Pour son retour aux pinceaux, Pascal Rabaté, qui n'avait plus dessiné depuis son magnifique "Ibicus", a choisi de dérouter son lecteur, en publiant dans la collection de Soleil "Noctambule", un album qui commence par intriguer par son aspect. "Fenêtres sur rue" est en effet un "livre accordéon", comprenez dont les pages ne se tournent pas vraiment, mais se déplient, et dévoilent l'image d'une façade d'immeuble sur chaque double page. Et ces pages se aussi lisent recto verso : une fois arrivés au bout de la partie "Matinées", on recommence à zéro, et on est invité à entrer dans l'immeuble pour les "Soirées". Voilà pour la première originalité formelle, et, à celle-ci vient s'en ajouter une seconde : l'album ne comporte aucun texte, si ce n'est une courte introduction, invitation à entrer, qui fait office de mise en bouche et d'avertissement à la fois devrait-on même dire, répétée au début de chaque période (jour - nuit). Voici ce qu'elle dit :
"Si une fenêtre est une ouverture qui permet d'assurer l'aération et la lumière... elle permet aussi d'assurer la vue... vue sur d'autres fenêtres derrière lesquelles se déroulent des histoires de couples, des histoires d'amour, de séparation, de tromperie, et pourquoi pas, des histoires de meurtre.
C'est un travail à plein temps de regarder à la fenêtre, de surveiller, de guetter... d'ailleurs retournons-y,... Il ne faudrait pas rater quelque chose".
Le décor, immuable (ou presque), c'est donc ce bout de quartier, vu de face, où on dénombre un lavomatic, un bar ("Le Pénalty") et huit appartements. En tout, treize fenêtres, deux vitrines, et une porte d'entrée. Et derrière, ou devant, ces ouvertures vont se dénouer les petites histoires de quotidien du quartier, des instants de vie d'une vingtaine de personnages... et de deux chiens. "Si une fenêtre est une ouverture qui permet d'assurer l'aération et la lumière... elle permet aussi d'assurer la vue... vue sur d'autres fenêtres derrière lesquelles se déroulent des histoires de couples, des histoires d'amour, de séparation, de tromperie, et pourquoi pas, des histoires de meurtre.
C'est un travail à plein temps de regarder à la fenêtre, de surveiller, de guetter... d'ailleurs retournons-y,... Il ne faudrait pas rater quelque chose".
Et une fois passées ces quelques lignes, c'est rideau pour les mots... et place aux dites fenêtres annoncées et voilà le lecteur-spectateur prêt à assister à ce qui est annoncé un peu mystérieusement dès la couverture :
A la première lecture, on fait comme d'habitude : on embrasse d'un coup d'oeil la scène, puis on s'arrête sur un détail qui amuse ou intrigue, puis on passe à la scène suivante, on retrouve les mêmes personnages, qui ont bougé, disparu, réapparu, car le temps a passé d'une double page à l'autre, la journée a avancé, et les gens ne sont pas restés figés. On lit comme cela tout l'album, on le retourne, on passe à la partie soirée, et là, il fait nuit, et on voit parfois mieux ce qui se passe dans les appartements car les lumières sont allumées, et les rideaux pas toujours tirés. Et à d'autres moments on devine seulement ce qui se passe, car les lumière sont cette fois tamisées, et seules des ombres se meuvent dans l'obscurité. Mais à chaque fois on retrouve nos personnages, et quand on a passé toute cette journée à les observer on n'a qu'une envie, c'est de les retrouver. Même si on se sent un peu atteint de voyeurisme léger...
Et c'est là qu'intervient toute la force de "Fenêtre sur rue" : la multiplicité des pistes de lectures. Car passé le premier parcours, qui s'apparente à un repérage, la tentation est grande de s'attacher à l'histoire de chacun des habitants des lieux, et là, on peut reprendre tout depuis le début et aller d'une double-page à l'autre en ne regardant qu'une fenêtre à la fois, et s'offrir une plongée encore plus grande dans l'intimité de tous ces anonymes, en passe de devenir des intimes...
Et c'est là qu'intervient toute la force de "Fenêtre sur rue" : la multiplicité des pistes de lectures. Car passé le premier parcours, qui s'apparente à un repérage, la tentation est grande de s'attacher à l'histoire de chacun des habitants des lieux, et là, on peut reprendre tout depuis le début et aller d'une double-page à l'autre en ne regardant qu'une fenêtre à la fois, et s'offrir une plongée encore plus grande dans l'intimité de tous ces anonymes, en passe de devenir des intimes...
Il y a un côté oulipien évident dans cet album, car il fait penser à une version graphique de " La vie mode d'emploi" de Georges Pérec, et, de manière plus transparente encore, "Fenêtre sur rue " est un hommage au cinéma d'Hitchcok (cf le titre même de l'album) et de Tati, les deux cinéastes déambulant eux-mêmes au fil des pages. Leurs films les plus emblématiques sont du reste l'objet d'adoration d'une des habitantes que l'on retrouve à chaque nouvelle page, vissée devant sa télé, devant "Jour de fête", "Psychose" ou encore "Les oiseaux". Cette façon de faire de Rabaté - amuser le lecteur en le forçant à retrouver des clins d'oeil à d'autres oeuvres - rappelle aussi celle qui préside aux albums pour enfants du japonais Mitsumasa Anno ("Ce jour-là" et 'Le Jour suivant") , muets également, dans lesquels il faut chercher des références à des contes, ou à des oeuvres artistiques tout en suivant un personnage de page en page.
Bref on l'aura compris, "Fenêtre sur rue", est d'une richesse incroyable et fait partie de ces livres inclassables car à la croisée des genres et des styles, et ici, des formes. Et il est éminemment ludique.
La question que vous vous posez (peut-être) est : est-ce vraiment une bande dessinée polar ? Ou même : est-ce vraiment une bande dessinée ? Une bande dessinée, certainement, pas au sens le plus commun du terme, mais une bande dessinée malgré tout, si l'on veut admettre que le tryptique case / planche / récit, trouve ici son équivalent en Fenêtres / Quartier / histoires... et que chaque scène peut être perçue comme une case agrandie fourmillant de détails. Et que l'ensemble forme un tout cohérent.
Bref on l'aura compris, "Fenêtre sur rue", est d'une richesse incroyable et fait partie de ces livres inclassables car à la croisée des genres et des styles, et ici, des formes. Et il est éminemment ludique.
La question que vous vous posez (peut-être) est : est-ce vraiment une bande dessinée polar ? Ou même : est-ce vraiment une bande dessinée ? Une bande dessinée, certainement, pas au sens le plus commun du terme, mais une bande dessinée malgré tout, si l'on veut admettre que le tryptique case / planche / récit, trouve ici son équivalent en Fenêtres / Quartier / histoires... et que chaque scène peut être perçue comme une case agrandie fourmillant de détails. Et que l'ensemble forme un tout cohérent.
Quant à l'aspect polar, il est ténu, certes, mais présent puisqu'il se commet bien un meurtre sous nos yeux impuissants, et qu'un inspecteur passe d'un logement à l'autre, en quête d'un suspect. Mais comme je le disais, ceci est plutôt un album inclassable, embrassant plusieurs genres, et c'est surtout, un vrai bonheur de lecture.
Un mot tout de même sur l'aspect graphique : l'impression de voir des tableaux est très nette. Rabaté a réalisé cet album à l'acrylique, et les coups de pinceaux sont visibles, même dans une édition comme celle-ci, industrielle, et non artisanale. Et en l'absence de mots, il y a tout un travail sur les ombres, le temps qui passe et qu'il fait, et qui joue sur les postures des personnages. C'est une des autres réussites de cet album que d'avoir su retranscrire au mieux les états d'âmes des personnages sans passer une seule fois par le texte.
A la fin de la partie "Soirée", les 23 personnages sont alignés, sous la lumière, prêt à saluer le lecteur. Il ne lui reste plus qu'à applaudir l'auteur, car Rabaté, mérite pas moins d'un Molière de la Bande dessinée - ou un Buster Keaton - En attendant un Fauve à Angoulême ?
Fenêtres sur rue Texte et (mais surtout) dessin de Pascal Rabaté - Soleil, 2013 - Collection Noctambule
18,95 €
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