient été supprimées ainsi que quelques autres modifications qui s’étaient avérées nécessaires suite à la disparition de cette séquence. Cela représente une dizaine de pages supplémentaires. L’album sortira en souple, au format  plus petit que celui de la collection d’origine. L’idée d’une version spécial collector est en réflexion avec un cahier spécial en fin d’album avec des bonus, comme mon découpage et celui écrit de Jean-Hugues, des recherches diverses ainsi que le début si qu’une première version dessinée, car au départ c’est moi qui devait adapter le roman de Siniac, mais ça c’est encore une autre histoire.

As-tu également retravaillé avec Jean-Hugues Oppel ?

Boris Beuzelin - Je me suis débrouillé seul sur cette nouvelle version, mais elle était déjà préexistante en réalité, ce qui ne nécessitait pas de retravaille particulier avec Jean-Hugues, mais il reste bien évidement entièrement associé au projet.

Merci Boris !


La campagne de financement a atteint les 100 % attendus en quelques heures … Carton plein pour Komics Initiative ! Mais il vous reste du temps pour y participer, et choisir entre la version traditionnelle, ou la version collector … ou les deux !

C’est par ici :

https://fr.ulule.com/carton-bleme-pierre-siniac-boris-beuzelin/

Carton blême ****

Scénario Jean-Hugues Oppel et dessin Boris Beuzelin d’après Pierre Siniac

112 pages - Sortie mai 2024

lundi 25 décembre 2023

[La montagne ça vous gagne ] – La Neige en deuil (Rue de Sèvres) : Dominique Monféry remporte le Prix Clouzot 2024

 Le jury du Prix Clouzot 2024 de la BD du festival « Regards Noirs » de Niort » présidé cette année par le scénariste Mark Eacersall, a fait son choix, début décembre.

Et après l’excellente adaptation de l’inadaptable et mythique Shibumi de Trevanian par Pat Berna et Jean-Baptiste Hostache c’est Dominique Monféry qui décroche la timbale pour son adaptation de La Neige en deuil un roman de 1952 signé… Henri Troyat.

L’histoire ? En voici le résumé par l’éditeur lui-même :

Isaïe et Marcellin, deux frères, vivent depuis toujours dans leur bergerie familiale au sein de la montagne. Tout semble pourtant les opposer. Isaïe, marqué par un grave accident d'alpinisme lui ayant laissé des séquelles, vit pour s'occuper de ses moutons. À l'opposé, Marcellin rêve de quitter la monotonie de ce quotidien pour rejoindre la ville et ouvrir son magasin. Un jour, un avion s'écrase au sommet de la montagne. On raconte qu'il abrite de l'or. Prêt à tout pour arriver à ses fins, Marcellin propose à Isaïe une dangereuse expédition à la recherche de l'épave, quitte à mettre en péril leur relation fraternelle.

 

Un prix Clouzot original, pour un roman noir d’un auteur dont ce n’était vraiment la spécialité… Henri Troyat, prix Goncourt 1938 (L’Araigne, Plon) était surtout connu ses sagas historiques et ses nombreuses biographies. La Neige en deuil lui avait été inpiré par le crash d’un avion d’Air India, le Malabar Princess sur le glacier des Bozons (Mont Blanc) en novembre 1950. 

 

Le roman de Troyat avait aussi été l’objet d’une adaptation ciné en 1956, par Edward Dmytryk, avec le duo Spencer Tracy-Robert Wagner dans les rôles principaux.

Une idée de projection pour la prochaine édition de Regard Noirs (7 au 9 mars 2024)

 

 En attendant, plongez-vous dans cette tragédie familiale, pour laquelle Dominique Monféry a réalisé de somptueux décors, et où la montagne oppressante et glaciale, vient tendre de plus en plus les relations entre les deux frères. Une vraie découverte !


La Neige en deuil ****

Scénario et dessin Dominique Monféry d’après Henri Troyat

Rue de Sèvres - 80 pages couleurs – 19 € 

Sortie le 27 septembre 2023

lundi 27 novembre 2023

[Vous m’en direz des nouvelles] – L’Alibi (Philéas), Miséricorde (Dupuis) et Gun Men of the West (Grand Angle) : 3 albums, 31 histoires

 Hasard des calendriers éditoriaux, trois collectifs regroupant la fine-fleur des scénaristes et dessinateurs et trices sont sortis en ce mois de novembre. Polar, Noir et Western : chacun y trouvera son genre préféré...

Je vous avais déjà tout le bien que je pensais du précédent collectif « Le Crime parfait », paru l’année dernière chez Phileas, à la même époque. L’éditeur récidive avec cette fois un autre thème, celui de l’alibi : cela donne dix histoires au coeur desquelles innocents comme coupables tentent de s’en tirer en invoquant toutes les raisons possibles et imaginables pour convaincre qu’ils n’y sont absolument pour rien dans l’affaire dans laquelle ils sont empêtrés… Et cela marche ? Pas sûr… A vous de voir ce que les auteurs de ce nouvel opus ont imaginé pour leurs personnages. Ce qui est certain c’est que vous allez vous retrouver plongé dans différentes époques, et que vous croiserez le KKK, une agence un peu spéciale, un clown, des jumeaux, un voisin trop bruyant et toute une galerie de personnages plus ou moins mémorables. Mon chouchou de ce collectif ? « Contre tout alibi » de Galandon et Blary, où un vieux couple se déteste si cordialement que… Ah ah, à vous de voir !

Un collectif tout aussi réussi que « Le Crime parfait », en attendant un autre ? Le polar ne manque pas de matière pour d’autres volumes…

 

Ce n’est pas une thématique mais un auteur qui fait le lien des sept histoires composant Miséricorde, chez Dupuis, et cet auteur n’est autre que l’illustre Jean Van Hamme (que je ne vous fait pas l’affront de vous présenter). Ce sont en effet sept de ses nouvelles, écrites entre 1968 et 2008, qui sont adaptées ici, sept textes rappelant que Van Hamme a toujours été cet écrivain imaginatif et inventif, roué à l’art de la chute ou à la création de situations à la tension montante. On est ici plus proche des épisodes angoissants de « SOS Bonheur » que des aventures mouvementées de Largo Winch, et on approche même les frontières du réel avec « Les Bretelles » (dessin Munera), une histoire qui aurait très bien pu être un épisode de la Twilight Zone. Mon chouchou de ce collectif ? « Les dents de l’amour » (dessins Christian Durieux) ou la naïveté dans toute sa cruelle splendeur.

 

 Enfin, ce rapide tour d’horizon se terminera à cheval, sur les traces des gunfighters du wild wild West : celui des Etats-Unis of course ! Gun Men of the west est le troisième collectif western de Grand Angle (Bamboo) après Go West ! Et Indians !, tous les trois sous la houlette et des scénarios de Tiburce Oger. Je n’ai pas lu les deux premiers, mais je vais me rattraper car ce Gun Men est vraiment excellent ! Oger et Hervé Richez se sont penchés sur la figure certainement la plus mythique de la légende western : le hors-la-loi. Une évidence aux yeux de Tiburce Oger, mais avec une autre approche que celle peut-être attendue en la matière : « Je souhaitais montrer des desperados différents de ceux qui sont connus du grand public. Nous évoquons les trajectoires de certaines figures, comme Billy The Kid, mais je me suis essentiellement intéressé aux oubliés de l’Histoire. Je voulais aussi rappeler que l’on pouvait être un hors-la-loi sans être forcément un homme, ni même un humain... » . Allusion ici à l’histoire la plus originale – et dingue ! - de l’album , « La ville qui pendit un éléphant », dessinée par Jef et Nicolas Dumontheuil. Mon chouchou pour ce collectif-là.Avec « Le Conteur » qui ouvre et clôt l’album, en liant toutes  les histoires par la voix d’ un armurier braqué par un jeune homme, à qui il décrit tout le catalogue des revolvers, carabines et autres armes de l’époque. Très bonne idée !

Trois bons albums, donc, qui ont également tous en commun le fait de faire découvrir – ou retrouver – des dessinateurs et dessinatrices, et d’aller voir le reste de leur œuvre. C’est aussi l’intérêt des collectifs ; susciter la curiosité.


L’Alibi – 10 histoires ****

Textes Galandon, Bétancourt, Lambour et Le Roux – Dessins Astier, Guérineau, Manini, Berlion,Robin, Blary, Springer, Beaulieu, Pujol, Froissard et Labiano

Phileas – 112 pages couleurs – 19,90 € - Sortie le 2 novembre 2023

Et édition Canal BD – 23 €

 

Miséricorde – 7 nouvelles ***

Textes Jean Van Hamme - Dessins Bazin, Bertail, De Jongh, Dijef, Durieux, Efa et Munuera

Dupuis – 96 pages couleur – 16,95€ - Sortie le 3 novembre2023


Gun Men of the West – 14 aventures de gunfighters ****

Scénario Tiburce Oger avec la collaboration d’Hervé Richez- Dessins Bertail, Blasco-Martinez, Carloni, Dumontheuil, Gastine, Hérenguel, Hirn, Jef, Labiano, Meynet, Rossi, Toulhoat et Vatine

Grand Angle – 112 pages couleur – 19,90 € - Sortie le 15novembre 2023

Et édition luxe noir et blanc – 120 pages – 29,90 €

lundi 13 novembre 2023

[Introuvable !] – L ‘ Affaire Chaland, d’Alep et Deloupy (Jarjille)

 


Allez, pour une fois, je vais parler (un peu) de moi… Vous vous rappelez de Pierre de Gondol, le libraire-enquêteur créé par Jean-Bernard Pouy aux éditions Baleine en 2000 ? Spécialisé dans les énigmes littéraires, il résolvait des mystères les plus inattendus du fabuleux monde des Lettres. Des mystères apportés par des clients de ses « Dix maîtres au carré », fièrement estampillée plus petite librairie de Paris. Dix tomes parus en deux ans, par autant d’auteurs différents, l’aventure éditoriale s’achevait en octobre 2002 par « La Parabole de la soucoupe », écrit par le duo Pelé-Prilleux : une enquête entièrement autour de l’oeuvre d’Yves Chaland, avec comme point de départ une case de  La Comète de Carthage..

  

Depuis 2006, Pierre de Gondol a trouvé son alter ego en la personne du duo Lucia et Max, libraires à Saint-Etienne, propriétaires de « L’Introuvable », spécialisé en Bandes dessinées : neuf, anciens… et toutes sortes de choses du Neuvième Art. Tenez voici leur carte :


Alep est aux dialogues et Deloupy au dessin, mais tous deux construisent les scénarios de leurs enquêtes, un fonctionnement pas si courant dans les tandem BD. Après une première enquête éponyme introductive qui plante décors et personnages,Lucia et Max sont lancés sur la piste rêvée de tout collectionneur : un inédit d’Hergé (Faussaires, en 2 tomes, 2008 et 2010). Puis Lucia est envoyée seule en Normandie pour des retrouvailles avec une amie qui a ouvert une libraire polar, et dont le mari a écrit un roman noir qui semble un peu trop réaliste (Lucia au Havre, 2013). Et dans Le Collectionneur (2020), c’est cette fois Max qui va être sous la lumières, même si là encore les ombres de son passé vont surgir… et le ramener en Espagne sur les lieux de sa naissance. Et au pays des fanzines…


Sous le trait élégant, chaleureux et précis de Deloupy, digne héritier de la ligne claire, ces enquêtes sont de véritables pépites pour tout amoureux des livres, et plus particulièrement des bandes dessinées.

Alors il était presque une évidence que les pas des auteurs, Stéphanois comme leurs héros, les conduisent tout droit à Yves Chaland, dessinateur mythique s’il en est, disparu en 1990, maître de cette fameuse Ligne Claire, et dont les inconditionnels sont toujours nombreux. 

 Le créateur de Freddy Lombard et du Jeune Albert (entre autres) est cette fois au centre de cette nouvelle aventure de la librairie, au titre on ne peut plus parlant : « L’Affaire Chaland ». Et revient sur un épisode véridique : le vol de planches originales exposées lors d’une expo hommage au dessinateur en 1996. Je ne dévoilerai pas ici pas davantage l’intrigue, jubilatoire et même instructive car s’appuyant sur des faits concrets et exacts, mais je précise qu’elle est exactement dans l’esprit des précédentes, et « colle » en fait à l’univers du dessinateur disparu. On y retrouve même une célèbre case de Chaland, arrivant pile au bon moment dans le récit.


Elle permet de se replonger à son époque, on a même l’impression de se retrouver à ses côtés. Cela m’a rappelé notre roman, par son ambiance, « La Parabole de la Soucoupe » (ah je vous avais dit que je vous parlerai de moi), et toute l’histoire construite autour de cet auteur, que nous n’avons jamais rencontré, Michel Pelé et moi-même. Et qui d’autre que le duo Alep-Deloupy pour écrire et dessiner une pareille histoire ? Personne…

Deloupy avait d’ailleurs il y a quelques années dessiné une couverture de l’aventure de Freddy Lombard annoncée au dos de Vacances à Budapest  la voici :

Une couverture que nous ayons bien aimé avoir pour le dernier Pierre de Gondol… Qui sait, si un jour une réédition voit le jour ?

En attendant, lisez l’Affaire Chaland, dans une de ses deux versions : celle en crayonnés, noir et blanc, dont il reste quelques exemplaires, ou en édition couleur courante, agrémentée d’un inestimable « Dossier Chaland » de 14 pages.


En fait, lisez donc les deux... et toutes les autres enquêtes de l’Introuvable !

L’Affaire Chaland *****

Texte et dessin Alep & Deloupy - Jarjille, 2023

Version crayonnée - 67 pages noir et blanc – Tirage 226 exemplaires – 42 €

Version courante – 80 pages couleurs – 17 € - Sortie le 8 septembre 2023


et les autres enquêtes de la librairie « L’introuvable » à retrouver ici chez Jarjille 

 

 

mercredi 8 novembre 2023

[Règlement de comptes] - Douze, d’Herik Hanna et Hervé Boivin (Delcourt)

Welcome to the club !

C’est un peu ce que pourrait dire l’hôte mystérieux – alias L’Hydre – qui a invité douze personnes à passer une semaine dans un hôtel au coeur des Alpes, entièrement privatisé à leur attention. Même le personnel habituel est prié de vider les lieux, qui ne sait même pas qui sont ces invités…

- Et ils bossent dans quoi ces deux-là ?

- Euh… Relations publiques, j’sais pas trop quoi. Ça a l’air d’être une belle bande d’enculeurs de mouches si tu veux mon avis.

C’est un peu plus compliqué que cela en fait. Les douze en question ne disent pas grand-chose sur eux-mêmes, mais certains semblent déjà se connaître, du moins de nom ou de réputation. Tout est fait pour que leurs premiers instants à l’hôtel soient un peu obscurs : un numéro attribué à chacun – on ne dit pas tout de suite qui on est – un hôte qui demeure pour le moment invisible, l’accueil étant assuré par deux énigmatiques sœurs chinoises qui donnent les consignes, et qui précisent que pour les servir, ils peuvent compter sur Albert, un majordome muet. Pratique pour poser des questions.

Mais celles-ci vont vite trouver des réponses quand l’hôte paraît, sous un masque pour le moins exotique, et demande, après un dîner un peu particulier, à chacun de se présenter, enfin, de dire ce qu’il veut bien de lui-même. La nuit qui va suivre ce repas courtois mais tendu va-t-elle porter conseil ? Réponse sanglante aux douze coups de midi…

Cette histoire qui voit le retour dHervé Boivin aux affaires pour un polar d’un genre bien différent de son dernier album « 7 frères » (toujours chez Delcourt), et son intrigue au coeur d’une loge maçonnique, signée Convard et Camus. Mais c’est tout de même un autre scénariste de cette même collection « 7 », qui signe cette histoire : Herik Hanna. Son 7 Détectives, véritable hommage au roman policier de l’âge d’or (celui du roman à énigme) avait été un vrai succès donnant lieu à une sous-collection, où chacun des 7 détectives avait eu droit à son album.

Et le début de ce Douze est complètement dans ce registre du mystère à l’ancienne : des personnages arrivant un à un dans un hôtel de luxe, chacun s’observant en chien de faïence, ou essayant de capter l’attention des autres, comme ne peut s’empêcher de le faire le volubile Wolfgang Ober, ex-policier de Hambourg reconverti en chasseur « de tout ce qui marche, nage et flotte sur cette planète ». Mais c’est plutôt le numéro 6 de l’assemblée, Matt Brakovitz, qu’Hanna et Boivin nous invitent à suivre depuis son arrivée à l’hôtel, et qui sert un peu de guide au lecteur délicieusement perdu dans cette assemblée où la seule femme présente ne semble pas la moins dangereuse du lot. Après cette longue introduction feutrée – sur près de 40 pages – le rythme va s’accélérer d’un coup, sitôt les douze coups de midi passés. Et là, on entre dans un autre registre narratif et graphique, qui fait tout autant mouche. Inutile d’en dire plus, si ce n’est que le style réaliste d’Hervé Boivin fait merveille dans cette histoire dont la trame n’est pas sans rappeler par certains côtés le Button Man (alias l'Executeur chez Delirium) de Wagner et Ranson. Le tout sous une couverture vraiment réussie : bon séjour dans les Alpes pour les fêtes !

Et petit rappel : Hervé Boivin sera présent les 18 et 19 novembre au toujours très couru salon Noir sur la Ville de Lamballe (avec Emmanuel Moynot pour former le duo BD de cette édition)

Douze ****

Scénario Herik Hannah et dessin Hervé Boivin

Delcourt – 80 pages couleurs – Collection Machination – 15,95 €

Sortie le 8 novembre 2023


samedi 4 novembre 2023

[Trois coups de Bamboo] – L’Elixir de Dieu, l’inspecteur Balto et 13h17 dans la vie de Jonathan Lassiter (Grand Angle)

 Ou encore : la nonne trafiquante, le flic retraité et l’agent d’assurance viré. Un tiercé gagnant sous un label, Grand Angle, qui a fêté ses 20 cette année et dont les pages noires du catalogue sont de plus en plus fournies. En piste pour la revue express !

Arrivée en tête – ou la première dans l’ordre chronologique – Soeur Holly et ses amies du couvent Saint-Patrick, Massachusetts, qui dans l’Elixir de Dieu, se livrent à des activités que la morale de l’époque réprouve, et que le Très-Haut n’accepte qu’avec une certaine réticence. Suppose-t-on. Car en effet, le vin de messe étant autorisé pour une communion optimum avec le Corps du Christ, y aurait-il un inconvénient majeur à l’améliorer un peu en distillant soit-même un alcool maison du meilleur goût ? Bon, nous sommes en pleine Prohibition, alors les risques sont tout de même un peu là… Mais c’est la seule solution pour les religieuses de sauver leur couvent, étranglé par la Western Union, menacé par les bootleggers locaux, sans oublier que le KKK est en grande forme dans la région…

Le scénario de Gihef est particulièrement réussi et jubilatoire. Comme il le dit lui-même ; « il y a  un chouia de Sister Act, même si j’ai voulu m’en écarter, difficile de ne pas y penser. Et certainement une dose de Breaking Bad ». Certainement pour le côté débutantes dans le métier des bonnes sœurs. Pour le reste, les ingrédients sont savamment distillés, et les personnages vraiment bien campés. Christelle Galland, la dessinatrice, a su donner corps et esprits à toutes ces âmes en peine, et il y a un petit côté féministes déterminées qui se dégage de la Congrégation tout à fait jubilatoire : ces dames ne sont-elles pas en train de damer le pion aux mâles locaux ? Les scènes d’action – excellentes – montrent en tous cas qu’il faudra compter sur elles pour défendre leur dû. Second tome du diptyque à paraître certainement en début d’année 2024. Allumons un cierge pour qu’il arrive vite !

 

Ce qui arrive vite, et d’un coup, c’est la cascade de tuiles sur la tête de Jonathan Lassiter, en ce mois de septembre 1966, dans la riante cité de Keanway, Nebraska. Ce jeune homme agent dans une compagnie d’assurance touche en effet le gros lot dans la même journée : il se fait licencier, sa petite amie lui annonce qu’elle le quitte et il se fait délester son portefeuille, ce dont il se rend compte au moment de payer le double whisky qu’il vient de s’enfiler pour oublier cette journée poisseuse. Mais dans son malheur, il a une sorte d’ange gardien : un étrange quinquagénaire, élégant, raffiné, le sourire narquois et le bon mot aux lèvres. Edward semble se prendre de sympathie pour le désolé et désolant Jonathan, et commence par lui payer sa consommation. Avant de lui proposer de devenir son chauffeur le temps de cette soirée, où Edward semble fêter un anniversaire, mais lequel ? Jonathan n’hésite pas longtemps à suivre ce dandy providentiel, sans se douter que cela va l’entraîner bien plus loin que la nuit, dans une sarabande d’événements qui vont le dépasser un peu, beaucoup… Et cela va durer 13 heures et 17 minutes…

L’oeuvre d’Eric Stalner est dense, riche et passionnante, et fait souvent des haltes du côté du polar (j’ai un faible pour la Liste 66, parue chez Dargaud de 2006 à 2010) et ce one-shot qu’il situe à nouveau aux Etats-Unis en est un de la meilleure facture. Son duo de personnages Edward-Jonathan est assez fascinant, et on se demande jusqu’au bout de quoi va accepter d’aller Jonathan, pris dans un engrenage assez infernal, où il va faire plus d’une rencontre qui vont l’amener à autant de choix, de réactions, de décisions. Car c’est toute la subtilité de son mentor d’un soir : Lassiter a souvent le choix, histoire de rappeler que la vie n’est pas destinée à être subie à chaque instant. Restera-t-il le Jonathan un peu apeuré de la couverture (très réussie elle aussi) ? Réponse dans cet album noctambule et crépusculaire, tout en nuances de gris teinté de rouge vif. Celui du sang qui ne fait qu’un tour dans les veines, ou qui coule quand c’est trop tard… Excellent récit à l’ambiance noire, 13h17 dans la vie de Jonathan Lassiter vient rappeler au cas où on l’aurait oublié tout le savoir-faire d’Eric Stalner dans le genre. 

 Tenez, une petite vidéo sympa à l'occasion justement des 20 ans de Grand Angle : 



 

Aurélien Ducoudray fait lui aussi partie des scénaristes qu’on ne présente plus et à la biblio polar assez importante et le plus souvent originale (Mort aux vaches et La Faute aux chinois, avec Ravard, Bekame avec Pourquié… et aussi la reprise modernisée et avortée de Bob Morane avec Brunschwig et Armand…) et c’est cette fois avec Damien Geffroy qu’il met en scène un policier forcément particulier : L’inspecteur Balto. Particulier car tout simplement à la retraite, mais toujours au boulot bénévolement… Alors évidemment, comme il n’a plus vingt ans, son affaire en cours se fait plus dans la douceur et la discrétion que dans le déluge de feu et de plomb. Cela vient directement de l’envie de Ducoudray de « dialogues plus que d’action et de répliques « à la Audiard » dans un monde passé devenu désuet qui ne se reconnaît plus aujourd’hui, un monde avec des vieux quoi ! » Alors évidemment, quand Balto se charge de retrouver une disparue qui officie secrètement comme cam-girl, cela fait un peu choc des mondes et des époques. Et c’est bien là l’intérêt principal de cette histoire (un one-shot), de voir évoluer ce flic à l’ancienne dans une société dont les codes lui échappent peu ou prou, mais qui a encore des réflexes et des méthodes à l’ancienne qui peuvent parfois se révéler efficaces. Et puis il y a tout ce passé qui pèse sur Balto, en lien direct avec sa femme, dont on va découvrir petit à petit la place dans sa vie de flic et d’amoureux. Les aller-retours présents-passés fonctionnent très bien et Damien Geffroy a su parfaitement mettre en scène cette partie du scénario, tout comme le reste, où son style est tout à fait adapté aux états d’âmes du vieux flic solitaire, et aux personnages imaginés par son scénariste. Mention spéciale à Brenda, passagère et effcace garde du corps de Balto. Encore un truc qu’il n’aurait pas vu de son temps, tiens ! Espérons le retrouver pour une autre enquête, comme le laisse présager la dernière case de cet album…


LElixir de Dieu Tome 1 ****

Scénario Gihef, dessins et couleurs Christelle Galland

Grand Angle – 64 pages couleur – 16,90 € - Sortie le 1er Février 2023


13h17 dans la vie de Jonathan Lassiter ****

Scénario et dessin Eric Stalner

Grand Angle – 104 pages couleur – 19,90 € - Sortie le 31 mai 2023


Inspecteur Balto ***

Scénario Aurélien Ducoudray, dessins Damien Geffroy et couleurs Mathilde D’Alençon

Grand Angle – 64 pages couleur – 16,90 € - Sortie le 28 juin 2023

lundi 30 octobre 2023

[Partir] - La Meute de Herry et Samama et Le Passeur de lagunes de Dabitch et Macola (Futuropolis)

 Deux albums parus à quelques mois d’intervalle chez Futuropolis, aux intrigues éloignées géographiquement, et bien différentes dans leur construction comme dans leur propos, sont tout de même à rapprocher par leur thématique centrale  : l’irrépressible envie d’être ailleurs…

Dans La Meute de Cyril Herry et Aude Samama, il est question de la fugue de deux ados, Victor et Marina, à travers la forêt Limousine, au moment même où un loup semble avoir fait sa réapparition dans la région. Les deux jeunes ont fait le choix de quitter une petite ville et une vie étouffantes pour se perdre dans la forêt proche, un havre pour Victor, qui en connaît tous les recoins, les secrets, les ressources et où, « ll n’y a aucune raison d’avoir peur dans les bois. Sauf des hommes ». Car c’est bien des hommes dont les deux fugueurs veulent se préserver, plus précisément de tous ces villageois qui savent tout de tout le monde, et qui ont bien évidemment leur avis sur les raisons de cette disparition. Alors qu’évidemment ils sont ignorent complètement ce qu’il s’est passé, mais ne peuvent s’empêcher de le dire… « A vouloir sans cesse tout savoir des autres, vous allez finir par leur inventer une vie qu’ils n’ont pas » essaie de clouer le bec une infirmière à domicile à une dame d’un âge respectable qui n’en finit pas de déblatérer sur les autochtones. Et c’est en fait toute la ville qui a son mot à dire, ou plutôt sa rumeur à colporter, son on-dit à rapporter, alors que chacun oublie de regarder un peu plus près ce qui se passe sous son propre toit. Et il est facile de comprendre ce désir de fuir des deux jeunes qui ne trouvent absolument par leur place dans ce monde, tout comme d’autres, tout aussi prêts dans leur tête à suivre l’exemple de Victor et Marina. Enfant, ado, jeunes hommes et femmes, ils sont aussi cette autre meute du titre, celle qui est avide d’espace et de liberté et qui n’aspire qu’à une chose : respirer. Les peintures d’Aude Samama viennent magnifier, tout en douceur, cette irrépressible soif d’échapper à un monde violent en tous points .

 


 

C’est à Venise, que Christophe Dabitch a trouvé la source d’inspiration de son histoire, et plus précisément dans sa lagune que le dessinateur italien Piero Macola lui a fait explorer dans tous ses recoins. Et cela donne le Passeur de lagunes, où le jeune Pablo, qui accompagne souvent son père pêcheur, a lui aussi des envies d’ailleurs, même s’il peut compter sur sa bande de copains pour passer le temps et tromper l’ennui, en traficotant un peu, beaucoup, de ce nouvel opium du peuple, la Rose, aux vertus rares, puisqu’elle effacerait les mauvais souvenirs… Mais bientôt le père de Pablo disparaît, et pas question de filer voir la police pour le signaler : autant mener sa propre enquête, même si elle va révéler des secrets… Au delà du drame familial qui se joue pour Pablo, ce sont des destinées entières qui sont évoquées dans cet album, dont le titre donne évidemment la piste : celles et ceux qui veulent fuir ici sont aussi les clandestins, et la Cité des Ponts un point de passage obligé. Et c’est justement dans ce méandre que constitue la lagune que les hommes se perdent, ou se trouvent piégés, de l’intérieur ou de l’extérieur, car l’ouverture sur la mer, et la liberté qui va avec, a disparu avec le temps … « Quand ils ont fermé les frontières, les digues sont devenus des murs », affirme son grand-père à Pablo. Le monde change, les certitudes d’hier vacillent, c’est aussi le sens de ce récit initiatique subtil et sensible. Et au fil des pages, les superbes aquarelles de Piero Macola viennent nous rappeler que la nature peut être douce et cruelle à la fois, alliée ou adversaire, et qu’elle peut emmener, pour celui qui prend son temps, ailleurs. Cet album est à lire et relire, tant il donne à méditer, contempler. Et s’évader.


La Meute ****

Scénario Cyril Herry et peintures d’Aude Samama

Futuropolis – 152 pages couleur – Sortie le 8 février 2023

Le Passeur de lagunes ****

Scénario Christophe Dabitch et dessin Piero Macola

Futuropolis – 224 pages couleurs – Sortie le 13 septembre 2023