Ce blog est entièrement consacré au polar en cases. Essentiellement constitué de chroniques d'albums, vous y trouverez, de temps à autre, des brèves sur les festivals et des événements liés au genre ou des interviews d'auteurs.
Trois index sont là pour vous aider à retrouver les BD chroniquées dans ce blog : par genres, thèmes et éditeurs.
Vous pouvez aussi utiliser le moteur de recherche interne à ce blog.
Bonne balade dans le noir !

vendredi 4 février 2011

[Collector Spirou] - 1 cadavre, 79 légistes

Chez vous, je ne sais pas, mais chez nous, on est abonnés au vénérable magazine Spirou, et ça permet de recevoir des cadeaux toute l'année. Celui qui accompagne le numéro 3800, daté du 9 février 2010, est carrément (ou rectanglement, pour être précis) un album à l'italienne qui commence comme ça :Et après ce bal ouvert par Vehlmann et Yoann, c'est Trondheim qui poursuit, puis Tarrin, puis Bercovici... jusqu'à Bodart, pour finir par le duo de départ qui boucle la boucle. C'est, vous l'aurez compris, sur le principe du cadavre exquis, et forcément, ça rebondit toutes les 3 cases...
Cela fonctionne plutôt pas mal, et outre la curiosité de voir comment chacun va rajouter sa couche à une histoire de plus en plus trépidante, le lecteur ne manquera pas de s'amuser à essayer de reconnaître l'auteur de chaque nouveau strip.
Il fallait être abonné du 1er janvier au 31 décembre 2010 pour recevoir cette chouette aventure de Spirou à 158 mains. Bonne chasse ! Un indice, la couverture, c'est ça :

lundi 31 janvier 2011

[Chronique délocalisée] - Fanch Karadec


La BD bretonne n'avait pas encore son enquêteur ? Damned ! Ou gast, devrais-je dire...
Les éditions Vagabondages viennent à la rescousse des pauvres âmes en peine qui désespéraient de voir un jour un Sherlock des menhirs, un Maigret des bagadou, un San Antonio de la galette-saucisse...

Voici donc un petit nouveau, fringuant retraité, un poil cossard quand même, parce que bon, la retraite, c'est la retraite, et qui s'appelle Fanch Karadec. Pour lire ma chronique de la première aventure de ce nouveau venu, allez rendre une petite visite de courtoisie à l'excellent site k-libre, en cliquant sur ce lien qui vous met directement sur la bonne page.

Allez, kenavo !
Et j'en rajouterai pas plus parce que je suis nul en breton.

samedi 29 janvier 2011

[Chronique] Baru : L'enragé qui fait péter les basses

C'est l'histoire de deux Zinedine. L'un sort de prison, et n'a qu'une idée en tête : se venger de ceux qui l'y ont envoyé, et monter un coup pour se refaire. Et qui dit casse, dit un plan et des complices, et l'ex-taulard se tourne vers un dénommé Fabio d'Alloro, un vieux un peu rangé des voitures, mais qui ne demande qu'à replonger une dernière fois, pour la retraite... et la beauté du geste. Comme en plus, il peut constituer son équipe, c'est le moment de faire revenir ses vieux poteaux, Paul et Gaby, pour ce dernier tour de piste. Un braquage de fourgon est programmé...
L'autre Zinedine, c'est le prénom floqué sur le maillot de Slimane, jeune africain surdoué des crampons. Embarqué clandestinement à bord d'un charter, il quitte son pays la tête pleine des rêves d'une carrière à la Drogba, mais l'arrivée est encore plus compliquée que prévue, il se retrouve très vite clandestin et les pelouses qu'il va fouler sont loin d'être celles de l'élite.
Déjà semée d'embûches, la route de Slimane, Zinedine par procuration, va bientôt croiser celle de Zinedine, l
e vrai, le fou, le tueur...

Cette histoire de casse et de vengeance sur fond social, c'est du pur Baru ! Les méchants sont imbuvables, les cons vraiment trop cons, et les voyous de seconde zone attirent la sympathie. On suit les péripéties de l'histoire avec une jubilation grandissante, car on ne craint pas vraiment le drame soudain au coin de la page. Cela tient à la personnalité du trio de braqueurs à l'ancienne : roublards mais droits, on sent en eux le sens d'une certaine « justice », qui exclue les actes de violence gratuite... à l'opposé de leur commanditaire.

Graphiquement, c'est un grand bonheur de retrouver le trait incroyablement dynamique de Baru, ce virtuose des scènes de bastons et d'accidents de bagnoles. Baru n'a aussi rien perdu de ce style, absolument inimitable, qui tord les corps et déforme les faciès des personnages en plein effort. Un joli bandeau « Grand Prix de la Ville d'Angoulême » orne cet album, au cas où le lecteur distrait ait oublié. Moi je vous le dis : Baru est grand. Tout court.


Dans les rééditions qui n'ont pas manqué dans la foulée de ce Grand Prix, ne manquez surtout pas celle, parue chez Dupuis, de l'Enragé, une intégrale regroupant les deux tomes, toujours dans la collection Aire Libre, et qui relate l'ascension et la chute d'un jeune boxeur, depuis sa banlieue jusqu'au tribunal. Un chef d'oeuvre d'humanité.
Et si vous voulez entendre Baru parler de lui et de son oeuvre, écoutez donc ce grand timide se confier à Rebecca Manzoni dans sa toujours chouette et intelligente émission « Eclectique », sur France Inter. C'était le 9 janvier dernier, mais c'est encore dans les archives de la station, alors profitez-en !

Fais péter les basses, Bruno !
Scénario et dessin Baru
Futuropolis, 2010 - 128 p. couleur - 20 €

L'Enragé
Scénario et dessin Baru
Dupuis, 2010 - 136 p. couleur - 24 €

mardi 25 janvier 2011

[Chronique] Héritages ou les sorcières du Bordelais

Nina est jeune, Nina est belle : elle semble bien partie dans la vie, d'autant qu'elle a un petit ami charmant, Nils, attentionné et aimant. Invités tous les deux à une soirée chez Chloé, une amie d'enfance de Nina, ils finissent par quitter les lieux, ayant fini par épuiser leur dose d'ennui. Sur le chemin du retour, la voiture conduite par Nils en percute une autre et le jeune homme est éjecté, grièvement blessé. Nina a un geste étrange : elle ôte ses gants et appose ses mains sur le visage de son amoureux. Elle a en fait un pouvoir de guérisseuse, mais elle ne pourra empêcher le jeune homme de succomber. Encore sous le choc, elle culpabilise, et se réfugie dans la solitude, refusant longtemps le soutien de son amie Chloé. Mais bientôt, Nina comprend que l'accident de voiture n'en n'était pas vraiment un...
Album à la croisée des genres, on ne saurait dire si cet "Héritages" est un polar sur fond fantastique ou l'inverse. En fait, peu importe, car on est vite happé par le récit de Bénédicte Gourdon, qui rappelle parfois l'esprit de la série TV « Carnivale » (pour le côté guérisseur de l'affaire) et qui fait la part belle aux personnages féminins, que ce soit par le duo principal, ou les figures de Marcelline et Marguerite, les grand-mères initiatrices. On est aussi très vite conquis par le dessin de Stéphanie Hans, superbe, qui met en couleur elle-même ses planches et mêle différentes techniques sans s'emmêler les pinceaux. Un tour sur son blog Graine de pluie vous permettra de mesurer l'ampleur de son talent d'illustratrice, qui s'exprime jusque chez... Marvel, pour qui elle a réalisé de somptueuses couvertures ! En attendant, lisez cet "Héritages," qui permet aussi d'errer dans un Bordeaux nimbé d'un certain mystère, même si la ville est hélas un peu trop en filigrane.
Ce one-shot est apparemment le premier titre d'une série de « récits indépendants pour des destinées de femmes... singulières ». Des sorcières, donc, pour cette première.
Additif correctionnel du samedi 12 février : en fait la collection s'appelait "Sorcières", mais elle n'existe déjà plus. Bon. Comme ça, je m'embrouillerai plus.
Héritages
Sénario de Bénédicte Gourdon et dessin et couleurs de Stéphanie Hans
Dupuis, 2010 – 56 p. couleur - 13,50 €

dimanche 9 janvier 2011

Palmarès Bédépolar 2010 : mes 10 chouchous de l'année

Bon, janvier c'est le mois des voeux... et d'Angoulême avec son palmarès toujours commenté et attendu. Enfin, je crois...
D'après le non moins attendu et commenté rapport de l'ACBD (que vous pouvez découvrir ici dans son intégralité , le rapport, pas l'ACBD, hein, et au fait, c'est quoi l'ACBB ? Et bien, avec le même clic vous saurez..), pas moins de 3811 nouveautés sont sorties en 2010, dont 241 "thrillers et autres polars". On imagine la lutte sans merci pour sortir du lot...
Et parmi tous ceux
que j'ai pu lire, j'ai évidemment mes 10 préférés, dont je vous livre ici la liste, dans l'ordre - ça c'est mon côté supporter-qui-suit-le-classement-de-son-équipe - étant entendu que ces albums valent absolument tous d'entrer dans la la bibliothèque idéale de l'amateur de polars en cases.

Allez zou ! Pour (re)lire mes chroniques sur ces albums, cliquez sur leur titre :



Grandville
Texte et dessins Bryan Talbot
Milady, 2010. -124 pages couleur - 15,90 €




Incognito 1 - Projet Overkill
Scénario Ed Brubaker et dessin
Sean Phillips
Delcourt, 2010 – 14,95 €






Parker : Le Chasseur
Texte et dessins de Darwin Cooke,
d'après Richard Stark.
Traduction de T
onino Benacquista
Dargaud, 2010 - 140 pages en bichromie, 19 €



Braquages et bras cassés
Scénari
o Benjamin Fischer et dessin Georges Van Linthout
La Boite à bulles, 2010 – 112 p. noir et blanc
Collection Contre-jour – 17 €




Snuff 1 – La Mélodie du bonheur
Scénario Philippe Nihoul et dessin Xavier Lemmens
Delcourt, 2010 – 48 p. co
ul. - Collection Machination – 12,90 €


Hélas
Hervé Bourhis (scénario), Rudy Spiessert (dessin)

Dupuis, 2010
72 p. couleur - Coll. "Aire libre" - 15 €




Tueuse
Scénario et dessins Damien May, d'après Annie Barrière
Des Ronds dans l'O, 2010 - 15,50 €

Les Enquêtes d'Andrew Barrymore 1 - Old Creek town
Scénario Nicolas Delestret et dessin Roderic Valambois
Dargaud, 2010 - 48 p. couleur - 11,95 €



La mort n'est pas une excuse

Scénario et dessins Nicolas MOOG
Six pieds sous terre, 2010 -48 p. noir et blanc – 10 €



Bloody september

Texte, dessin et couleurs Will Argunas
KSTR, 2010. - 137 p. couleurs – 16 €



Et voilà mes dix. Et les vôtres ?

dimanche 2 janvier 2011

Encore 363 jours !


Vous qui avez rodé dans ces pages en 2010 :
MERCI !


J'espère vous retrouver cette année pour un BEDEPOLAR un peu plus régulier, un peu plus découvreur, un peu plus patrimonial, un peu plus rigolo, un peu plus... vous verrez bien, ami(e)s bédéphiles !

En attendant, rendez-vous le week-end prochain pour mes 10 albums préférés de feu 2010.

Et comme on dit ici : Bloavezh Mat !

dimanche 19 décembre 2010

Pour vos cadeaux, part tou : spécial Comics !

Damned ! Le 25 décembre, etc...
Comme promis, la suite de mes suggestions pour vos cadeaux, avec aujourd'hui un petit tour du côté des crime comics, qui recèlent de vrais trésors.

En première ligne, les éditions Delcourt qui suivent au plus près les sorties de la géniale série Criminal de Brubaker et Philips. Dans le dernier tome paru, « Pauvres pêcheurs » on retrouve le personnage de Tracy, apparu dans le tome 2. Le voici devenu homme de main pour le compte d'une véritable ordure, et il n'est pas tout à fait sûr d'être fait pour cela. Une fois de plus, scénario nickel et dessin non moins parfait pour ce qui est, de loin, le meilleur « crime comic » du moment.

Bon, évidemment, le titre pourrait être disputé par le Tony Chu de Layman et Guillory, qui ont eu la bonne idée d'inventer un personnage de détective-cannibale. Ou pour être plus précis : de flic cibopathe. C'est à dire que l'inspecteur Chu (Chew, en vo) est capable de retracer l'origine d'absolument tout ce qu'il ingurgite. Il lui suffit d'ouvrir la bouche... et de voir l'abattoir d'où provient le bovidé qui est à l'état de steack dans son assiette, l'arbre et les pesticides qui ont été utilisé sur l'excellente pomme qu'il goûte... C'est tellement pénible qu'il préfère en rester aux betteraves, seul aliment qui lui laisse les neurones en paix. Mais un type pareil, c'est du pain béni pour les autorités, et l'inspecteur Chu est vite invité à goûter des bouts de cadavres, plus ou moins frais, histoire de voir ce qu'ils « racontent »... Ce scénario bien barré se lit avec délectation et s'admire pour les cases très cartoonesques de Guillory. A offrir à vos amis végétariens.

A offrir à vos amis qui rêvent de mettre le pays à feu et à sang parce qu'ils n'en peuvent plus : The last days of american crime, une trilogie apocalyptique dont les deux premiers tomes ont été traduits cet été par Emmanuel Proust. L'histoire ? Aux Etats-Unis, le gouvernement a trouvé la parade définitive à tout acte de délinquance : un signal agissant directement sur le cerveau et annihilant toute volonté d'action hors-la-loi va être émis dans les quinze jours. C'était un secret, of course, mais le Washington Post l'a dévoilé, provoquant l'anarchie dans le pays. Et c'est pendant ces quinze jours que Graham Bricke va tenter le casse qui va lui assurer sa retraite. Avec quelques comparses, mais est-on jamais sûr de ses partenaires dans le crime, surtout dans un pareil contexte ? La réponse est dans ce comics au dessin époustouflant de Greg Tocchini, (également encreur et coloriste, rare pour les américains) dont le talent est tel que Rick Remember, le scénariste l'avoue sans détour : « ce qu'il a accompli est absolument incroyable. Le livre vaut la peine d'être acheté, même uniquement pour le dessin ». Vous savez donc ce qu'il vous reste à faire.

Mais dans le genre l'apocalypse est au coin de la rue, le roi demeure sans conteste l'indestructible Judge Dredd dont Soleil a sorti un recueil de dix histoires courtes signées Grant et Wagner, sur des dessins de Bisley pour huit des récits. Cela s'appelle « Heavy metal Dredd » et c'est comme d'habitude un rien brindezingue : de la présentation de Dredd et Megacity One en chanson, à la Course aux Poules Mouillées, en passant l'épisode narrant la fouille corporelle, un peu spéciale, du magicien « le Grand Arsoli », ce sont des tranches de vie ordinaires de la cité de la violence qui se déroulent sous nos yeux amusés. Amusés, car c'est bien le second degré (et le troisième, le quatrième..) qui sont la marque de fabrique de cette grandissime série culte et, grokk !, ça fait du bien de retrouver l'inflexible Juge et sa sale gueule. Et n'oubliez pas : il EST la loi... A qui offrir un truc pareil ? Ben, à votre petite amie étudiante en droit...

Et pour finir, toujours chez Soleil, et même si on sort un peu des « crime comics », tout amateur de BD américaine doit avoir au pied du sapin " Stan Lee présente l'art de la BD", bible auto-proclamée où le pape des super-héros dévoile tous les secrets pour devenir le dessinateur star de demain. Bon, tout le monde n'est pas un Jack Kirby en puissance, et je doute que Neal Adams ait compulsé ce genre de livre pour apprendre le métier, mais ce « Stan Lee présente... » est vraiment un bel objet, richement illustré (encore heureux me direz-vous) et après une courte mais bienvenue histoire du genre aux Etats-Unis, il présente vraiment tous les aspects du métier, du matériel de base aux techniques élémentaires. Tiens, par exemple, la perspective. Très important la perspective, dans la BD : ne vous êtes-vous jamais dit que telle case était curieuse, ou mal foutue ? Souvent c'est une question de perspective, mal maîtrisée. En quelques pages et exemples clairs, hop, Stan vous remet les idées en place, et bientôt, vous saurez tout. Et vous relirez peut-être vos comics – et vos bonnes vieilles BD franco-belge – d'un autre oeil.
Un très beau livre, en grand format, à offrir à n'importe quel amoureux de la bande dessinée (et des super-héros encore plus).

Criminal 5 : Pauvres pêcheurs
Scénario Ed Brubaker et dessin Sean Phillips
Delcourt, 2010 – 14,95 €

Tony Chu, tome 1 : Goût décès
Scénario de John Layman et dessin de Rob Guillory
Delcourt, 2010 – 14,95 €

The last days of american crime, tomes 1 et 2
Scénario Rick Remember et dessin Greg Tocchini
EP, 2010 - 60 pages couleurs - 14,95 € chaque

Heavy Metal Dredd
Scénario Alan Grant et John Wagner et dessins Simon Bisley
Soleil, 2010 – 63 pages couleurs – (US Comics) - 12,90 €

Stan Lee présente l'art de la BD
Soleil, 2010 – 224 pages couleurs – 30 €

dimanche 12 décembre 2010

Pour vos cadeaux... Part ouane

Enfer ! Le 25 décembre approche à la vitesse d'une balle perdue et vous ne savez pas encore quoi offrir à cet oncle un peu bizarre que vous ne voyez qu'une fois l'an. Ou à votre copine qui ne lit que des romans de Marc Lévy. Ou à votre copine qui ne lit que des essais de Michel Onfray. Ou à vos parents qui aimaient bien Tif et Tondu, dans leur folle jeunesse. Ou à votre neveu qui ne jure que par les mangas.
Et vous vous dites qu'une BD serait du plus bel effet au pied du sapin. Oui, mais laquelle ?
Vous pouvez compter sur les éditeurs pour sortir de belles intégrales à cette période de l'année. En voici quelques-unes, 100 % polar, qui pourraient vous valoir autre chose qu'un merci poli au moment du déballage annuel (de cadeaux)... Aujourd'hui : Dargaud et Dupuis.

Chez Dargaud, Berceuse assassine, de Tome et Ralph, est devenu au fil du temps un véritable classique du polar urbain. C'est déjà la troisième version de l'intégrale et comme le site de l'éditeur le dit : « On envie ceux qui vont découvrir ce scénario pour la première fois : une histoire à trois voix, chaque tome de ce triptyque ayant un narrateur différent. Un polar extrêmement intelligent, des personnages noirs, très noirs, détruits par la vie et la ville, un dessin incroyable ». Et bien je vais vous dire à mon tour : tout cela est exact, et ce triptyque est un véritable choc ! En plus, il reparaît cette fois en grand format (35 cm de haut sur 27 de large) et les planches s'en trouvent magnifiées.

C'est aussi sous ce même format que vous pourrez (re)lire Jazz Maynard, la formidable « trilogie barcelonaise » des espagnols Raule et Roger, dont je vous avais déjà dit le plus grand bien (lire mes chroniques des trois tomes au moment de leur sortie) Dargaud a opté pour une version en noir et blanc, et cette fois c'est le formidable dessin de Roger qui est mis en valeur.

Chez Dupuis, vous pouvez bien entendu vous précipiter sur les intégrales de Tif et Tondu et Gil Jourdan, dont le tome 4 est paru en novembre, avec toujours des dossiers d'introduction aussi riches en images inédites et érudits. C'est dans cette collection « Patrimoine » que sont aussi ressorties les aventures de Théodore Poussin de Franck Le Gall, certainement la bande dessinée d'aventures « tout public » la plus intelligente, et la plus captivante, qu'il m'ait été donnée de lire. Bon, d'accord, il faut être un adepte de la ligne claire pour pouvoir apprécier l'histoire du jeune Poussin, rêvant d'horizons maritimes lointains, et qui va se retrouver, un peu malgré lui, pris dans un tourbillon d'événements. Mais quel souffle ! Le Gall embarque complètement le lecteur dès le premier tome et fera vivre à son héros des épisodes d'une intensité dramatique et humaine rarement atteinte dans les pages de Spirou. Si vous êtes passés à côté de cette excellente série au moment de sa sortie (qui remonte aux années 80) c'est le moment de vous y plonger (avant de l'offrir, of course) . Le premier volume reprend les 4 premiers des 12 tomes et pour le premier ("Capitaine Steen") et une partie du second ("Le Mangeur d'archipels") les couleurs ont été refaites. Du travail d'orfèvre !

Autre fleuron de la collection, l'intégrale de Green Manor porte bien son sous-titre : « 16 charmantes historiettes criminelles ». Vehlmann a imaginé pour cette exquise série, et pour son dessinateur Bodart, 16 histoires que les membres les plus honorables du très sélect Green Manor's club se racontent, la voix pleine de frissons. De crimes impossibles en vengeances parfaites, de machinations perverses en énigmes insolubles, c'est un véritable voyage au coeur d'une Angleterre victorienne rouge sang auquel le lecteur est convié. Le tout avec ce légendaire flegme britannique, comme le suggère l'unique phrase du dos du livre : « Le meurtre n'est rien sans un peu d'élégance ». Elégante et classieuse, cette édition l'est en tout point de vue : au format roman, elle affecte l'allure d'un fac-similé relié cuir, allant jusqu'à reproduire la patine du temps. Et pour relier l'ensemble de leurs petits contes noirs, les auteurs ont imaginé un prologue et un épisode tout à fait approprié. Et Dupuis a ajouté un cahier graphique de 24 pages (crayonnés de personnages, planches à divers stade de travail) pour clore le tout : franchement, encore un cadeau somptueux !

Et pour finir, une autre facette du très grand talent de Fabien Vehlmann : la réédition du 1er cycle de Seuls, ce thriller fantastique dessiné par Bruno Gazzotti, qui a marqué les esprits dès la parution de « La disparition » en 2006. Au cas où vous soyez passé à côté, le tout début de l'histoire : cinq enfants, âgés de 5 à 12 ans, se réveillent un matin dans une ville complètement désertée par les adultes. Livrés à eux-mêmes, ces enfants vont devoir apprendre à vivre sans ces adultes, et, tout en essayant de comprendre les raisons de leur soudaine solitude, faire face aux dangers d'une grande ville, où ils vont découvrir, au fil des albums, que d'autres enfants sont dans leur situation.
L'intégrale regroupe les cinq albums d'un premier cycle d'une série qui a d'ores et déjà marqué la bande dessinée « tout public ». Un petit tour sur le site dédié vous donnera une petite idée de la chose, au cas où vous n'ayez vraiment jamais entendu parler de « Seuls »...

DARGAUD
Berceuse assassine - 168 pages couleur, 35 €
Jazz Maynard – 152 pages, 29 €

DUPUIS
Gil Jourdan – 4 tomes - 240 pages couleur, 24 € chaque
Tif et Tondu – 8 tomes - 156 pages couleurs, 24 € chaque
Théodore Poussin – 1 tome –240 pages couleur, 24 €
Green Manor – 1 tome – 160 pages couleur, 35 €
Seuls – 1 tome – 264 pages couleur, 30 €

lundi 29 novembre 2010

Snuff 1 - La Mélodie du bonheur (2010)

Ethan Fargo vit à Brooklyn, et il essaie d'oublier que sa vie est ratée en envoyant des balles de golf à la mer. On passe son désespoir comme on peut... Il fréquente aussi un vidéo club tenu par deux abrutis de première et c'est là, dans cet endroit sans âme, que sa vie va prendre une tournure inattendue et bizarroïde... Alors qu'il s'apprêtait à emprunter un film dégoûtant aux yeux des tenanciers (un mélo, "la mélodie du bonheur"), deux braqueurs font irruption dans la boutique, et Ethan se retrouve pris entre deux feux. Sa situation est critique, mais l'arrivée d'un cinquième larron, qui vient porter secours au duo de braqueurs guère plus finaud que les loueurs de films, le sauve d'une balle perdue... ou d'autre chose. Inexplicablement son sauveur le laisse en vie en lui confiant un DVD sans jacquette, que Fargo regarde chez lui, espérant trouver une explication à cet épisode rocambolesque. Le choc des images est violent : c'est un snuff-movie qui se défile sous ses yeux, et le film va vite précipiter Ethan dans une cascade d'événements plus ou moins plaisants pour lui...

Nihoul et Lemmens, les créateurs de l'immortel « Commando Torquemada », (deux albums chez Fluide Glacial) sont de retour, et c'est une joie immense de constater qu'ils n'ont rien perdu de leur esprit frondeur et iconoclaste pour cette nouvelle série chez Delcourt. Leur « Snuff » est bourré de références à un certain cinéma un poil décalé que les auteurs vénèrent ostensiblement : la boutique de vidéo s'appelle « Clerks », titre d'un film-culte assez méconnu de mon entourage (mais mon entourage a tort, sur ce coup-là) et le nom du héros est hommage direct aux frères Cohen. Ce premier tome repose sur une intrigue assez surprenante : un ex-dictateur sud-américain envoie un pauvre type à la recherche des responsables de la mort, atroce, de sa fille. Avec en arrière-plan, l'univers des snuff-movies... Avouez qu'il y avait là de quoi se ramasser dans les grandes largeurs avec une histoire pareille. Mais le duo en optant pour un traitement à la Tarantino, avec dialogues ciselés et scènes chocs, évite le piège de l'album glauque sur sujet glissant (une catégorie que je viens de créer à l'instant). Dès la première phrase, le lecteur – éventuellement - égaré est prévenu :

« On ne peut avoir une idée du néant, du vide absolu, si l'on n'a jamais plongé son regard dans celui d'une autruche »...

Un peu plus loin, cette conversation :

"- C'est fait. Le doigt de Dieu vient de majestueusement désigner notre ami.
- Vous pourriez arrêter de parler comme un livre de messe et être clair, pour une fois ?"

Et tout l'album est sur ce ton, légèrement décalé, mais extrêmement jubilatoire.
Côté dessin, les trognes et les physiques volontairement caricaturaux des personnages de Lemmens, font mouche et le dessinateur démontre un réel talent pour les scènes d'action, dans cet album qui est loin d'être une promenade de santé pour le « héros ».
Bref, si vous ne lisez que dix BD par an (ou moins, mais alors, là, vous avez dû arriver sur ce blog par hasard) vous aurez compris que celle-ci doit en faire partie. Amen.


Snuff 1 – La Mélodie du bonheur
Scénario Philippe Nihoul et dessin Xavier Lemmens
Delcourt, 2010 – 48 p. coul. - Collection Machination – 12,90 €

jeudi 18 novembre 2010

Le recul du fusil 1 - Les Chambres (2010)

Fin août 1936. Fernand Tormes quitte sa campagne provençale et ses chèvres pour aller étudier la médecine à Paris. Sa mère l'envoie auprès d'amis parisiens, les Lazary, et il est accueilli à la gare par leur fils André, son copain d'enfance. Mais en cette période troublée en Europe, Fernand retrouve un André acquis à la cause communiste et à l'Espagne républicaine... et brouillé avec son père, à la tête d'une entreprise familiale. Fernand s'installe néanmoins dans la chambre des Lazary, dans un immeuble où il fait vite la connaissance de Solange, jeune et belle femme, mariée à un égyptologue.
Fernand s'en éprend et réussit à approcher d'un peu plus près cette petite bourgeoisie parisienne. Il est pour eux une sorte de curiosité amusante... Pendant ce temps-là, le monde tourne et André se frotte aux fascistes parisiens. Les événements vont s'accélérer pour Fernand, à la croisée de plusieurs chemins...

Ce premier tome d'un trilogie annoncée est une formidable plongée dans le Paris de 1936, et Bordas signe là une histoire qui s'annonce passionnante. Son personnage de Fernand, débrouillard mais un peu dilettante, est emprunt d'une certaine naïveté romantique qui mène sa vie un peu malgré lui. Tombant amoureux de presque chaque femme qu'il rencontre, il ne semble pas avoir d'autre but dans la vie que de ne pas dormir tout seul et il n'a pas l'engagement politique d'André et de ses amis révolutionnaires. Mais le vent de l'Histoire, et une situation personnelle soudainement devenue critique, vont le pousser vers d'autres horizons et c'est bien ce qui fait tout l'intérêt du scénario : Bordas réussi à imbriquer le destin d'un anonyme dans la grande spirale des événements majeurs des années trente. Son Paris est d'ailleurs truffé de détails (enseignes des boutiques, affiches et banderoles politiques, véhicules...) apportant l'authenticité nécessaire à son scénario et renforce sa crédibilité. Graphiquement, Bordas appartient à cette branche « Sfaro-Blainiste » de la bande dessinée actuelle, qui semble faire de plus en plus école, et dont le style s'accorde parfaitement avec l'époque choisie.
« Le recul du fusil » est paru à la fin de l'été, mais n'hésitez pas à le demander à votre revendeur préféré : c'est franchement une des très bonnes surprises de cette année.

Le Recul du fusil
1 – Les Chambres
Scénario et dessin Jean-Sébastien Bordas
Soleil, 2010. 56 pages couleurs – Collection Quadrants / Boussole
11,50 €

samedi 30 octobre 2010

De briques et de sang (2010)


Il se passe de drôles de choses au Familistère de Guise, en ces années 20 : voilà qu'on y meurt de manière rapprochée... et un peu trop suspecte. Cette communauté n'est-elle pourtant pas un modèle de justice sociale ? Voici un excellent album et je vous propose de lire ma chronique sur le site k-libre.

Vous pouvez aussi aller faire un tour du côté des blogs des dessinateurs David François et Pierre-Henry Gomont, l'auteur de l'épilogue. Sans oublier celui du scénariste, Régis Hautière.

Et en prime, une couverture finalement non retenue pour cet album :


De briques et de sang
Scénario Régis Hautière et dessins et couleurs David François
Dessin de l'épilogue Pierre-Henry Gomont
KSTR, 2010 - 114 pages couleurs – 16 €

samedi 16 octobre 2010

Smoke city 2 (2010)

Le groupe de choc reconstitué pour un casse de grande envergure, commandité par l'insaisissable ennemi public n°1 de Smoke City, s'est retrouvé à l'issue du premier tome dans un situation pour le moins critique : trahi par l'un des leurs, les cinq autres as de la cambriole se retrouvent au poste, interrogés un par un par des duos de flics qui tentent de comprendre. Mais les braqueurs ne savent plus trop eux-mêmes où ils en sont : la police semble prête à passer l'éponge sur la tentative de casse, si le groupe accepte de collaborer activement et de tendre un piège au commanditaire, véritable cible de l'inspecteur Ruben. Et c'est en fait Valentine Cole, le « traître » du groupe qui va être au coeur du piège... une situation vite inconfortable face à un ennemi qui dispose d'atouts d'une puissance insoupçonnée dans son jeu...Le scénario de Mathieu Mariolle se complexifie dans ce second volume, et Smoke City glisse progressivement dans un fantastique du meilleur goût. En invitant à la table de simples braqueurs un adversaire lié à un démon, l'histoire change de registre. Et c'est là qu'intervient tout le savoir-faire de Mariolle : en fonctionnant par flashbacks, et en installant à la fin de chaque scène/séquence un suspense efficace, la dimension fantastique arrive par touches successives, à l'intensité grandissante. C'est presque un lieu commun d'affirmer que le découpage d'un scénario de bande dessinée est proche de celui d'un film de cinéma, mais c'est loin d'être une vérité absolue. Mais dans le cas de Smoke City, on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement entre le 7ème et le 9ème art. : on se fait littéralement son film et on voit l'histoire, et ses acteurs. L'autre artisan de ce magnifique travail est bien entendu Benjamin Carré : son dessin extraordinaire de réalisme, son usage des couleurs, son utilisation discrète de la photographie dans la composition de ses cases, ses décors somptueux, ses ultra-dynamiques scènes d'action sont autant de qualités affichées dans le premier tome, et qui font de « Smoke city » une des plus belles réussites du genre. A l'instar de certains « comics » qui croisent avec bonheur les univers du polar et des super-héros (je pense à « Incognito » de Brubaker et Philipps ou à « Gotham central » du même Brubaker, avec Rucka et Lark), ce diptyque confirme tout l'intérêt que peut avoir un genre codé comme le récit policier à explorer d'autres territoires. Et même l'une des conditions de sa survie ?

Smoke city 2
Scénario Mathieu Mariolle et dessin Benjamin Carrré
Delcourt, 2010 – 48 p. coul. - Collection Neopolis – 12,90 €

jeudi 14 octobre 2010

La Mort n'est pas une excuse (2010)

Le Goo Goo Muck trio est un groupe de musiciens de blues sans histoire. Enfin, sans histoire jusqu'à la découverte du cadavre de José Da Silva, latin lover Portugais et local, mystérieusement assassiné... Non pas que le trio y soit pour quelque chose, mais, c'est juste que le trucidé était une connaissance à eux. Et une connaissance morte par homicide, ça marque. Alors pour marquer le coup, il est décidé de rendre hommage à la victime en lui dédiant le concert du lendemain. Mais en attendant, il faut répéter, et c'est là que les choses prennent une tournure bizarre pour le chanteur au banjo du trio : à la place de son instrument fétiche, un flingue et deux chargeurs attendent paisiblement, comme dans les meilleurs films de gangsters... Où est passé le banjo et à qui est cette arme ? La vérité ne va pas tarder à se manifester.
Cet album – qui porte bien son sous-titre de « Fantaisie noire » - est placé sous les auspices de Dock Boogs et de Maurice Tillieux. Si le second nous est familier (comment cela, vous n'avez pas lu cette chronique de la réédition des fabuleux Gil Jourdan ???), je dois avouer que j'ignorais qui était le premier. J'aurais pu m'en douter à la couverture, superbe, de cet album : c'était un bluesman américain, un maître du banjo des origines. Et cette BD toute entière est un véritable hommage, ludique, à la musique et au roman noir. Nicolas Moog, déjà auteur d'une bonne adaptation du Poulpe de Jacques Vallet (« L'amour tarde à Dijon ») s'amuse comme un petit fou à parsemer son histoire de clins d'oeil à la Série Noire. Le plus spectaculaire – et amusant – est d'avoir glissé le tueur de service dans la peau de... Marc Villard : notre vénérable gloire nationale ne lui en veut pas, puisqu'il lui signe une préface aussi référentielle que les planches qui la suivent. Et tout aussi délirante. Bon, l'intrigue est ténue, mais le plaisir est ailleurs, c'est un peu celui ressenti à la lecture d'une nouvelle : le tout est ramassé, et on peut revenir au début pour savourer à nouveau.
La mort n'est pas une excuse, non, et passer à côté de cet album non plus !

La mort n'est pas une excuse
Scénario et dessins Nicolas MOOG
Six pieds sous terre, 2010
48 p. noir et blanc – Collection Monotrème
10 €

samedi 11 septembre 2010

Blacksad 4 : L'enfer, le silence (2010)

Sebastian « Little Hand » Fletcher est un jazzman hors du commun, un des ces musiciens capables de vous remplir une salle en moins de temps qu'il ne lui faut pour s'installer à son piano et de faire les beaux jours des maisons de disques. Des pépites pareilles ne courent pas les rues, et il faut les ménager, être aux petits soins, comme l'a justement toujours fait le patron de « Lachapelle Records », label le plus renommé et influent de la Nouvelle-Orléans. Mais quand on est héroïnomane comme Fletcher, on est incontrôlable, et « tout à fait capable de faire une bêtise » comme s'en inquiète son mentor, Faust Lachapelle. Quoi de plus naturel pour lui alors de lancer sur sa piste celui qu'on lui a assuré être capable de le retrouver « sans faire trop de grabuge » ? Le détective en question n'est autre que John Blacksad, qui va vite comprendre que la partition qu'on lui a donné est remplie de fausses notes... Du confrère embauché avant lui et évincé sans ménagement au fils Lachapelle, amer et retors, en passant par des musiciens aussi souvent au pénitencier qu'au club de jazz, tous semblent vouloir faire danser Blacksad à leur rythme à eux. Mais c'est bien connu : le chat retombe toujours sur ses pattes...


Cinq ans après « Ame rouge », le détective aux griffes les plus acérées de la BD fait donc son retour, attendu avec impatience par ses fans, une curiosité certaine pour tous les autres, mais avec pour tous la même question : dans quel tourbillon le dur à cuire Blacksad va-t-il être plongé ? Une issue fatale, si on s'arrête à la somptueuse couverture de cet album ? Une histoire étrange, au regard de la quatrième de couverture ? Les premières pages mettent rapidement sur la voie : il sera question de musique, puisque nous voici à la Nouvelle Orléans. Mais nous voilà aussi prévenu : il ne sera pas question uniquement de légèreté et d'insouciance, puisque les premiers mots qui accompagnent le strip-tease auquel assistent Blacksad et son fidèle Weekly sont ceux de Sartre, « l'enfer c'est les autres ». Et Diaz Canales et Guarnido vont constamment jouer sur cette dualité, d'un côté une ville festive, de l'autre des habitants à l'âme tourmentée. Cela se traduit, côté scénario, par une construction non linéaire, où les protagonistes apparaissent de manière parfois inattendue, le plus souvent au moment où la page est tournée, ce qui donne de saisissants changements d'ambiance, et imprime un rythme vraiment particulier à l'album. L'intrigue imaginée par Diaz Canales, autour de la musique bien sûr, mais qui cache des ramifications, confirme le savoir-faire du scénariste dans la bande dessinée noire psychologique, car, comme pour les précédents tomes, ses personnages ont une réelle épaisseur, et celle-ci sert directement la dynamique du récit.
Et si cela fonctionne aussi bien, c'est parce que Guarnido n'a rien perdu de son incroyable talent, et que son dessin est toujours aussi spectaculaire, même dans les scènes les plus calmes. On a rarement vu une bande dessinée animalière aussi expressive que Blacksad, et l'engouement autour de cette série est justifié : voici une oeuvre intelligente, qui prend le temps de se construire.
Et pour les petits veinards qui habitent pas loin de Château-du-Loir, dans la Sarthe, une visite à la bibliothèque municipale s'impose : les planches agrandies de ce quatrième tome de Blacksad y sont exposées du 14 septembre au 2 octobre. Entre autres réjouissances autour du noir (programme détaillé ici) Je serai d'ailleurs présent le vendredi 24 septembre, pour présenter une sélection des meilleures BD polars de ces vingt dernières années. Exercice difficile, mais une chose est sûre : Blacksad en sera !

Blacksad, tome 4 : L'enfer, le silence
Scénario Juan Diaz Canales et dessin Juanjo Guarnido
Dargaud, 2010 - 56 p. coul. - 13,50 €

dimanche 5 septembre 2010

Les Héros du peuple sont immortels : Gil Jourdan et Spirou en intégrales

S'il est un éditeur qui traite ses grands anciens avec tout le respect qu'ils méritent, c'est bien Dupuis, dont la politique actuelle de rééditions des classiques de son catalogue est des plus intelligentes, au travers d'intégrales toutes plus soignées les unes que les autres. Non, non je n'exagère pas... Et je vous ai déjà signalé dans ces pages tout le bien dont je pensais de cet important travail patrimonial (notamment à propos de Tif et Tondu).
Mais à ma grande surprise, je me rends compte que je ne vous avais pas encore parlé ici de la somptueuse intégrale de Gil Jourdan, de l'immense Maurice Tillieux. Le tome 3, qui couvre la période 1964-1970 et regroupe « Le gant à trois doigts », « Le chinois à deux roues », « Chaud et froid » et « Pâtée explosive » - soit les albums 9 à 12 de la série - est sorti au début de l'été, clôturant la période où l'intrépide détective est entièrement l'oeuvre du seul Tillieux. Dans son érudit et passionnant dossier de présentation, José-Louis Bocquet, grand connaisseur de l'oeuvre Jourdanesque, resitue chacun des albums dans son contexte, et rappelle toute l'importance du scénariste au sein de la profession à cette époque, et le rôle, presqu'inconscient, qu'il eut alors pour la reconnaissance du métier auprès des éditeurs.
Au delà de cet aspect, José-Louis Bocquet décortique toute la mécanique à l'oeuvre dans ces aventures, et souligne que l'auteur a parfois subi la contrainte des 44 planches – étalon inébranlable alors – le poussant, par exemple, à accélérer la fin d'un récit expérimentalement débuté en temps réel, « Le Gant à trois doigts », qui n'en demeure pas moins extrêmement plaisant au final. Tout comme le reste également « Le Chinois à deux roues », une expédition épique à bord d'un camion, sous une pluie constante. C'est bien là toute la force des aventures de Gil Jourdan : près d'un demi-siècle après leur sortie, elles sont toujours incroyablement lisibles, drôles et ont conservé leur inventivité originelle. On ne dira jamais assez combien Maurice Tillieux était un auteur majeur, du reste de plus en plus sollicité pour des scénarios pour une foule de confrères, ce qui – hélas – le contraindra à abandonner le dessin de sa série phare.

C'est à cette époque où Tillieux lâche les rênes de Gil Jourdan que Fournier s'empare de celles de Spirou et Fantasio, tout juste lâchées par Franquin.
Là encore, le premier volume de ces premières « années Fournier » (1969-1972) est présenté par José-Louis Bocquet, qui retrace les débuts d'un jeune auteur, tout surpris de se voir proposer la série reine de l'hebdomadaire, alors que son «Bizu » traîne en queue de peloton des impitoyables référendums du magazine... Extrait de la conversation rapportée par Bocquet, entre Charles Dupuis et Jean-Claude Fournier :

« ça va, monsieur Fournier, vous êtes content de votre carrière ? »
« Oui »
« Les résultats sont pas terribles »
« Pas terribles... En effet... »
« Aussi, on a pensé à vous pour reprendre les aventures de Spirou et Fantasio ! »
Je me dis « C'est une blague ? »....

Mais ce n'en était pas une, et Fournier restera aux commandes de la série jusqu'en 1979 , et l'album « Des haricots partout ». Ce premier tome contient les trois albums « Le Faiseur d'or », « Du glucose pour Noémie » et « L'abbaye truquée ». Si la présence de Franquin se fait sentir dans le « Faiseur d'or », ne serait-ce que parce qu'il y dessine une dernière fois le Marsupilami, avant de le garder rien que pour lui, Fournier s'émancipe du Maître dès les albums suivants, en particulier en créant des personnages bien à lui, et qui marqueront à leur tour la série, comme Itoh Kata, le prestidigitateur nippon, ou l'organisation de malfaisants « Le Triangle ». La Bretagne chère à l'auteur est également présente et le demeurera tout au long de ces années « Spirou ».
Ce tome est agrémenté d'histoires courtes parues dans la revue, et jamais rééditées depuis. Il ne faut pas hésiter à relire ce Spirou-là, à qui Fournier a su, au fil des albums, donner une personnalité plus forte qu'on ne le croit.

Intégrale Gil Jourdan – Tome 3
Texte et dessins Maurice Tillieux
Dupuis, 2010
240 pages couleur – 24 €

Intégrale Spirou et Fantasio – Tome 9
Texte et dessins Jean-Claude Fournier
Dupuis, 2010
240 pages couleur – 19 €